13 août, Nijni-Novgorod

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Ce soir, nous avons le bourdon. La ville de Kazan, où nous avons passé deux jours splendides, fut le point le plus oriental de notre voyage ; et maintenant, cette escale à Nijni-Novgorod, c’est déjà quelque part le chemin du retour. Forts d’une tristesse qui nous empoigne inopinément, nous décidons par conséquent de nous saouler. Nous n’allons pas boire la Volga, par manque de place dans la vessie, mais de la vodka pure.

En centre-ville, nous dépassons le Kremlin de Nijni, qui n’égalera jamais le Kremlin de Kazan (ah, Kazan ! – la tristesse revient nous étreindre), et là, sur une avenue bordée de bâtiments aux tons pastel, nous finissons par trouver notre bonheur : un bar où la lumière est douce, où nos émois prendront refuge. Il faudra beaucoup boire pour oublier que ce voyage aura une fin, que chaque jour qui passe est un jour de moins sur la route. Après nous être installés confortablement dans le fond du bar, nous déplions la carte des vodkas. Le serveur, affublé de sa moustache de mousquetaire, nous décrit les nuances entre telle et telle eau-de-vie, tantôt discrète et subtile, tantôt forte et poivrée. Peu nous importe ! Il faut que la vodka brûle tout sur son passage. Et, l’alcool aidant, la tristesse est en effet dissoute, et nous passons la meilleure des soirées. Derrière Marie, peint sur un mur de brique, un énorme poisson frétille et nous entraîne dans le flot de l’ivresse. Le bar s’appelle d’ailleurs Hareng – Seledka en russe. Marie et moi causons de tout, de rien, de la vie. Nous commandons des quiches, et cela vaut bien deux nouveaux verres de vodka, servis glacés. Si nous nous écoutions, nous resterions vivre à Nijni, pour arrêter le temps du voyage. Mais cette quiche à la citrouille est franchement délicieuse… Tout larguer, refaire sa vie, poser ses bagages à Nijni. Ma vodka, originaire de Sibérie, n’a pas de goût : c’est sa pureté qui la définit. Ça coule dans le gosier comme un train de chaleur froide. Et puis descendre en gare de Nijni. La vodka de Marie, qui vient de Carélie, pratique la politique de la terre brûlée : plus grand-chose après son passage. On filera demain vers Moscou… Voyant les deux Français bourrés qui s’amusent dans une langue inconnue, le serveur amène un cheesecake on the house à la table une. Nous sommes la table une. L’ébriété décuple notre amour pour les Russes, nous voulons le faire savoir au serveur, mais tout cet enthousiasme est un pétard mouillé : nous restons sans voix. Derrière Marie, le hareng navigue en eaux troubles : il devient flou, et je vois moi-même un peu flou. Nous rentrons bientôt bras dessus bras dessous, empruntant la jolie promenade au long de la Volga, riant comme deux bossus puis revenant dans les rues féériques de Nijni-Novgorod – ah, Nijni !

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