19 avril, Delphes.

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Le temple d’Apollon de Delphes est le miroir du ciel. On y voit des choses infinies, des lambeaux de nuages qui soudain rappellent un vieux visage, un passé qui brille aussi fort qu’une étoile, malgré tout, comme une poussière de sagesse immémoriale. On dit qu’au fronton de ce temple était gravée l’un des plus grands poncifs de la philosophie : « Connais-toi toi-même. » La tradition raconte aussi que sept sages (dont l’identité fluctue selon les auteurs) se seraient réunis devant ce temple afin d’offrir leurs maximes au dieu Apollon. Comment savoir si cette histoire est vraie ? Mais j’aime l’idée que l’on puisse donner sa pensée comme offrande. À titre d’exemple, la devise de Cléobule de Lindos, l’un des prétendus sept sages : « La modération est le plus grand bien. » Délicieuse offrande, Apollon s’est sûrement montré rassasié ; le dieu n’avait plus soif, il est redescendu sur terre, écoutant notre ami Cléobule : il s’est modéré – de là son humanité retrouvée.

La modération consiste à se dire, alors qu’on a déjà pris rang parmi les dieux : cela n’est pas pour moi, je retourne à ma condition d’animal philosophe. Notre société s’est spécialisée dans la fabrication de ces petits dieux capricieux qui consomment, cassent et remplacent en un tour de main ; qui croient que le confort leur est dû ; qui prennent leur fauteuil pour un trône, leur prochain pour un valet, convaincus que l’argent pourra pour pallier leur incompétence crasse aux fondamentaux – se nourrir, se vêtir, se loger. Suis-je l’un des leurs ? À ma façon, je le suis sans conteste. Comment dès lors parvenir à me modérer ? Dans notre fourgon, Marie et moi avons quantité d’appareils tous fabriqués en Chine : un ordinateur portable, une tablette, un disque dur externe, une carte Wi-Fi, une antenne à longue portée, trois clés USB, une enceinte portative, une batterie solaire, un appareil photo reflex, un autre appareil photo plus compact, un lecteur mp3, deux lanternes solaires… Avons-nous réellement besoin de chacun de ces appareils ? Certains prennent déjà la poussière… Nous n’avons pourtant pris, de façon très honnête et très réfléchie, que ce que nous jugions essentiel à notre voyage. Mais l’essentiel n’est-il pas à redéfinir ? À quoi bon cette accumulation de machines ? Hier, il fallait se libérer de l’oppression d’un despote ou d’un culte ; aujourd’hui, l’enjeu serait de se libérer des machines. Il faudrait posséder sans être possédé (comme on peut lire chez les hédonistes), il faudrait se rapprocher de la substance, et revenir à cette idée plus mesurée du progrès, plus utilitaire, en privilégiant le qualitatif au quantitatif… Car après tout, que faut-il pour étancher la soif d’un homme ? Offrez-leur à tous de la simplicité, vous les verrez redescendre ainsi qu’Apollon en son temps, le melon dégonflé, les chevilles désenflées, le cul bien posé par terre en train de manger leur banane… De la modération, vous dis-je !

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