Interlude : Malherbe

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Bon, vous allez me dire : « facile, c'est un interlude, autant dire que c'est pas elle qui l'écrit ». Certes. Mais il faut bien recopier les mots des autres, non ? Et ça, ça fait jouer des phalanges.

Au passage, je ne corrige pas les fautes de mes chapitres ici parce que vos annotations et réactions sont trop savoureuses pour laisser l'éditeur me les effacer, je m'excuse donc pour les coquilles, en outre il ne s'agit pas vraiment d'un texte à haute portée littéraire, mais plus d'un partage autour d'une bière ou d'un café/thé/chocolat (rayer la mention inutile) et surtout, autour de bons livres !

Avant de vraiment rentrer dans le classicisme à travers ses auteurs phares, je tenais à poser ici une lecture un peu particulière, car c'est une époque qui me pose problème. Le classicisme est en effet l'époque qui selon moi a le plus apporté à notre littérature comme celle qui lui a été la plus néfaste. Pour vous rendre compte de cet étonnant paradoxe, l'interlude du jour se portera sur Malherbe, car c'est lui qui a posé les dogmes de l'école classique. Certes, Boileau le reprendra dans son "Art de la poétique", mais il viendra après les auteurs dont j'ai l'intention de parler tandis que Malherbe, lui, est l'initiateur de tout ce phénomène.

Malherbe, nommé aussi « tyran des mots et des syllabes » était dans sa jeunesse un fervent admirateur de Ronsard et de l'époque baroque. Mais, devenant théoricien, il a foutu tout ça à la poubelle pour une quête qui va le hanter toute sa vie jusqu'à son lit de mort, qui va lui valoir pas mal de critiques aussi : la quête d'une langue épurée et dépouillée, marquée par la solennité et la recherche de grandeur. Devenu poète officiel du roi Henri IV, il en gardera le titre et les faveurs sous la régence de Marie de Médicis et le règne de Louis XIII, jusqu'en 1628, année de sa mort.

Cette quête fut souvent targuée d'élitiste. Je pense que ce serait une erreur de confondre la rigueur, la recherche d'absolu de Malherbe et un quelconque élitisme. Malherbe, dans cette idée, visait à rendre la langue française accessible à tous, aux nobles comme au peuple, car plus limpide, plus claire, plus stéréotypée aussi (je vous rappelle que c'était le foutoir). Cette intention d'égalité dans l'accès à la langue écrite et à la poésie, c'est sans doute ce qui a donné des règles aussi rigides : coupes à l'hémistiche pour les alexandrins, absence de rejet, interdiction des hiatus, pas de rimes faciles, etc.

Rendre la langue accessible à tous, c'était son intention dans cette quête du bien écrire, cela rend Malherbe bien plus moderne qu'on le croit. Mais je vous laisse réfléchir à ce qu'entraîne la quête d'égalité au point de refuser le droit à la différence.

Je vous livre ici quelques lectures, non pas de Malherbe, ce serait trop simple, mais de ses contemporains, afin de mieux comprendre peut-être la vie de celui-ci et le caractère bien trempé d'un personnage si passionné par sa cause qu'il était capable de rembarrer ses pairs comme le roi lui-même (ça vous montrera aussi la difficulté d'accorder la langue à cette époque et l'anecdote de la cuillère/cuiller).

Monsieur de Thermes reprenant Racan d'un vers qu'il a changé depuis, et où il y avait, parlant d'un homme champêtre,

Le labeur de ses bras rend sa maison prospère.

Racan lui répondit que Malherbe avait usé de ce mot, prospère, en ce vers :

Ô que la fortune prospère.

Malherbe qui était présent, lui dit brusquement, hé bien morbleu, si je fais une sottise, en voulez-vous faire une autre ?

Quand on lui montrait quelques vers où il y avait des mots superflus, il disait que c'était une bride de cheval attachée avec une éguillette.

[...]

Il ne pouvait souffrir que les pauvres demandant l'aumône, disent noble Gentil-homme, il disait que noble était superflu, et que s'il était Gentil-homme, il était noble.

[...]

Une fois, le Roi Henri le Grand, lui montrant la première lettre que le feu Roi Louis XIII avait écrite à Sa Majesté, Malherbe ayant remarqué qu'il avait signé Lois au lieu de Louis, demanda assez brusquement au Roi si Monseigneur le Dauphin avait nom Lois ; le Roi étonné de cette demande voulut savoir la cause, Malherbe lui fit voir qu'il avait signé Lois et non pas Louis, ce qui donna lieu de quérir celui qui apprenait à écrire à Monseigneur le Dauphin, pour lui enjoindre de lui faire mieux orthographier son nom, et voilà d'où vient que Malherbe dit être cause que le défunt Roi s'appelait Louis.

[...]

Il y eut une grande contestation entre ceux du pays d'Adiousias, qui étaient tous ceux de la Loire, et ceux du pays de deçà, qu'il appelait du pays de Dieu vous conduise ; savoir s'il fallait appeler le petit vase, dont on se sert pour manger le potage, un cuiller ou une cuillère, la raison de ceux du pays d'Adiosias, d'où était Henry le Grand, ayant été nourrie en Béarn, était que ce mot étant féminin, il devait avoir une terminaison féminine. Le pays de Dieu vous conduise alléguait outre l'usage qu'il n'était pas sans exemple de voir des mots féminins avoir des terminaisons masculines et qu'ainsi l'on dit une perdrix et une met à Boulanger ; enfin cette dispute dura si lon-temps, qu'elle obligea le Roi d'en demander à Malherbe son sentiment et son avis fut qu'il fallait dire cuiller. Le Roy néanmoins ne se rendant point à ce jugement, il lui dit ces mêmes mots, Sire, vous êtes le plus absolu Roi qui ait jamais gouverné la France et avec tout cela vous ne sauriez faire dire de deçà la Loire une cuillère, à moins que de faire dépense une peine de cent livres d'amende de la nommer autrement.

Monsieur de Bellegarde, qui était Gascon, lui envoyant demander lequel était mieux dit de dépensé ou dépendu, il répondit sur-le-champ que dépensé était plus Français, mais que pendu, dépendu, rependu et tous les composés de ce vilain mot qui lui vinrent à la bouche étaient plus propres pour les Gascons.

Honorat de Bueil de Racan, « La vie de Malherbe » dans Divers traités d'histoire, de morale et d'éloquence, 1672.

On dit qu'une heure avant que de mourir, après avoir été deux heures à l'agonie, il se réveilla comme en sursaut pour reprendre son hôtesse, qui lui servait de garde, d'un mot qui n'était pas bien Français à son gré et comme son Confesseur lui fit réprimande, il lui dit qu'il ne pouvait s'en empêcher et qu'il voulait défendre jusques à la mort la pureté de la langue Française.

[...]

Vous vous souvenez du vieux Pédagogue de la Cour, et qu'on appelait autrefois le Tyran des mots et des syllabes, et qui s'appelait lui-même, lors qu'il était en belle humeur, le Grammairien à lunettes et en cheveux gris. N'ayons point dessein d'imiter ce que l'on compte de ridicule dans ce vieux Docteur. Nôtre ambition se doit de proposer de meilleurs exemples. J'ai pitié d'un homme qui fait de si grandes différences entre pas et point, qui traite l'affaire des gérondifs et des participes comme si c'était celle de deux peuples voisins l'un de l'autre, et jaloux de leurs frontières. Ce Docteur en langue vulgaire avait accoutumée de dire que depuis tant d'années, il travaillait à dégasconner la Cour et qu'il n'en pouvait venir à bout. La Mort l'attrapa sur l'arrondissement d'une période et l'avait surpris délibérant si erreur et doute étaient masculins ou féminins. Avec quelle attention voulait-il qu'on l'écoutât, quand il dogmatisait de l'usage et de la vertu des particules ?

Croyons-en les anciens Pères et si vous le voulez, croyons-en même les Pères modernes. Suivons le conseil que le Père Léonard Lessius donnait à son ami Juste-Lipse. C'est assez faire l'enfant, et s'amuser à ce jeu de mots et de syllabes, il faut vieillir plus sérieusement et dans de plus graves et de plus importantes pensées. La propriété, la régularité, la beauté même du langage ne doit pas être la fin de l'homme. Il ne faut pas songer aux roses et aux violettes quand la saison de la récolte est venue.

Jean-Louis Guez de Balzac, « Remarques sur des Sermons et sur des Traités de controverse », dans Socrate chrestien, par le Sr de Balzac, et autres œuvres du même auteur, 1652.

Et le dernier extrait que je vous propose est une poésie dont le contenu reste encore terriblement d'actualité je trouve, critique à Malherbe et ses disciples, et que j'aime particulièrement :

Cependant leur savoir ne s'étend seulement

Qu'à regratter un mot douteux au jugement,

Prendre garde qu'un qui ne heurte une diphtongue,

Épier si des vers la rime est brève ou longue,

Ou bien si la voyelle à l'autre s'unissant

Ne rend point à l'oreille un son trop languissant,

Et laisse sur le vert le noble de l'ouvrage.

Nul aiguillon divin n'élève leur courage ;

Ils rampent bassement, faibles d'inventions,

Et n'osent, peu hardis, tenter les frictions,

Froids à l'imaginer : car, s'ils font quelque chose,

C'est proser la rime et rimer la prose,

Que l'art lime et relime, et polit de façon

Qu'elle rend à l'oreille un agréable son ;

Et voyant qu'un beau feu leur cervelle n'embrase,

Ils attisent leurs mots, enjolivent leur phrase,

Affectent leur discours tout si relevé d'art,

Et peignent leurs défauts de couleur et de fard.

Mathurin Régnier, Satire IX à Rapin, 1608

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