CHAPITRE 5 : L'ÉCHO
« Quarante-trois candidats restants. Félicitations. Vous avez complété “Baptême d’Acier.” »
Mon souffle est haché et ma gorge me brûle. Mon corps entier hurle à l’agonie. Chaque muscle, chaque os, chaque battement de cœur me rappellent que je suis encore là. Vivante.
Un rire sec m’échappe, étranglé, sorti d’un endroit au plus profond de moi que je ne connaissais pas. Ce n’était ni un rire de joie ni de tristesse, mais quelque chose presque inhumain.
Je tourne la tête. Le garçon est toujours là, vivant lui aussi. Un filet de sang lui barre le front. Ses yeux grands, ouverts me fixent, hébétés, comme s’il n’arrivait pas à comprendre ce que je viens de faire… Ce que nous venons de faire.
Sarah aussi est là. Celle qui nous a tirés d’enfer au dernier moment. J’ose à peine imaginer ce qui nous serait arrivé sans elle.
Je ne sens plus mon bras. Ni mes jambes. Tout s’efface doucement, comme si quelqu’un baissait la luminosité de mon corps. Je me sens partir, lentement, glissant hors de moi-même.
Quelle blague.
Mourir ici, comme ça, dès la première épreuve. Je ne serai donc jamais L’héroïne n’est-ce pas ? Comment j’en suis arrivée là ? Pourquoi ?
Je creuse dans ma mémoire, j’essaie de remonter le fil… Mais tout s’embrouille. Puis c’est le noir complet...
Quelque chose de froid me chatouille les orteils. Je sursaute. C’est… humide et étrange...
— Qu’est-ce que… ?
Je baisse les yeux.
Mister Chat, le chat de mon frère, en train de me lécher les pieds.
— Beurk ! Dégage de là, espèce de monstre poilu ! Tu sais que je déteste qu’on touche à mes orteils, c’est sacré !
Si Mister Chat est là, c’est que mon frère l’est aussi. Ce qui signifie qu’on est vendredi.
Mister chat. Mon frère. Vendredi
L’information prend quelques secondes avant d’être capté par mon cerveau. Puis d’un bon, je me redresse, comme possédée. La lumière du matin m’inonde.
Ma couverture glisse sur le sol.
Et… mon Dieu. Ça pue.
— Sérieusement, il faut que je range ma chambre, marmonnais-je.
Je me lève et descends les escaliers quatre à quatre. Et le retrouve comme je m’y attendais, lavant la vaisselle. Mon petit frère chéri.
Je l’embrasse et le serre fort dans mes bars. Qu'est-ce qu’il m’avait manqué !
— J’ai fait un rêve, Téo. Ou plutôt un cauchemar. Un truc de fou. Genre Squid Game mélangé à Hunger Games. Un jeu mortel, des robots façon Wall-E, et… attends… j’étais une anomalie !
Je secoue la tête, hilare, encore secouée par ce que j’ai vécu.
— T’y crois toi, un monde de fou ! J’ai vraiment cru que j’allais y passer !
— Je crois surtout que ton âge mental est resté bloqué à six ans, répond la voix de Téo.
— Vas-y, moque-toi.
Je me prends un verre de lait puis m’accoude sur le plan de travail observant Téo.
— Alors, toujours en train de jouer les Cendrillon ? Tu sais, je n’ai pas besoin de toi pour ça. Je sais le faire toute seule, comme une grande.
— Regarde-moi ce chaos, Noa ! Ça ne fait qu’une semaine que je suis passé et voilà que je retrouve l’endroit encore plus en désordre que la dernière fois. Si ça t’amuse de vivre clouer chez toi dans la saleté moi ça ne me fait pas rire !
Je ne réponds rien. De toute manière, ça ne servirait à rien puisqu’il a toujours raison. On croirait même que c’est moi la petite sœur gamine dans l’histoire. Je souffle d'agacement puis change de sujet pour amortir la tension.
— Dis, pourquoi tu ne m’as jamais balancée le jour où je t’ai poussé dans les escaliers, quand on était gamins ? Si j’étais toi, j’aurais pris un malin plaisir à tout leur raconter pour pourrir ta vie.
— Parce que je suis le meilleur frère du monde, évidemment.
— Ouais, c’est ça.
Il éclate de rire.
— Non, attends, je crois que je sais pourquoi. Je ne t’ai pas dénoncée parce que tu n’as pas besoin d’aide pour rater ta vie. Tu t’en sors très bien toute seule.
Je cligne des yeux. Ahurie par ce qui vient de sortir de la bouche de mon frère.
— Pardon ?
— Regarde-toi, continue-t-il en riant, une robe de princesse rose étincelante sur le dos. Tu n'arrives à rien, Noa. Même à vingt-cinq ans, tu ne fous rien. Les études ? Trop dure. Le boulot ? Inexistant. Tu ne sais même pas faire une omelette. Tu es une anomalie. Tu n’aurais jamais dû exister.
Je reste figée.
— Hein ?
La pièce change. Les murs ondulent. La lumière devient rouge. Ses habilles se transforment en costume argenté.
Et sous mes yeux, Téo n’est plus Téo.
C’est le présentateur.
Lunettes rouges. Sourire carnassier.
— Tu n’arrives même plus à distinguer le rêve de la réalité, Noa, murmure-t-il. Réveille-toi, idiote. Tu ne peux pas rester une enfant éternellement.
Sa voix se déforme, devient un écho.
— … Réveille-toi…
— Tu parles trop, je marmonne. Tu me casses les oreilles. Laisse-moi dormir…
Mais la lumière devient aveuglante.
Et le sol disparaît sous moi.

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