Le massacre

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Dans la pénombre permanente, rien ne ressemblait à rien. Le monde s’étalait dans toutes les directions, noir, blanchâtre, ou grisé. Des arbustes les abritaient à peine du vent sinistre qui courait vers elles, remuant des branches et des feuilles noires. Assises, frigorifiées, elles avaient fait un feu au milieu de nulle part, avec espoir que la fumée ne s’apercevrait pas dans le ciel noir. L’éclat du Claive était totalement occulté par la lueur orangée du feu de fortune auprès duquel Lanadria se réchauffait les mains, ses gants qu’elle avait retirés posés sur ses genoux. Elle était assise en tailleur à même le sol, et tirait la langue tant sa posture lui était désagréable.

Hallbresses pour sa part, avait les bras autour des flancs, protégeant à grand peine ses côtes contre les assauts du vent. La lueur vermeil de ses yeux où se reflétait le feu visait tantôt entre les branches quelque mouvement d’un écureuil noir ou d’une corneille nocturne, ou dardait vers la nécromancienne qui remuait ses phalanges pour permettre au sang de circuler. Hallbresses ne savait pas que penser. Une acidité hors du commun remontait dans tout son être, exacerbée par le froid qui faisait déjà bleuir sa peau blanche d’albâtre. Elle maudissait ses fins habits noirs et amples qui laissaient passer le souffle glacé comme une voile retient le mistral. Elle maudissait les hérétiques sans qui tout cela aurait pu être évité. Elle maudissait aussi, enfin, cette aristocrate étrangère, si maladroite dans sa mission. Au moins, avec la corne d’abondance cédée par les sorcières, elles ne mourraient pas de faim, mais sans les initiatives absurdes de la mordredii, elles auraient sans doute pu bénéficier de lits et d’une chaleur décente.

La nuit étant éternelle, Hallbresses n’avait aucune idée du temps qu’elles avaient passé à fuir depuis l’auberge. C’était leur première pause, et la sorcière était envahie d’une rage froide qui la brulait comme de l’acide. Son sang devenait toxique, elle croyait le sentir, et c’était un sentiment intrigant et étrange à la fois. Sa rage sourde, contenue à son seul corps et jamais extériorisée lui semblait couler dans son corps via des canaux dont elle ressentait curieusement la moindre ramification comme elles s’enflammaient une à une de fureur. Hallbresses sentait sa chair trembler, sa peau pulser, et tout à coup, elle réalisa qu’elle n’avait pas que la colère saturant son corps, puisqu’une sorte d’inquiétude venait de s’y joindre, une frayeur soudaine, et elle releva la tête. Son instinct l’avait faite tressaillir comme un lézard à l’approche des pas d’un géant.

Lanadria s’était figée. Puis se mordit les lèvres d’un air gênée.

« Ma chère, dit-elle, vous n’allez pas aimer ça. »

Hallbresses devina immédiatement ce qui se passait. Elles avaient envoyé les deux revenants faire des rondes aux alentours pour repérer d’éventuels poursuivants.

« Je ne sais pas combien ils sont. Oswald a été détruit presque immédiatement. Rufus se bat encore, seul contre cinq soldats. Il y aussi un paladin, au moins un, mais peut-être plus. Ils nous ont déjà repérés. »

Hallbresses serra les dents de rage, appliquant une telle pression qu’elle sentait presque ses gencives suinter du sang sous la violence de sa rage. Finalement, ses lèvres s’écartèrent à peine, et elle siffla entre ses dents.

« Attendez… » Lanadria s’était levée. « Avec ma nécromancie, je peux peut-être… »

Elle cligna des yeux.

« Bon sang, ils ont détruit Rufus. Quel malheur qu’il n’y ait pas plus de cadavres dans les environs… mais je suis sûre que… »

Hallbresses émit une fois de plus un sifflement serpentin. Elle venait d’apercevoir une lumière passer entre les arbres, avant de s’éteindre. Ils avaient décidé d’éteindre leurs lanternes pour approcher discrètement. Forcément, les deus sorcières étaient éclairées par leur feu de camp, aveuglées face à eux qui avanceraient depuis la nuit. Hallbresses secoua la tête, faisant dégouliner sa chevelure couleur sang, et se releva avec des crissements de douleur et de fatigue dans chacun de ses membres.

« Je vais les tuer. » cracha-t-elle en toute simplicité tout en détachant d’un geste les sangles de cuir autour de son bras gauche.

« Vous êtes sûre ? Je peux peut-être…

- Non ! Non vous ne pouvez rien !

- Je pensais que vous n’étiez pas prête à vous infliger cela. »

Hallbresses, d’un mouvement lent comme si elle en décomposait chaque étape infinitésimale, porta la main au niveau de son cœur et saisit la dague qu’elle y gardait, la dégainant rapidement pour en contempler le fil. C’était une miséricorde, la lame en flamberge, courte et fine, légèrement émoussée avec des impuretés jaillissant du métal sur les bords de la lame. La gouttière en était proprement ratée, laissant un surplus de métal qui rendait l’arme plus lourde et complètement déséquilibrée. Un soupir échappa de la bouche de Hallbresses, un souffle infecté.


Entre les arbustes, une forme blanche apparut, une livrée immaculée de Lanterneg, un homme leva son arbalète.

Hallbresses le foudroya d’un regard exorbité, injecté de haine, et dans le même mouvement, elle empoigna sa dague fermement dans la main droite, la pointe vers le bas, et frappa du fer dans la paume de sa main gauche. La douleur fusa, sa peau se déchirant et la chair se liquéfiant sous le tranchant vil de la dague, un peu de sang apparut, mais ça n’était même pas nécessaire.

L’homme se raidit sous le regard de l’hématurge, la magie invisible le foudroya, faisant se tordre et se tendre toutes ses fibres musculaires qui se déchirèrent sous la violence de l’impulsion, puis il lâcha son arme et fut pris de convulsions, hurla de douleur, porta les mains à sa tête en écarquillant les yeux au point de faire sortir du sang de leur orbites, tenta de s’arracher les cheveux, et en un instant tomba raide au sol, évanoui sous une douleur trop grande pour être supportée.

Hallbresses sonda d’un regard vermeil les environs, et repéra une trentaine de formes de vies humanoïdes. Du sang courait dans leurs veines, alors il était impossible pour eux de se cacher. Ils approchaient lentement mais sûrement. Tant pis pour eux.

Elle déchira de plus belle la paume de sa main, élargissant la plaie précédente tout en tournant son attention vers un autre soldat. Celui là hurla dès la première seconde, se mettant à remuer de manière incohérente, comme s’il essayait de courir dans une direction sujette à mutation pour fuir son propre corps. On put voir quelque chose éclater dans son bras gauche qui tomba flasque, et il se jeta au sol en larmes pour gémir alors que du sang lui sortait par tous les orifices du visage.


Ainsi, Hallbresses métamorphosait sa propre douleur en tortures dépassant l’entendement pour ses ennemis. Sa paume bientôt trop abimée, elle planta sa dague dans son poignet et dessina une horrible estafilade. Elle tremblotait sous la douleur, mais ne serrait pas les dents ni n’émettait la moindre plainte. Ses pensées étaient obnubilées ailleurs, par la haine avec laquelle elle allait décimer ses ennemis.

Il en arrivait d’autres par derrière, alors elle se retourna pour voir un homme en armure courir vers elle, lance en avant. Elle s’accorda le luxe de lui lancer un sifflement strident, comme une malédiction. L’hématurgie ne s’encombrait pas de formules, juste d’une expression bestiale et organique de la colère et de la peur. L’homme sembla s’étrangler quand elle planta plus furieusement qu’elle n’aurait voulu la pointe de sa dague dans la chair tendre et blanche de son propre avant bras. Il lâcha tout pour porter les mains à sa gorge et pousser un hurlement étouffé par des gargouillements inhumains, puis il se contorsionna, se tordit, se jeta au sol et commença à convulser en poussant de petits couinements qui n’avaient plus grand chose de supérieurs à ceux d’un chiot. Puis du sang commença à lui couler par la bouche en un débit affolant. Mais Hallbresses s’était déjà tournée ailleurs.

Un prêtre s’était avancé, traçant dans l’ait des sigles protecteurs, pour se garantir de la magie. Il eut l’audace de la regarder dans les yeux. Ses iris étaient d’un blanc éclatant dans la moiteur de la nuit, mais Hallbresses déchira cette assurance avec la minutie du chirurgien, plongeant un regard plus tranchant qu’un scalpel dans celui du prêtre.

« Toi, tu as choisi la pire voie. »

La première chose que l’hématurge avait appris à faire de ses pouvoirs, avant d’apprendre comment employer sa propre douleur comme carburant à la plus douloureuse des magies, ça avait été de manipuler le sang d’autrui.

Elle pointa sa main gauche vers le prêtre, et celui-ci se mit aussitôt à frissonner, puis de la sueur coula de son front, et de tout son corps, en un flot insensé. Il baissa les yeux vers ses mains, tenta d’esquisser un geste, mais finalement tomba à la renverse. Sa peau, sa chair, son sang, rougeoyaient à travers tout, sa peau devenant bientôt semblable à une braise. Hallbresses resta concentrée sur lui de longue secondes, modifiant la pression à l’intérieur de ses veines pour faire littéralement bouillir le sang du prêtre.

Il lui cria dans un ultime effort :

« Tes pouvoirs ne te sauveront pas éternellement sorcière ! La lumière triomphe toujours ! »

Puis sa voix se mua en un long hurlement sans fin qui fit s’arrêter net le reste de la troupe militaire. Le corps du prêtre ne bougeait plus que pour émettre ce long râle, sa chair se desséchant et se craquelant sous la brûlure immonde qui venait de l’intérieur de ses veines. Des souvenirs, à la fois gratifiants et immensément désagréables revenaient à l’esprit de l’hématurge quand elle retrouva le son de ces hurlements, l’odeur émise par la viande carbonisée vivante, et surtout la sensation magique que provoquait cette manipulation. C’était de cette manière que Hallbresses avait tué pour la première fois. Toujours aussi efficace.

Elle passa au suivant sans se poser plus de questions. Sa main et son bras à la blancheur de marbre étaient maintenant maculés d’hémoglobine, poisseux et dégoulinants, le sang coulant à grosses gouttes le long de son bras jusque dans sa manche. Elle continua malgré tout, rouvrant en premier lieu les plaies cicatrisées de ses combats précédents, puis en forant de nouvelles à travers sa chair tendre et malléable. Les soldats tombèrent comme des mouches. Hurlants et rendus fous par une douleur insensée et insondable qui assaillait l’intégralité de leurs organismes. Un carreau d’arbalète maladroit frôla Hallbresses qui se tourna vers le coupable et le frappa du regard d’un seul de ses yeux. Avec un souffle de rage pestant entre ses nasaux, elle leva son bras gauche et taillada sur toute sa longueur d’un coup de dague rageur. La victime tomba aussitôt à genoux, se cabra comme un cheval devenu fou, et sa poitrine bombait, remuait, gigotait comme si un être infecte à l’intérieur voulait s’échapper de la cage thoracique de l’homme. Puis il poussa un long râle où se mêlaient désespoir et douleur sourde avant que sa poitrine n’explose dans une gerbe de sang impressionnante qui laissa tout son corps se vider d’un coup, éclaboussant toute la clairière et faisant même vaciller le feu de camp sous le litre de liquide vermeil qui faillit s’abattre dessus.

Un autre soldat jeta alors ses armes et fit volte face pour s’enfuir à toutes jambes. Hallbresses ne le laissa pas faire, tant sa haine était exacerbée. Elle se sentit offensée de voir qu’il la fuyait, et avait le sentiment qu’elle s’en voudrait éternellement s’il échappait à une mort atroce et douloureuse. Alors elle siffla entre ses dents, un son strident, et cependant elle faisait repasser par trois fois le métal froid de sa dague dans les plaies les plus béantes qu’elle s’était déjà faite. L’homme s’immobilisa, se plia en deux tandis qu’on pouvait voir son ventre convulser tout seul. Il ouvrit grand la bouche pour vomir un flot multicolore où se mêlaient des monceaux de chair écarlate avec la bile acide et jaunâtre. Puis il poussa de petits râles, comme quelqu’un qui s’étrangle et pousse de toute la force de ses bronches pour cracher un corps étranger hors de ses canaux respiratoires. Puis, de folie devant son abominable douleur, il se frappa la tête sur le sol, à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu’il parvienne, au terme d’efforts laborieux et pénibles, à s’assommer lui même.


Devant l’hécatombe, les paladins qui menaient la troupe ordonnèrent à leurs hommes de se reculer pour pouvoir s’avancer eux même. Hallbresses entendit les ordres être hurlés. Lanadria la consulta du regard, et Hallbresses de répondre d’une voix d’égorgée :

« J’ai dit que je les tuerai tous. Je vous déconseille d’intervenir. »

Deux paladins, aux armures sculptées de symboles protecteurs s’approchèrent, chacun d’une direction différente. Hallbresses rugit tel un coyote, et enfonça deux de ses doigts dans une de ses plaies tout en fixant le premier des deux paladins. Celui-ci vacilla comme si un coup de marteau venait de glisser sur son armure et l’avait fait trembler, mais il se redressa aussitôt, ses protections ayant réussi à parer la magie.

« Rends toi, magicienne impie. C’est la meilleure option qu’il te reste.

- Repends toi pour tes péchés, ou péris impure et sois jugée par la lumière ! »

Hallbresses ne daigna pas leur adresser la parole. Elle se retourna vers le second paladin, et retira les doigts qu’elle avait toujours dans sa plaie, faisant jaillir un filet de sang. Mais ce sang ne tomba pas au sol. S’affranchissant de la gravité, il se solidifia dans les airs et en un éclair avait pris l’apparence d’une flèche qui fila vers le paladin, pris au dépourvu, qui levait déjà son épée pour passer à l’attaque. La flèche de sang se ficha dans le point faible de l’armure, au niveau de l’aisselle, et éclata une fois fichée dans sa chair, pour se mêler à son sang. Le paladin flancha, serra les dents, faillit lâcher son arme, mais finalement, se redressa et passa à l’attaque pour se retrouver arrêté brutalement. Son sang venait de cesser de circuler dans ses veines, figé, coagulé par l’infection du sang de Hallbresses qui passait outre les protections magiques de l’armure du guerrier. Il tomba, raide comme une statue, encore loin d’être mort mais promis à un décès lent et pénible.

Cependant, son compagnon avait été plus chanceux, il frôla de sa lame l’hématurge qui recula d’un pas empressé mais ne put empêcher l’épée de lui déchirer l’épiderme au niveau de la cuisse gauche. Cependant, le paladin fut empêché de poursuivre l’assaut, car cette douleur même qu’il venait d’infliger à la sorcière fut retourné à l’envoyeur par celle ci. l’armure enchantée para de justesse la magie, ne ralentissant le guerrier que pendant une seconde. Finalement, Hallbresses était acculée, et jeta un œil par dessus son épaule pour voir juste derrière ses talons le feu de camp au dessus duquel, Lanadria incantait déjà quelque chose. Hallbresses lui signifia d’un regard de s’arrêter immédiatement, et fit elle même un bond par dessus le feu.

Le paladin leva sa lame, prêt à assaillir à la moindre ouverture, mais hésitant à enjamber un feu, fut-il aussi petit, en plein combat. Il faisait passer avant tout sa prudence. Hallbresses contempla sa propre main humide de sang, où l’on ne repérait presque plus la blancheur de sa peau tant le fluide rouge y courait partout. La douleur la faisait trembler, mais elle ne voulait pas s’arrêter. Alors, d’un regard, elle maudit le paladin, cherchant ses yeux à travers le casque épais qui couvrait son visage. Elle grimaça de colère, et plongea rageusement sa main sacrifiée dans le feu.

Le paladin écarquilla les yeux, comprenant avant même de le sentir ce qui allait arriver sur lui. Il esquissa un geste, mais fut frappé de plein fouet par ce qui semblait être un ouragan. Son armure se mit à grincer, et des étincelles rougeâtres se mirent à crépiter et à jaillir autour des symboles sacrés de celle-ci. Puis des pièces entières du harnois se détachèrent brutalement, et enfin il se mit à convulser comme tous les autres, la douleur et donc la puissance envoyée dans cette attaque étant trop pour ce que le guerrier ou son armure enchantée pouvaient supporter. Il serra les dents pour ne pas hurler, mais son corps entier vibrait, puis la protection de l’armure ayant disparu, la douleur lui parvint entièrement.

Hallbresses avait toujours la main plongée dans le feu, son bras dégoulinant d’hémoglobines et couturé de cicatrices fraiches était maintenant lentement en train de se couvrir de croûtes et de cloques infâmes, l’épiderme se noircissant lentement. Elle retira sa main juste avant que toute sa peau ait brulée, et pour la première fois depuis le début du combat, elle ne put empêcher une plainte de courir entre ses dents serrées. Le paladin pour sa part, n’en pouvait plus. Il hurlait comme jamais un homme n’avait hurlé, se cabrait, s’agitait, se déchirait le torse avec les doigts, et écarquillait les yeux jusqu’au sang. Sa chair était si torturée et ses muscles si outrés par cette douleur qu’il en était carbonisé par l’intérieur. Ses nerfs brulaient comme par un excès de tension, écrasant tout sous une épectase de douleur. Il finit par mourir en hurlant, la bouche grande ouverte et desséchée, les muscles tendus et raides comme des braises refroidies, ses doigts crispés et ses yeux éjectés de leurs orbites.


Hallbresses avait subi un coup de fouet. Cette idée de jeter son bras dans le feu était mauvaise, mais la victoire était si grisante. Les soldats autour d’elle étaient maintenant tous hésitants. Elle ne leur laissa pas le temps de réfléchir cependant. Elle sonda autour, avec plus d’ardeur, analysant cette fois les composantes du sang de ceux qu’elle traquait. Même à une dizaine de mètres de distance, il lui semblait qu’elle pouvait goûter le sang de ces intrus sur ses papilles, et quand son regard se posait sur eux, elle croyait voir comme une carte en arborescence le circuit précis du fluide vital au sein de leurs corps faibles. Cette vision lui donna faim de violence, et elle décida de mettre un terme au combat en démontrant combien elle était déterminée.

À main nue, elle arracha croûtes et cloques de son bras tout en fixant ses victimes, comme à l’instant précédent. Les soldats se mirent à hurler, certains, pris de convulsions horribles, trouvèrent la force de tirer leurs dagues et de s’ouvrir la gorge pour mettre fin au calvaire. D’autres n’eurent pas cette chance, et sous le déchaînement de douleur qui contredisait leurs corps et leur chair, ils furent témoin de la liquéfaction de leurs fibres musculaires et de l’éclatement de chacun de leurs vaisseaux sanguins, ne laissant que de petites masses amorphes et flasques, flaques de chair et de sang torturées que Lanadria contempla avec un mélange de crainte, de respect et dégoût.


Tous les soldats étant morts. La nécromancienne fit les cents pas entre les cadavres, si on pouvait appeler ainsi ces restes maltraités par la plus cruelle de toutes les magies, et soupira de déception en constatant qu’aucun n’était vraiment en état pour être réanimé sinon ceux qui s’étaient suicidés avant de subir l’intégralité de la fureur de l’hématurge. Elle qui n’avait jamais eu d’hésitation à profaner des corps et faire souffrir son prochain, Lanadria avait presque de la pitié pour ces pauvres humains massacrés par une puissance au delà de leur compréhension. Ou peut-être Lanadria avait-elle plutôt peur pour elle même. Finalement, elle reporta son attention sur Hallbresses qui était occupée à dénombrer ses blessures.

À genoux près du feu de camp, la sorcière semblait perdue dans ses pensées. En vérité, elle ne pensait pas très loin. Elle essayait simplement par tous les moyens de calmer l’abominable douleur qui lui déchiquetait le bras. Lanadria s’accroupit devant elle, et lui demanda aussi courtoisement que possible de voir ses blessures. Hallbresses montra son bras gauche, lacéré de la paume au coude, la plupart des plaies ayant été cautérisées par le feu et supplantées par une énorme brulure qu’elle avait à nouveau entaillée. À ce stade, un humain normal aurait craint de perdre son bras tout entier, mais Hallbresses n’avait pas l’impression que la douleur signifia rien de concret. Pour elle, la douleur n’était pas une information, c’était un instrument et un effet secondaire.

«  Vous ne devriez pas faire ça sans m’en parler. Vraiment. » fit Lanadria en n’osant pas prendre un ton de reproche. La nécromancienne tremblait presque après ce massacre, encore surprise que Hallbresses n’ait pas eu besoin de son aide pour tuer une trentaine de personnes.

« Heureusement, nous autres Mordredii savons faire des potions de soin magiques. J’en ai plusieurs. Ça devrait faire disparaitre la brulure, mais je n’en ai pas beaucoup, alors ne vous avisez plus de vous mutiler aussi violemment sans m’en parler préalablement.

- Je m’en moque bien. Faites voir ces potions, qu’on en finisse. Je suis lasse ! Lasse ! »

La nécromancienne de sourire tout en offrant une de ses potions à Hallbresses.

« Ne vous inquiétez pas. Je n’ai plus de doutes sur le fait que nous arriverons bientôt à Mordred. Et je n’ai pas de doutes non plus sur le fait que vous y serez très bien accueillie. »

Et pendant que Hallbresses consommait la potion, Lanadria se rapprocha encore et demanda, presque innocemment :

« Expliquez moi, chère Hallbresses… j’aimerai savoir comment vous avez fait ce… cette flèche avec votre sang ?

- C’est la deuxième fois que je fais ça… mais c’est compliqué.

- Pas d’inquiétude. À l’université de Shimrod, vous aurez toutes les potions de soin et parchemins que vous voudrez. Vous pourrez expérimenter. Je serai très curieuse de savoir si vous avez seulement usé de la magie du sang ou si vous avez réussi à y mêler un pouvoir télékinésique. Ou alors, peut-être avez vous utilisé le sang du paladin comme un aimant pour guider votre flèche… »

Hallbresses se contenta de la regarder de travers tout en rebouchant le flacon de la potion.

« Dormons pour l’instant. Vous pourrez satisfaire votre curiosité plus tard, bon sang. »

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