Ni roi ni Cardinal

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II

Les montagnes derrière, les montagnes devant, ce sont leurs plaines et leurs vallées qui dévoraient mes jours et mes nuits en attendant… d’aller voir si elles bataillaient toujours autant, en mieux ou en pire qu’autrefois. Cela me démangeait, je l’avoue, et dans le même temps je reportais avec soulagement ce courage et ma curiosité…

Elles pouvaient donc attendre.

Pour l’heure, mon galop était alerte, le maniement de la bête agile, cape flottante dans les airs que je fendais sans ciller, le chapeau accroché à la selle avec la gourde, l’épée ficelée à la cuisse, chaussé de mes plus belles cuissardes, un mousqueton chargé dans son étui, pressé d’atteindre un but qui s’approchait vivement.

Je traversais la forêt qui semble infinie d’où qu’elle se regarde, à la fois drue et percée de sentiers de toutes sortes – des carrossables, des plus tout à fait, des pas encore, des qui ne peuvent l’être, ou serpentant dans la verdure, ou rectilignes quand ils longeaient l’orée, le pré, le champs, le bocage. Et c’est l’un des meilleurs de ces derniers qui défilait sous les sabots de mon animal.

Si droites puissent être les volontés et les routes de ce monde, rien ne laisse courir un cœur brave au service de son prochain sans l’arrêter quand il croise un destin qui mérite que l’on s’y penche immédiatement. Et stoppé je fus ! Cet obstacle n’aura pas même eu besoin de forcer ma bride pour me contraindre à le considérer : bien que je fusse attendu plus loin par des confrères pour accomplir une mission d’urgence, je tirai net sur les rennes à m’en briser les phalanges lorsque je vis le corps inanimé d’une peut être demoiselle, couchée là de tout son long, à la rive du chemin, visage contre terre, à moitié défroquée.

Je n’eus aucun mal à faire mon gentleman – j’étais mousquetaire ! Je chargeai la belle sur la croupe, telle couverture d’orient roulé, précieuse, délicatement, après avoir constaté qu’elle ne montrait aucun signe de vie malgré les membres secoués, les claques aux joues et aux mains, les appels insistants, l’eau fraîche sur les yeux, les paupières closes soulevées…

Et n’étant guère homme de science, j’aurais pour sûr fauté de conclure quoi que ce soit en lui prenant un pouls qui au demeurant devait être trop faible pour se détecter, à moins de savoir s’y prendre. De ce fait, aussi bien je chargeais un cadavre qu’une malheureuse en survie. Je l’ignorais, donc fis la besogne comme si l’option la plus encourageante était la bonne, puis la portai à mes compères, au trot mesuré, dans l’espoir que l’un d’eux saurait où la conduire et rapidement…

Ils m’ont reçu, cela s’entend mais grimaçants, impatients, agacés, sans oublier de me lancer le tort du retard avant de se raviser en voyant la victime. Pour sa chance, on me dit qu’elle était la fille d’une qui habitait seule dans les hauteurs et le même connaissait l’endroit. Nous nous y rendîmes sans débat. Elle était là. Nous fûmes remerciés et elle fit quérir le docteur par un voisin dans la foulée. Le tout en une heure peut-être. Nous avions à faire, donc je promis de repasser et nous allâmes sans nous attarder davantage.

*

Loin d’un mousquetaire de roi ou de Cardinal – l’un pavané de noblesse, l’autre riche de morale pour l’ivrogne à la sortie des fêtes et des tavernes – nous étions sur ces sols la basse justice coutumière, celle des rues et des campagnes. Sans trompettes ni tambours. Sans bannière pour nous annoncer. Sans médaille à notre cou pour l’honneur et l’hommage. La troupe régulière pour la part du peuple indiscipliné. Notre labeur le plus fréquent consistant à assurer la milice d’une bastide et des cités environnantes, qu’elles soient fortifiées ou ne le soient pas, afin de maintenir ou rétablir l’ordre, notamment les jours dérangés, puis veillant à la sécurité des évènements habituels tels que les marchés.

Et celui qui nous attendait avait décidé de nous rendre la tâche difficile à souhait, cumulant sans vergogne tous les motifs. C’est à dire que nous eûmes à la fois les marchands, plusieurs dizaines sur une place surpeuplée, ébranlée par des agitateurs, ou nombreux ou prompts à disparaître et un affolement généralisé ; alors que nous répondions au simple signalement de malfaiteurs qui sévissaient par grappes parmi la foule et les étals…

Nous nous croyions jusqu’alors invulnérables puisque armés, aguerris, chevauchants au milieu de piétons ou de charrettes tractées par des baudets. C’est pourquoi nos interventions étaient tant appréciées, louées, désirées, parfois même acclamées à nos arrivées. Cette mission en était devenue notre gloire, notre fierté. L’on se faisait un devoir supérieur d’accomplir le devoir ordinaire. Les gens se poussaient volontiers pour nous laisser passer, on nous encourageait, nous interpellait pour remercier et quelquefois nous repartions même avec des offrandes – aliments, alcools, fleurs, coutelas finement affûté, breloques de valeur sentimentale, collier de perles pour notre dame...

Ce jour là fut très différent.

Nous eurent principalement le chaos, la panique, l‘étonnement, les regards cinglants, les poings levés, des scandales par instants. C’était comme si nous surgissions à la surprise de tous, ni attendus ni désirés ou véritablement trop tard. Plus personne ne paraissant nous reconnaître, l’on passât pour les indésirables dans le désordre mémorable. Partout ça se bousculait : pour déguerpir, se frayer un chemin, exiger ceci, refuser cela, provoquer untel, se battre avec un autre, protéger un enfant ou l’ancêtre, chercher quelqu’un en appelant…

En bref on ne comprenait rien à la situation qui dégénérait, nulle part un garde ou un quidam pour nous l’expliquer. Se pouvait-il que notre retard ait laissé s’envenimer la situation et à ce point !? Notre sentinelle n’avait été prévenue que de gangs errants et soupçons de corruption marchande avec vol à l’étalage, dispersés dans la masse. Pas de foule en panique et de désordre complet.

Enfin et pour clore l’aventure qui manquait sûrement de piment sans cela, l’on se fit prendre à revers par une bande de cavaliers jaillissant d’un guet-apens quelque part pour fondre sur nous à la sortie de la citadelle ! Chose d’autant plus improbable que nous étions toujours les seuls à cheval en pareille circonstance !

Le duel fut musclé, nous n’eûmes le dessus que de justesse, après un prompt renfort, les contusions, les blessures, des épées fracassées et quelques frayeurs puisque les malfrats étaient pourvus de pistolets, et de sabres.

Une authentique embuscade que l’on apprit plus tard issue de la forêt que j’avais traversé…

À se demander s'il n'y avait pas là un lien avec la demoiselle !

Finalement, comme par magie, la foule s’était calmée peu après la mise en échec des bandits organisés, leurs acolytes évaporés (apeurés probablement).

De ce jour étrange l’on aura reçu l’enseignement que le danger ne vient pas toujours d'où se commet le plus de bruit et que la diversion est un piège à prévoir.

*

Quand je passai aux nouvelles dans les collines, je fus accueilli en roi par la mère et mieux que toute espérance.

Larges sourires aux bras ouverts, la fille remise et déjà repartie vagabonder, des présents trop généreux pour nous quatre sur la table : pains frais du jour, panières de fruits, bouquets hauts en couleurs et jambons salés pour la semaine. Je n’aurais rien pu faire pour les lui refuser, elle me les aurait fourré dans les bras. Et là-dessus l’invitation pour dîner le soir même ou un jour de notre choix, comme si sa fille était la reine du pays, sa perle précieuse, l’inestimable à ne perdre sous aucun prétexte ou qu’elle fut sauvée d’une mort assurée.

Je n’ai rien pu apprendre sur les causes et le mal qui l’avait terrassée. Je su seulement qu’elle s’était remise avant que le jour suivant s'achève, au terme d'un long sommeil que l’on aurait dit coma, infusions et mixture médicale au réveil.

En repartant, la monture chargée de ma part d’offrandes, je revis la demoiselle qui me les avait valu, dans cette même foret et le spectacle de son état me fit un grand choc cette fois, je fus secoué, sidéré, au point de préférer passer mon chemin que d’aller voir. Je l’avoue, j’eus trés peur… un mousquet braqué sur ma tempe ne m'aurait pas fait pire sensation !

La pauvre s’agrippait, avec si peu de linge qu’elle était comme nue, aux troncs les plus larges des arbres les plus élancés, tantôt hurlante, tantôt ressassant des paroles en litanies inintelligibles, le regard figé vers les sommets !

Etait-elle donc folle, dans une transe délirante, possédée !?

Plus tard à travers la contrée, on évoquait la sorcellerie, la démence soudaine de ses comportements quand elle se trouvait seule quelques heures, laissant entendre qu’elle communiquait avec les esprits, les défunts, les arbres, qu’elle aurait été initiée à quelque sabbat par la sorcière des alentours… et autres rumeurs que je ne voulus entendre ou croire.

Une seule certitude en tout cela : elle avait définitivement gravé ma mémoire.

2013-2023

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