Les Kouriles (5, 6 et 7)

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5/ (alors là c’est le pompon)

Je suis assis au pied de la croix. Je sais ce que je viens de trouver. La tempête redouble de violence. Il n'y a rien à l'intérieur de la stèle, mais j'y ai vu ce que je m'efforçais, depuis mon arrivée ici, à ne pas voir. Le temps d'un éclair, j'ai été transporté à des milliers de kilomètres d'ici. Au croisement de la petite route qui longe la ferme de mon enfance et du chemin qui rejoint le lac. Au pied d'une croix en fer forgé. J'ai trouvé un passage secret.

Assis sur les caillasses près d'une croix rouillée, transi de froid et trempé jusqu'aux os, à Sarytchevo, île des Kouriles centrales, je viens de trouver ce que je ne cherchais pas, le lien entre passé, présent et futur, ce lien que je voulais casser, la route directe entre ici et ailleurs, tous mes ailleurs. Cette obstination à vouloir oublier et ne plus rêver... comment ai-je pu croire que je réussirais... Prisonnier, comment ai-je pu croire que je ne finirais pas par m'évader... J'ai tenu bon longtemps. Plus rien n'existait qu'ici, sur cette île perdue au fin fond du monde. Plus rien n'existait que la soupe de betteraves, et le présent immobile. Etait-ce cela que je cherchais vraiment ? Même cette question je l'avais oubliée. Et quelle qu'en fut la réponse, ça n'avait plus d'importance. J'étais là, c'est tout. J'ai tenu bon, jusqu'à ce qu'un chat imaginaire me conduise vers une croix abandonnée, vers les mirages du passé et ceux à venir.
La tempête n'en finit pas, et mon esprit n'a plus la force de ne pas la voir. Elle est à nouveau partout, dans chaque goutte de pluie, et les nuages noirs forment une étrange et immense toile sur laquelle se projette son visage embrasé par la foudre. Et le vent a sa voix.

6/ Je partirai par le premier bateau de ravitaillement vers Simouchi. De là, je rallierai Vladivostok. Je prendrai le Transsibérien, puis traverserai l'Europe. Le voyage sera long, mais elle est à nouveau partout et tout le temps, alors quelle importance.
Le crissement des motrices sur les rails ne parviendra pas à me faire regretter les maisons qui grincent. Je ne mangerai plus de cette soupe de betteraves fadasse, j'ai toujours détesté les betteraves.
Sarytchev avait trouvé une île perdue dans une mer froide, l'avait baptisée et avait fait demi-tour. Mon escale aura simplement été un peu plus longue. Et de retour d’exil j’explorerai sans répit l’île secrète et la mer agitée qui l'entoure. Mais je ne lui donnerai pas mon nom. Tous les lieux et tous les temps. Même le présent.

7/ Et plus jamais je n'aurai besoin de retourner à Sarytchevo.

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