11 octobre, Cuisine de Jody et Markus

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Markus, que nous n’avons guère vu jusqu’à présent, nous a préparé ce matin un petit-déjeuner gargantuesque. Une manière de brunch à l’allemande. Sur la table, une quiche au potimarron ; des saucisses au soja fumées ; du pain pumpernickel ; du houmous à la betterave, aux graines de courge et au miel ; une assiette de chou rouge râpé ; des verres de smoothie au concombre, à la pomme et à la menthe ; du lait d’avoine et des mueslis. Cela va sans dire, Jody et Markus sont végétariens (en transition végan, précisent-ils). Et nous ? Chasseurs-cueilleurs dans l’idéal. Végétariens en théorie, avec un bout d’asperge entre les dents. Carnassiers frustrés dans la pratique, estampillés flexitariens par le lobby du « cul entre deux chaises ».

Vers midi, tandis que Markus me verse un dernier smoothie, que Jody sort un gâteau du four, que Léonie régurgite un peu de son nectar laiteux, je dois dire que le régal est total. Pareil festin me ramène, par contraste, à ces mauvais repas que j’engloutissais durant mes plus jeunes années. Je ne peux m’empêcher de repenser, maintenant que mon éducation est faite, à tout ce temps durant lequel j’ai mangé de la merde. BN, Nutella, Petits Écoliers, jambon Fleury Michon, purée Mousseline, cordon bleu Père Dodu, Knorr, Knacki, Ketchup, Kinder Bueno, Géant Vert, Tropicana, Croustibat (qui peut te battre), William Saurin, Findus, Snickers, Buitoni, Panzani, Pitch, Petits Suisses… Une liste interminable, aux résonances multiples et contradictoires – entre émotion, convoitise et répugnance ; un inventaire à la Prévert, un caddie rempli de merde exquise, avec à l’avant son petit siège mobile où les enfants s’installent, pour que le supermarché devienne un grand manège. Les années 90 : une ruine alimentaire, une madeleine de Proust industrielle, moulée dans les usines rouillées de ma mémoire. Qui nous rendra notre enfance adorée ? Qui me laissera tremper mes petits écoliers dans l’eau chaude de mon passé ? Je me souviens de mon entrée dans l’âge adulte, en première année de droit. L’envie me prenait, dans mes bons jours, de me cuisiner quelque chose. Par exemple, un repas composé d’un steak Charal et de haricots Bonduelle, avec en dessert une compote Andros. C’était ma définition d’une alimentation saine. J’étais content de moi. Dans la foulée, je partais rejoindre mes amis – Jody n’était d’ailleurs jamais très loin – et nous buvions jusqu’à plus soif en ferraillant les uns contre les autres, avant d’engloutir à deux heures du matin un kebab au « Carthage » tenu par Mohamed. Un train de vie que l’on ne peut soutenir très longtemps, sous peine d’alcoolisme et d’obésité. Dix ans plus tard, nous mangeons mieux, nous buvons moins, nous ne vomissons plus, et Jody est maman d’une petite Léonie qui se saoule au lait maternel et régurgite en signe de félicité.

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