18 mai, Bran

2 minutes de lecture

Nous sommes suivis – ou bien nous suivons. Depuis dix jours, un couple de Néerlandais, fort sympathique au demeurant, ne cesse de croiser notre route. Ici sur un parking, là dans une aire de camping-car. Quatre fois que nous les quittons pour de bon. Quatre fois que nous les retrouvons, les bras ouverts en lâchant pour de rire : « Encore eux ! » La première fois, tandis que nous logions chez l’habitant, dans un village bulgare, Thijs et Nicolien ont eu l’amabilité de nous donner plusieurs knacki (nous n’avions pour pitance que des légumes en train de griller sur le barbecue). S’en est suivi mise en commun des vivres et tablée bruyante et joyeuse. La deuxième fois, nous nous sommes retrouvés tout en bas de la Tranfagarasan, route éventrant la muraille des Carpates, et dont le tracé méandreux procure soi-disant les meilleures sensations de conduite au monde. Je veux bien le croire au volant d’une Ferrari, mais pour ce qui est de notre Bucéphale et de leur gros camping-car, c’est une autre paire de manche. La troisième fois, sur un terrain bocager, nous avons surpris nos deux joyeux drilles en pleine partie de badminton, avec en guise de filet les Carpates. Le volant s’est perdu dans les cimes, et nous avons déployé la nappe afin de piqueniquer, de ranimer ces sympathies naissantes et mutuelles. Enfin, pour la quatrième fois, nous retrouvons Thijs et Nicolien au pied du château de Bran, où Vlad l’empaleur – alias Dracula – empalait les malfaiteurs pour rendre justice, avant de sucer leur sang jusqu’à satiété. Légende qui terrifie leurs deux jeunes enfants, Huub et Hanneke, chez qui l’idée du vampire n’avait pas encore fait irruption, dans un monde angélique où le père Noël régnait sans partage.

Le destin prend parfois plaisir à réunir les voyageurs que les routes avaient brutalement désunis. Il faut savoir en profiter, car bien souvent, les gens croisés sur ces chemins ne sont que des étoiles filantes : à peine ont-ils jailli qu’ils disparaissent, et vous ne voyez plus qu’une vague traînée qui finira par s’estomper dans le grand ciel ténébreux des souvenirs.

Sur ces terres transylvaines où planent de sombres histoires de vampires, ce n’est pas du sang que nous boirons ce soir, mais du vin. Du vin rouge de chez Lidl, accompagné de plusieurs mélanges de fruits secs. Il faut bien tous ces amuse-gueules pour regarder la finale de l’Eurovision. Thijs et Nicolien disent que c’est un évènement capital, à ne manquer sous aucun prétexte – les Pays-Bas sont en lice pour la victoire ; pour nous, c’est l’occasion de boire avec des copains du vin rouge – la France. Au bout d’une heure, Marie supporte les représentants de la Slovénie, dont les voix timides et feutrées l’attendrissent. Je jette mon dévolu sur le chat roumain qui dort sur la télé, et qui parfois relève la tête et miaule quelques vocalises. Et puis, l’alcool oblitérant la raison, nous votons pour la Macédoine du Nord ! Regarder l’Eurovision, c’est comme lécher l’intérieur d’un Prince : on le fait goulûment, mais discrètement. À la fin, les Pays-Bas décrochent le pompon, Thijs et Nicolien se resservent un verre avec le sourire, et nous trinquons à l’Europe orange en leur promettant de passer les voir à Utrecht, sur le chemin du retour qui nous paraît si loin.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Martin Leabhar ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0