12 mai, Vallée des roses.

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Route qui se tend vers l’horizon, droite au possible. Nous passons devant le pic Botev, point culminant du Grand Balkan. Montagnes en dents de scie, encéphalogramme de la terre. Chapeaux de nuages sur les pics pierreux. Manteaux de forêts sur la peau du massif. Abondance de hêtres, ours bruns se cachant dans la fraîcheur des profondeurs. Manche à air claquée par le vent, bannière d’Éole. Vol circulaire d’un rapace, avec entre ses serres un serpent crevé. Devant nous, la vallée des roses. La vallée des tombeaux Thraces. Une vallée large et fertile, qui ressemble à un berceau pour géant. Où dorment les nains ? Dans un bouton de rose. Deux villes aux extrémités : Karlovo et Kazanlac. Entre les deux, notre route étirée comme une langue de caméléon. Rivière comme une coulée de bave irriguant les champs de rosiers, cisaillant le massif et les forêts. Terre gorgée de soleil, comme le réclame un rosier de Damas heureux. À la fin du mois de mai, floraison collective embaumant d’un coup la vallée d’un parfum paraît-il capiteux… Parfum que nous allons manquer de peu, ivresse inconnue pour jamais.

Une fois sortis de ce sentier battu, la route est différente, inégale. Tantôt asphaltée, tantôt gravillonnée. Des nids de poule ou d’autruche émaillent l’ensemble. Cahots du fourgon qui font mordre la langue. Et tout le long, sur le bas-côté, ce cortège infini de charrettes. Chevaux qui trottent en tractant de trop lourds chargements de foin, de maïs ou de bois. Les crins sont touffus, les musculatures sont puissantes ; Bucéphale est jaloux, voilà qu’il renâcle à franchir une fondrière. J’avais ouï dire que les Bulgares ne se déplaçaient qu’en charrette. Un cliché peut-être agaçant pour eux… Mais vrai, tout du moins dans les campagnes.

L’énergie chevaline : une énergie de seigneur au moyen-âge, une énergie de paysan pauvre aujourd’hui. Seul avantage, le cul du cheval ne crache quasiment pas de gaz polluant. Mais l’homme occidental préférerait mourir en pompant la dernière goutte de pétrole plutôt que de retourner sur un cheval de trait. Moyen de locomotion trop poussif, trop dégradant pour le génie de l’homme, trop inadapté aux nécessités de vitesse exigées par notre économie mondiale. À rebours de l’idée de progrès qui prescrit d’aller toujours de l’avant, plus haut, plus vite et plus fort, en ne revenant pas vers les agaçantes lenteurs du passé. Le cheval emmerde l’homme, et l’homme emmerde le cheval en lui mettant ce mors qui lui lacère la bouche. Dans le futur, ces deux-là ne pourront faire un mariage heureux. C’est sans doute une illusion de penser que l’énergie chevaline est l’avenir de l’énergie fossile ; mais c’est un autre genre d’illusion que d’affirmer que le pétrole peut continuer de faire tourner le monde ainsi.

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