19 octobre

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Dörte et Jens sont mariés depuis dix ans, point à la ligne. Point final, même. Un peu comme ces pigeons qui s’apparient pour la vie. Mais leur mariage, c’est aussi une communauté. Des choses en commun. Leur exploitation fait plus de 28 hectares. Une vaste communauté qu’il convient de gérer jour après jour et main dans la main. Pour ce faire, ils reçoivent annuellement deux subventions :

 - Premièrement, le land de Hesse leur alloue cinq cents euros par hectare et par an, parce que leur agriculture est biologique. On croirait que c’est simple et que c’est beaucoup, mais non. Dörte se bat sans relâche pour garder le robinet ouvert et ne pas sombrer, mais nous n’en saurons pas davantage sur les subtilités de la bureaucratie allemande, qui semble préférer les Goliath aux David et les gros exploitants aux petits paysans.

 - Deuxièmement, l’Union Européenne leur alloue trois cents euros par hectare et par an. Ce montant est un peu plus élevé qu’il y a quelques années car la PAC vient de mettre en place une aide additionnelle pour les 52 premiers hectares, afin d’aider les plus petites exploitations. C’est mieux, mais pour Dörte, c’est toujours de l’enfumage à l’échelle d’un pays. Le principe de l’aide à l’hectare incite les gros exploitants à vouloir acquérir toujours plus de terres, afin d’avoir toujours plus d’argent. Folle avidité qui mène à la concentration des terres, à la disparition des micro-fermes, à la diminution du nombre de paysans. Cette obsession, cette ivresse de la possession foncière dont parlait Zola dans La terre, semble aujourd’hui galvanisée par les instruments de PAC. L’effet pervers, pour le moins, d’une intention présumée louable.

Ce sont donc un peu plus de vingt-deux mille euros qui tombent chaque année dans l’escarcelle de Dörte et Jens. Façon de parler, car en vérité, le pactole est très vite englouti dans les dépenses de fonctionnement de la ferme. À la fin du mois, la vente de leurs produits ne leur permet pas d’avoir un revenu suffisant pour vivre. Il leur a donc fallu chercher un travail, en plus de leur travail. Deux jours par semaine, Dörte est assistante sociale dans une maison d’enfants victimes d’agressions sexuelles. Quant à Jens, moyennant salaire, il enfile de temps en temps ses habits de bûcheron dans le village d’à côté – d’où les gros bras. Tout ça pour s’en tenir à la portion congrue. Nos deux hôtes ne prennent pas de vacances, et ne sont d’ailleurs jamais montés dans un avion. Plein de sa bonhomie déjà proverbiale, Jens déclare que la place où il s’assoit lors de chaque repas, dans la cuisine, en bout de table, est un endroit duquel il ne veut pas s’éloigner. C’est sa vie, son territoire. Il ne quitterait pas sa ferme pour un empire. Il est enfermé, pour son plus grand bonheur. Un court silence. Et cette nouvelle affirmation, pour lui-même, en avançant la lippe : « Ja ja ja ».

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