Chapitre 19

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Aeris Daserion

 Trois jours après mon départ, je me trouvais sur la plus grande route commerciale de tout Extyria, la Voie des Marchands, en direction du Sud. Elle commençait à partir de Mhala et se divisait en deux chemins distincts. L’un passait par l’Yndran, longeait la chaîne de montagne sur la frontière de la Chyline et se terminait en Sylis du Nord, et l’autre passait au travers la Chyline pour aboutir en Sylis du Sud. Cette dernière était séparée en deux. Les nymphes et les élémentaux avaient chacun leurs éléments propre donc le territoire influait l’endroit où ils s’installaient. Avec le temps, la population avait migré et s'était retrouvée aux deux extrémités du continent.

 Le soir venu, un vent frais s’était levé et j'ai dû m’arrêter en raison du froid qui commençait à engourdir mes jambes. Si j'avais été en mesure d’utiliser ma magie, j’aurais essayé de changer la température du vent ambiant pour ne plus avoir froid, mais c’était impossible. Je fis donc un campement derrière une rangée d’arbres qui longeait la Voie pour éviter d’être dérangée par de potentiels voyageurs, et m’empressai d’amasser une pile de bois sec, si possible, pour allumer un feu. Il avait plu la nuit dernière alors les rameaux morts jonchant le sol n’avaient pas tout à fait séchés depuis. Avec difficulté, je réussi enfin à faire briller une minuscule étincelle sur les brindilles dans le creux de mes mains. La flamme engloutit le bois et je dû déposer prestement le tout sur le sol pour éviter de brûler mes paumes.

 Mon sac en toile près de moi, hors de porté du petit brasier, me fit de l'œil lorsque mon estomac se mit à gargouiller de manière incontrôlable. De ce dernier, je sortis une pomme et un morceau de viande de lapin que j’avais cuit le matin même lors de mon déjeuner. Il était dur, mais mangeable. Ça allait suffire pour ce soir. Je devais commencer à rationner le peu de nourriture qui me restait si je voulais me rendre en Sylis sans être complètement affamée. Il me restait un très long bout de chemin à faire avant d’y arriver. Je me décourageai en pensant que j’allais peut-être dans la mauvaise direction. Si ça se trouvait, la personne que je cherchais se trouvait en Sylis du Nord et non au Sud. Je chassai ces pensées pour me concentrer sur mon festin de roi.

 Alors que mon esprit divaguait dans la danse hypnotisante des flammes, j’eus un étrange pressentiment. Je sentais que quelque chose était arrivé à Mhala, mais décidai d’ignorer ce sentiment et d’essayer de dormir après avoir couvert le feu de camp. Seuls les dieux savaient que je n’aurais pas dû le faire. Les cauchemars qui survinrent lors de cette nuit me terrifièrent jusqu’au plus profond de mon âme et je savais qu’ils avaient rapport à cette bizarre intuition. Tout au long de la nuit, je ne cessai de me réveiller en sursaut et en sueurs à intervalles irrégulières.

 Lors de la troisième fois, vers le milieu de la nuit, je me levai pour prendre une gorgée d’eau pour dissiper la brume dans laquelle mon esprit se trouvait. Sous le clair de lune argenté, un rectangle blanc attira mon regard. En m’approchant, mon subconscient fit son possible pour m’empêcher de faire un pas de plus vers l’objet. Mon pressentiment grandit en découvrant ce que c’était : une lettre cachetée du sceau du bureau de poste de Mhala, à mon nom. Au bas se trouvait l’écriture fine - quelque peu tremblotante - de mon amie Elise. Je ne voulais pas l’ouvrir, mais la tentation gagna sur la prudence et je le regrettai avec amertume. Le cachet brisa sous mes doigts agités

Aeris,

Au diable les formalités d’une lettre conventionnelle ! Rien que de penser à ce qu’il vient d’arriver me fait monter les larmes aux yeux et je ne peux me contenir. Nyra a été assassinée de sang froid la soirée de ton départ. Je sais que tu as besoin de te rendre en Sylis, mais ne reviens pas s’il te plait. J’ai assez pleuré, même si je le pouvais je continuerai, et je ferai tout mon possible pour lui donner des funérailles dignes de notre petite fée. Dès que ce sera fait, je partirai de Mhala. Je ne supporterai pas plus longtemps l’idée de savoir que son meurtrier est toujours libre dans la nature ou encore dans la ville, mais je sais qu’il est partit. Il paiera pour son crime et Nyra sera vengée. Je te laisse la note que ce scélérat m’a laissé chez Cellya.

Je sais que je ne devrais pas fouiner, mais je n’ai plus d’autres choix au point où j’en suis. De plus, Nyra soupçonnait Kaleb de cacher quelque chose lorsque nous nous sommes quittées après ton départ. Je souhaite de tout mon coeur que ce n’est pas vrai, mais je dois faire ma petite enquête de mon côté. Je te ferai parvenir une nouvelle lettre lorsque j’aurai fait des progrès.

Elize

 Le cœur au bord des lèvres, je déchirai la lettre en mille morceaux d’un geste sec. C’était trop dur à absorber d’un coup. M’adossant au tronc de l’arbre le plus près, je me mis à sangloter en silence dans le creux de mes genoux. Le visage baigné de larmes salées, je montai mon regard vers la lune dont ses reflets pâles me rendirent encore plus triste. Malgré qu’elle se trouvait haute et loin de moi, elle semblait me renvoyer des coups d'œil désolés au travers des rayons brumeux qui perçaient la canopée. Je ne sus combien de temps je restai là, assise le regard vers l’astre sous lequel j’étais née, le chagrin me rongeant de l'intérieur. J’étais à la fois sereine et déchirée, et pourtant, j’avais une immense boule d’émotion dans la gorge qui bloquait toute parole. J’avais du mal à me rendre à l’évidence, cependant, au fond de moi, je savais que c'était bel et bien vrai. Réticente, je me couchais contre le tronc, qui, autant étrange que cela paraissait, m’apportant un peu de réconfort dans cet instant de malheur, me permit de dormir un peu, mais sans grand succès.

 Le lendemain, je me réveilla courbaturée et vidée de toute énergie. Je ne voulais pas faire un pas de plus, mais je n’avais pas le choix : je devais me rendre en Sylis pour trouver ce Vagnir Magus. C'était ma seule piste concernant la prophétie.

◊◊◊◊◊

 La Sylis du Sud se trouvait devant moi, à un pas, séparée par une frontière invisible. Aussi soulagée étais-je, ma destination finale n’était pas là. Je traversai la frontière d’un pas hésitant et continuai ma marche. Quinze jours. C’était ce qu’il avait fallu pour me rendre à la lisière des pays. Décrochant ma carte de ma taille, j’en profitai pour observer les environs. Il n’y avait rien sur des kilomètres à la ronde. Les élémentaires préféraient construire leurs villes et villages un peu cachés, hors de la vue donc ça allait relever du défi pour en dénicher un. La plaine sur laquelle je marchais depuis déjà quelque jours se transformait peu à peu en une étendue aride où un chemin de pierres craquelées nous indiquait la direction à suivre. Difficile à croire que je me situais toujours sur la Voie des Marchands alors que c’était si désert. Je savais que la Voie menant en Sylis du Nord était plus utilisée, mais j’étais sous l’impression que c’était aussi le cas pour celle du Sud. Je m’étais trompée.

 La Voie continua sur plusieurs kilomètres encore jusqu’à ce qu'elle disparaisse complètement devant un pan de falaise peu haut. Perturbée, je jetai un regard à la ronde pour vérifier que le chemin ne continuait pas plus loin et à ma grande surprise, c’était le cas. Je n’aimerais pas me perdre dans cette étendue déserte. Tout en marchant, je fis bien attention où je posais les yeux pour repérer un village quelconque. Lorsque ce sera fait, il faudra que je demande aux habitants si l’homme que je recherche est toujours en vie, et si oui, où il se trouve.

 Plus j’avançais dans le pays, plus c’était aride et plus la chaleur devenait étouffante. Au début, je me débarrassais de mon veston et ce fut moins pire. Au fur et à mesure que j’avançais, cette canicule pesais sur mon dos et je commençai à ralentir. Après un moment, je décidai de sortir ma gourde d’eau de mon sac pour me rafraîchir, mais comble de mon malheur, il n’y avait plus une seule goutte à l’intérieur. Ma gorge était desséchée et il ne me restait presque plus de nourriture. Je devais tenir le coup. De plus, ce n’était pas comme si je pouvais chasser. Il n’y avait rien où je me trouvais. Pas un cerf, pas un lièvre, que des virevoltants roulant au gré des brises chaudes. Je me demandais vraiment comment les élémentaires pouvaient vivre dans cet endroit aride.

 Pour éviter l’évanouissement prochain, je me mis à marcher plus vite pour couvrir plus de terrain en peu de temps. Je devais absolument me procurer de l’eau d’une quelconque manière. Un pas devant l’autre j’avançais à pas lourd - je ne pouvais pas aller plus vite vu ma faiblesse même si je l’avais bien voulu - et ma vue se brouillait. Dans mon champ de vision zigzaguait des vagues de chaleur et, bientôt, les contours des falaises se firent indistinguables. Alors que je perdais espoir, j’entendis, aussi faible fût le son, le léger murmure d’une source d’eau. Il était tout près, mais si loin à la fois. Haletante, je rassemblais mes dernières forces pour m’y rendre. Il y avait une crevasse dans la falaise, un peu plus loin et d’où l’eau coulait doucement. Accourant vers la source, mon désarroi fut immense. Ce n’était pas de l’eau. Il n’y avait rien. Pas de crevasse et certainement pas d’eau non plus. Ça n’avait été qu’une invention de mon esprit sous cette chaleur accablante. Je m’écroulai tomber sur le sol sablonneux et laissai les bras réconfortants de Seiren m’emporter vers un profond sommeil.

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