5 juillet, Demre

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Cent kilomètres à brûler de la gomme. Je dis brûler car la Lycie est une fournaise. Le soleil flambe, implacable et sanguinolent. Le goudron fond, on y laisse nos empreintes. Des mirages apparaissent à fleur d’asphalte ; l’air y vibre invariablement sous la chape de chaleur, il ondule, il danse, il se contorsionne et créé des visions qui poudroient jusqu’à l’horizon.

L’horizon, ce pain quotidien. Aujourd’hui, le paysage est une succession de plaines tapissées de bâches en polyéthylène, une chiée de serres maraîchères hideuses agglutinées les unes contre les autres, où des ventilateurs tournent à plein régime, où tout pousse en hydroponie sous perfusion d’azote, de potasse, de phosphore et de substances chimiques (Özmen nous avait prévenus). Les bâches de ces serres, d’un blanc pur, ont par ailleurs le don de refléter les rayons du soleil ; insigne malveillance qui m’aveugle à chacun des virages que nous prenons, en haut des cols. Puis, dans un endroit reculé, surgit le charme invisible et troublant d’une ruine lycienne. L’œil se repose en recueillant ces témoignages antiques. Au loin, déjà, l’horizon trépigne d’impatience, il nous appelle, il nous ensorcèle, il nous tend ses deux bras étirés qui jamais ne nous étreindront, et nous voilà repartis dans ses rets.

Soir. Il fait donc horriblement lourd. Troisième jour que nous dépassons les 45 degrés. Dans le sud de la France, on enregistre actuellement des températures similaires, et des records y pleuvent. Dans ce coin de l’Anatolie, de telles chaleurs sont malheureusement plus courantes. Que va devenir ce beau pays dans trente ans ? Une croute sèche. À minuit, mon téléphone indique encore 30 degrés à Demre. Mais dans le fourgon, dans ce minuscule espace où nous tentons de dormir, c’est une tout autre affaire. L’air stagne, il est suffocant, saturé de nos brûlantes respirations, si bien que nous grillons sur place à mesure que la nuit progresse. Ai-je encore de l’eau dans mon corps ? J’ai tellement transpiré. Impossible d’ouvrir le fourgon car les moustiques pullulent à côté de cette maudite lagune. Au milieu de la nuit, Marie se lève du lit pour s’allonger sur la banquette où nous mangeons d’habitude. Elle revient penaude une demi-heure plus tard, en laissant derrière elle, sur les coussins de la banquette, une empreinte humide. On s’abandonne à la fatigue… À l’aube, revoilà ce foutu soleil qui frappe le cul du fourgon. Hier en fin d’après-midi, nous avions choisi l’ombre en oubliant que cela voulait dire un réveil en enfer. On ne nous y reprendra plus.

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