1er novembre, Arnhem

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Hollande, automne, les pieds trempés, les bras du Rhin, les fish and chips (ou lekkerbek), les maisons toutes gothiques, le quartier moderne édifié sur les ruines de la guerre, et là-dessus la nuée d’encre noire qui pèse lourd, si lourd, où les goélands rôdent à l’affut de mon morceau de poisson frit… Arnhem, nous te rencontrons sous un jour ténébreux. Marie s’est encapuchonnée comme un moine, elle met ses bras en croix pour communier avec le ciel. J’enfonce un bonnet beige avec pompon sur ma tête, je croise les bras pour me réchauffer. Là-bas, derrière l’église, un coffee-shop, un havre où se détendre, où flotter dans les airs. En vitrine, des cigarettes en cône, renflées par la quantité d’herbe. À l’intérieur, des serpents de fumée se faufilent dans l’atmosphère, s’insinuent dans les poumons pour injecter le vicieux venin. Parmi les clients, tous les âges et toutes les classes. Au fond, certains sont dans leur bulle, ils s’amollissent en écoutant de la musique avec un casque. Un autre est concentré, s’est fondu tout entier dans son livre. Deux jeunes femmes jouent aux dames, en rigolant fort, en bougeant n’importe comment les pions noirs et les pions blancs. Tous les yeux sont mi-clos, dégrevés des mille soucis du quotidien. Mille, partis en fumée. Comme la pluie s’est arrêtée de tomber, Marie et moi ressortons dehors afin de consommer notre friandise en toute quiétude, en flânant dans le charmant centre-ville. Mais très vite, un doute nous assaille : a-t-on vraiment le droit de fumer dans la rue ?

À la terrasse d’un pub, alors que je demande un briquet, j’en profite pour poser la question. Tout en inhalant quelques bouffées, j’apprends qu’en théorie, fumer n’est pas autorisé ailleurs que dans un coffee-shop ou chez soi. Toutefois, en pratique, à moins de tomber sur un flic pointilleux, la tolérance est de mise, et ce n’est pas rare de croiser des passants consommant leur joint dans la rue. D’ailleurs, il y en a un, là – dit l’homme en me désignant du doigt, tout sourire. Fort rassuré, je repars d’un pas décidé vers Marie qui patiente au coin de la rue. Quand soudain, une voiture de police arrive au moment même où je passe le pétard à Marie. Je me fige, tel un lapin pris dans les phares, puis, sans réfléchir, pivote un peu trop sur moi-même et me retrouve le nez collé au mur de la ruelle, éclairé par un néon agressif, en flagrant délit de rien du tout. La voiture passe à faible allure, et je reste avec mon coin de mur, en pleine montée, comme englué dans la défonce. Plantée devant le mur d’en face, Marie fait au moins semblant de lire le menu d’un restaurant fermé, je la trouve bien plus convaincante. À l’image d’un caméléon, ses cheveux se confondent à la couleur de la façade en brique. Si bien que la voiture poursuit son chemin, puis nos deux regards se croisent et font naître un long fou rire douloureux pour les zygomatiques. Essuyant nos pleurs, nous décidons d’aller manger des frites de patates douces, affublés de nos petits yeux de Chinois. Un festin des plus gras, c’est à qui grossira le plus vite. J’en oublie mon dos froissé par les coups de fourche à la ferme – le cannabis est le meilleur des antidouleurs. Il favorise aussi les coups de fourchette, en sorte que nous reprenons illico une autre tournée de frites. Dans notre état, je crains fort que leur stock de patates douces ne soit pas suffisant.

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