9 septembre, Vilnius

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Aujourd’hui, nous fêtons le vingt millième kilomètre parcouru depuis notre départ en janvier dernier. Les mois passent, et les images aussi. Dehors, sur le parvis de la cathédrale de Vilnius, Marie téléphone à sa grand-mère. Je suis face au volant, dans l’habitacle, et je n’ai rien à faire. Je prends le temps de considérer le poste de conduite, et remercie Bucéphale, en caressant le tableau de bord, de nous avoir emmenés si loin, sans accroc. Mon autre main se pose sur le pommeau du levier de vitesse. Je l’embrasse en entier, sensation que je connais sur le bout des doigts. Mon esprit divague, et ce train de pensées – les vingt mille kilomètres, le temps qui passe, la sensation sur le bout des doigts – m’amène à considérer plus sérieusement ce levier de vitesse. De la première à la sixième. De l’enfance à la vieillesse. Dois-je vraiment filer la métaphore ? Trop tard, et me voilà démarrant par le rapport le plus bas :

 - La première : bruyante, nerveuse, éphémère. Noyau de puissance afin de nous arracher du néant, du point mort. De là proviennent les vagissements du moteurs. Plaisir, à l’occasion, de se laisser doucement porter sans enfoncer ni la pédale de l’embrayage ni l’accélérateur, on avance alors à pas de bébé.

 - La deuxième : un peu moins bruyante, un peu moins nerveuse, encore et toujours éphémère. Éveil complet de la machine. Le moteur s’emballe vite et monte facilement dans les tours. Évidente force de propulsion. N’embrayer ni trop tôt ni trop tard, sans quoi le moteur pique sa crise. En profiter pour apprendre à se situer dans l’espace, à voir l’autre. Apprécier l’allure insouciante, avant l’inévitable accélération future.

 - La troisième : vrai changement de rapport, les choses sérieuses ont commencé. Moteur enfin chaud, la fièvre anime tous les pistons. Les à-coups subsistent encore du fait d’une sensibilité notoire de certains trucs ou machins. Vitesse adolescente.

 - La quatrième : acmé de la mécanique. Le moteur est définitivement calmé, mis en branle, on roule bien, c’est la fleur de la conduite. À cette vitesse, il vaut mieux savoir où l’on va.

 - La cinquième : à ce stade, on a sûrement basculé de la ville à la campagne. La vie s’est raréfiée, mais l’intérêt ne diminue pas pour autant. Le véhicule est déjà bien lancé, l’énergie cinétique est en train de jouer son rôle à plein ; dans ce cas, nul besoin d’ajouter de la puissance à la puissance ; d’où la consommation moindre de carburant. C’est l’heure, en effet, d’apprendre à s’économiser.

 - La sixième : vitesse de croisière atteinte au gré des lignes droites qui s’étirent vers l’horizon. Peu de surprises en perspective. En cas de régulateur, possibilité de lever le pied, d’enfin se reposer. Désormais, tout se résume à faire preuve de vigilance. On s’ennuie rapidement, on se ramollit même. Par la fenêtre, au-dehors, tout passe et se fond dans le flou, dans les longues traînées de couleurs, et nous fondons dedans pareils. Il faudra bientôt ralentir, afin de revenir au point mort.

 - Marche arrière : ne fonctionne hélas qu’avec le carburant des souvenirs.

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