Chapitre 8

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Le repas du soir s’installa, sur la terrasse, à la lueur des lampadaires de jardin et des lampes anti-moustique.

- Alors les garçons, dit mon beau-père en nous passant le saladier de tomates à la mozzarella, il paraît que vous avez fait un beau vol plané cet après midi ?

- Jean-Charles... ponctua ma mère à ses côtés, mais il continua tout de même.

- La prochaine fois, pensez à prendre des gilets de sauvetage, tout de même.

- Ah ah, s’esclaffa Gaël, le cousin brun à lunettes qui passait son temps à se chamailler avec son frère Bertrand sauf quand c’était pour se moquer de nous. Les Kilmann avec un spi et des gilets de sauvetage ! Je veux voir ça !

- Vous devriez tous en porter ! interrompit sa mère, ma tante, une grande brune avec des boucles volumineuses. Imaginez un peu que…

- Bon on va arrêter le mélodrame les parents… on est dans le Golfe du Morbihan. Pas au Cap Horn !

- Bertrand, puisque tu sembles avoir besoin de la ramener, dit son père, un homme énergique au grand front, va vérifier la cuisson des pommes de terre dans le four s’il te plaît.

Bertrand quitta la table en râlant, donnant un coup de pied dans la chaise de son frère au passage.

La conversation glissa vers la plage de Legenest qui avait été nettoyée des algues brunes, et d’une partie de Beach volley qu’on prévoyait pour le lendemain.

Ma tante évoqua un article qu’elle avait lu dans Ouest France, où on annonçait le feu d’artifice du 14 juillet pour le 13 au soir.

- N’importe quoi ? dit un de mes oncles qui avait un caractère ronchon.

Mais personne ne l’écouta, préférant discuter du meilleur endroit où le regarder.

Je somnolais, à côté de Yann. Lui-même n’était pas bavard ce soir, jouant avec le persil au bord de son assiette.

Je souris. Certaines choses n’avaient pas changé.

Nous, si.

Mon genou trouva le sien sous la table. Il appuya sa jambe. Discussion silencieuse.

Au milieu de toutes ces conversations, de nos familles, là où nous étions le mieux était encore ici. Là, tous les deux. Dans cette bulle qui surgissait toujours.

- Au fait, dit Bertrand en ramenant un saladier rempli à ras bord de pommes de terre, j’ai trouvé votre gage, les Kilmann.

Je levai un œil peu amène vers lui, surtout car il me sortait de ma torpeur.

- Vous allez aller passer la nuit sur l’île du Men-dû, continua-t-il un air triomphant sur son visage plein de taches de rousseur.

- C’est interdit, dit sa mère en levant les yeux au ciel.

- Vous allez être trempés ! jubila Gaël en plongeant dans le saladier ramené par son frère.

- C’est n’importe quoi, ajouta ma mère, le sillon revenant entre ses sourcils clairs.

- Oh, on a fait bien pire étant jeunes ! rit mon beau-père en prenant sa femme par les épaules.

Elle leva les yeux vers lui, et je vis une douceur confiante envahir son visage, petit à petit. Pour le coup, j’aurais aimé un peu plus d’obstruction maternelle, vu mon amour pour le camping, et l’étendue de rochers inhospitaliers qui nous attendait.

- On aura le droit à une tente au moins, demanda Yann d’un ton blasé qui laissait présager qu’il n’aimait pas l’idée non plus.

- Pas question ! Vous n’avez qu’à emmener votre Spi ! fanfaronna Bertrand.

J’eus envie de le gifler, mais je me contentai de le fusiller du regard. Les nuits en Bretagne étaient non seulement froides, mais surtout humides. Pour peu que la pluie soit de la partie…

- L’affaire est entendue, donc, conclut mon cousin sous les rires de ses complices du jour.

Mon moral était descendu dans mes chaussettes, et je sentais mon voisin dans le même état. Mais je n’allais pas leur montrer. Ils auraient été trop heureux de ça, après les gages pourris qu’on leur avait fait subir.

Le repas s’étira, mollement pour ma part. Je vis mon père aller chercher un pull pour ma mère et la couver du regard quand il pouvait. Elle semblait à l’aise au milieu de cette famille qui était la sienne depuis 8 ans maintenant. De son côté, en face de moi, je surprenais encore parfois cet air heureux et apaisé lorsqu’elle me regardait.

Je somnolais lorsque Yann me murmura à l’oreille :

- On va se coucher ?

Il fit semblant de débarrasser un bout de la table, éparpillant surtout les miettes par terre et jetant les fonds de verre d’eau dans la pelouse, tandis que j’empilais les assiettes consciencieusement.

Le temps que je termine, et que je me fasse attraper par mon oncle dans la cuisine pour essuyer la vaisselle, il était déjà couché.

La tête en hauteur sur les oreillers, il me regarda me déshabiller pour me glisser sous la couette.

Autour de nous, les bruits de la journée s’atténuaient petit à petit. La respiration calme, il pianotait sur son téléphone, les écouteurs dans les oreilles.

- Tu veux écouter quoi ?

- Du tranquille. J’ai l’impression que cette journée est la plus longue de toute ma vie.

Il chercha encore un peu, et me tendit un écouteur.

- Ed Sheeran, ça te va ?

Je hochai la tête. De toutes façons, à part s’il m’avait sorti une compil de transe ou de métal, j’étais trop crevé pour négocier.

Je ne sais pas si ce fut le contact avec l’oreiller, la musique qui prit possession de mon cerveau, ou sa présence chaude à quelques centimètres de moi, mais j’eus l’impression que toutes les vannes de tensions se relâchaient en moi d’un seul coup.

Je soupirai de bien-être. Je l’entendis rire.

- Tant que ça ? chuchota-t-il l’œil rieur.

- Tu n’as pas idée, soufflai-je en me tournant vers lui.

De là où j’étais, c’est-à-dire pas très loin vu la taille du lit, je voyais l’apaisement le gagner aussi. Comme chaque soir, alors que nos corps se retrouvaient dans ce cocon rien qu’à nous. Je passai ma main autour de sa taille, par-dessus la couette. Il se rapprocha en glissant son bras sous ma tête, les yeux mi-clos, laissant de la couette entre nos ventres.

Ce qui était aussi bien. Notre nouvelle intimité n’avait pas vraiment de possibilité de se développer, avec la proximité des autres chambres.

Sa main libre trouva mes cheveux, jouant avec mes mèches pendant un moment. Puis il finit par les ranger derrière mon oreille.

- J’ai toujours aimé faire ça, murmura-t-il d’une voix endormie. Il faudrait que j’arrête parce que sinon…

Il abandonna mes cheveux, mais continua vers mon cou.

Nos caresses étaient légères et douces. Comme des ailes de papillon sur ma nuque. Je voyais ses épaules dépasser des draps. Elles étaient larges et attirantes. Je prolongeai mes caresses sur sa peau. Il frissonna.

- J’ai les mains froides ? demandai-je en soulevant ma main.

- Hum...dit-il en la récupérant pour l’observer. Ce n’est pas la sensation du moment, non.

Il la reposa sur son épaule après l’avoir embrassé, et continua à parcourir ma nuque, mon cou. Il finit par blottir son visage sur mon cœur, et ne bougea plus.

Je savourai cette étreinte, bercé par la musique tendre qui flottait autour de nous. J’embrassai son front. Il embrassa mon torse.

Le sommeil nous trouva là, étroitement enlacés.

* * *

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