Avec le temps ! ¹

4 minutes de lecture

Où sont passées mes plus belles années ? ²

Tout en douceur, à chaque seconde, le temps me file entre les doigts, glisse de mes mains et je ne peux rien entreprendre pour le retenir à part peut-être me souvenir.

Mille images me reviennent, m'assaillent en avalanche, succession de flashs, façon stroboscope, qui jettent sur moi leur hier si volatile dans mon présent.

*

Étais-je plus heureux que maintenant ?

J'éprouve quelque difficulté à le savoir et parfois mon esprit délibère encore.

Avec patience, je reconstitue par petits bouts, ces souvenirs, ces échanges de bribes de conversation avec mes frères et ma sœur, ces lettres pales et jaunies retrouvées dans la maison de mes parents, ces photographies captives et imprégnées d'un passé qu'elles délivrent au regard comme à l'ouverture d'une boîte à musique.

Il me vient le bien et le mal et la douleur parfois.

Il me vient le sourire, les éclats de rire et les larmes aussi.

Je me sens l'hiver et l'été à la fois, tous deux mélangés avec leurs excès, mêlant au froid vif qui pince le bout de mes doigts, ces rivières de sueur qui ruissellent dans le creux de mon dos et s'insinuent insidieuses au bas des reins. À la réflexion, sans doute serait-ce pour cela que je préfère aujourd'hui les saisons plus douces et apaisantes. Le printemps qui apporte ses fleurs en messages d'un renouveau et l'automne qui dépose au sol ces feuilles ocres, dorées ou brunes comme autant de poésies sur mon cœur et dans ma vie.

*

Je revois ce petit garçon, plein de curiosité, de doute et d'insouciance, mais aussi surchargé comme une pile, du monde qui l'entoure. Absorbant telle une éponge les joies, les peurs et les aigreurs des adultes, il tente de grandir à l'ombre de ses deux parents-enfants qui eux-mêmes se cherchent et doutent.

Je tourne les pages de vieux albums-photos à la couverture de cuir doré mangé par les outrages du temps. Me voilà qui apparait, bien habillé de vêtements de couleur claire, sur cette photo ancienne en noir et blanc marchant dans la rue. Tenant la main de mon frère, nous portons dans nos pas le souvenir récent des villes exotiques de nos naissances, Constantine et Oran. Dans cette Algérie française s'agitent et se meuvent des peuples avec violence vers l'indépendance.

Je cherche, Je devine !

Ce doit-être une place, une rue dans la cité de Montpellier ! Il me vient le vague souvenir que des photographes proposaient souvent avec insistance et parfois à ma mère, de nous prendre en photo. Difficile de savoir avec précision, de mettre un âge sur ces beaux visages, de poser le millésime d'une année, alors je dirais 1961 ou 1962. L'ambiance, les façades et les devantures, le style vestimentaire de la mode de cette époque sur les personnes qui s'agitent en arrière-plan.

Faisant face au voleur d'images, je m'avance, attaché à mon frère Patrick, de presque trois ans mon cadet. Je décèle dans son regard qu'il éprouvera toute sa vie, les émois d'un écorché vif. Et cette idée me vient que dans le ventre de ma mère, nous aurions vécu le monde à travers ses angoisses et ses inquiétudes. Femme souvent seule avec de jeunes enfants, suivant à distance ou proche de lui, l'homme de sa vie dans un parcours jalonné de péripéties pour rejoindre une formation d'officier dans l'Intendance à l'école militaire de Montpellier.

*

En vidant la maison de mes parents au décès de ma mère en 2019, j'ai mis la main sur des lettres manuscrites, une bonne centaine, écrites par mon père. Elles représentent une mine d'informations car elles reflètent les échanges, pour moi inconnus, d'un homme et d'une femme qui se cherchaient, s'aimaient et qui tentèrent d'affronter un quotidien difficile, d'améliorer leur statut social.

Il manque les réponses de ma mère. Ne les a-t-elle pas gardées ?

Je sais que toute sa vie, elle n'assuma pas toujours qui elle était, capable de froisser ou de déchirer des photos en refusant son apparence physique. Alors s'agissant des mots qu'elle écrivit, je pense qu'elle les effaça pour ne plus se relire telle qu'elle fut.

En se mariant, mes parents s'affranchirent de leurs propres familles dans lesquelles ils cheminaient avec difficulté. Cette union se vécut comme une nécessité, une émancipation, une exfiltration pour sortir de leur gangue familiale, des chrysalides qui voulaient devenir des papillons.

Alors de la lecture de cette relation épistolaire, je ne garderai qu'un seul regard porté par les mots de mon père et certaines allusions de sa part face aux incertitudes, aux colères ressenties par ma mère, ces moments de chagrins, les difficultés financières, les déménagements de garnison en garnison.

L'Armée s'évoque souvent comme une Famille. Je lui ai consacré 25 ans de ma vie. Pour qui ne le saurait pas, elle impose un véritable sacerdoce et une grande abnégation dans lesquels se diluent les membres de sa propre famille, considérés parfois pour de simples bagages, destinés à accompagner le héros et à le réconforter.

*

Avec le recul, je comprends mieux ce qu'ils vécurent et traversèrent.

Je vais à présent me laisser glisser dans les plis du temps.

Je ressens ce besoin de rendre, à mes émotions et à mes sentiments, la véritable couleur du passé. Je me dois de partir en voyage, dans un récit pour me retrouver, flirtant avec ces souvenirs de lumière et de papier, ces images mentales, ces échanges fraternelles, ces morceaux de ma vie.

=O=

(¹) Interprété par Céline Dion " Avec le temps " en 2016

youtu.be/PzD3OxjwjsU

(²) Grand Corps Malade & Kimberose " Nos plus belles années "

youtu.be/oVB92jV9za0

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