Nouvelle 2 : PITCHOUN

4 minutes de lecture

Ils me surnomment "pitchoun", "charmeur", "petit", "eh, toi !" et j'en passe...

J'adore les étrangers, c'est dans ma nature, je suis... gentil. Un "bon p'tit gars" comme disent les plus vieux. Ça, c'est pas vrai. Faut pas exagérer. Je sais me battre...

Mais quand ils me croisent dans la rue, assis, tranquille, forcément, ils ne voient que le bon côté. Et si parfois ils me trouvent endormi, parce que je me suis laissé aller à m'allonger, épuisé par mes nombreuses excursions, là, ils sont carrément attendris devant tant d'insouciance.

Il faut bien dire que me voir ainsi, toute la journée dehors, les laisse perplexes. Pour un peu, ils me prendraient pour un crève-la-faim, un petit mendiant, une âme en peine, abandonnée, délaissée. Alors, les jours où je me suis sali, certains s'inquiètent, s'affolent et finissent par se sentir coupables. Ils ne peuvent plus s'empêcher d'intervenir. Mauvaise idée... ma famille n'aime pas ça. Moi, je m'en fiche, du moment qu'on m'aime... Mes parents, je ne les connais pas. Ce sont mes tuteurs qui s'occupent de moi. Ce sont eux, ma famille. Ce sont eux, qui n'apprécient pas qu'on vienne leur faire des reproches me concernant...

Ils doivent avoir raison. S'ils les laissaient faire, je ne pourrais plus sortir autant. Qu'on me laisse vivre, après tout ! Je suis bien comme ça ; je profite. J'aime être à l'air libre. La maison ? Très peu pour moi. Je dois être claustrophobe. Il faut toujours qu'une fenêtre soit ouverte, que je puisse respirer les senteurs de la ville, ouïr la cacophonie de son train-train, voir le défilé de son rythme effréné. C'est irrésistible, alors je bouge ! Je sors, je m'balade... De toute façon, je ne vais jamais très loin. Prudence oblige.

Pas loin de la maison, il y a une baraque immense, laissée à l'abandon, dans un domaine boisé. J'escalade la clôture, ni vu, ni connu, et j'ai à ma disposition un terrain vierge de toute civilisation. Je cours, je saute, je m'amuse. Personne pour me surveiller. Je peux y rester des heures. Mais il me faut rentrer le soir venu. C'est comme ça, mes tuteurs en ont décidé ainsi. Quand j'oublie de rentrer à une heure décente, c'est l'affolement général...

Une de mes autres balades favorites, c'est l'exploration des terrains ennemis. Un peu sportif quand-même, je dois me méfier. Nous sommes entourés de jardins clos, et je profite de l'absence de nos voisins pour me glisser chez eux. Rien ne m'arrête. Ah si, les chiens de garde. Ceux-là, je les évite, évidemment, pas moyen d'entrer. Quant aux chats du voisinage, ça dépend. En général, je les lamine. Pas question de me laisser intimider par un vulgaire chat domestique, planqué chez lui. Autant les chiens m'impressionnent, autant les matous à leur mémère... Ouste !

Quand c'est une chatte, par contre, c'est plus facile. Elles sont douces, elles câlinent. Je passe sans problème. Amusant, non ? Je visite, donc. Parfois même, je m'installe le temps d'une pause, et je profite d'un balcon ou d'une terrasse si c'est mieux orienté chez eux que chez nous. Cela dépend du moment de la journée aussi.

Quand il pleut, c'est moins drôle. J'ai beau apprécier le grand air, me tremper les os, très peu pour moi. Dans ces cas là, je rentre. Une fois pourtant, surpris par le mauvais temps, j'avais voulu visiter un parking pas loin. Ben, en fait, les garages, par chez nous, font office de cave. Alors, y a pas mal de choses sympa ; j'avais envie d'aller farfouiller, jeter un oeil... Mal m'en a pris. Je m'étais faufilé incognito alors que le proprio était penché sur ses caisses et j'étais allé me planquer derrière la voiture au fond. Le temps que je réalise mon erreur, il était sorti en claquant la porte. Je suis resté enfermé jusqu'au lendemain matin... La plus belle frousse de ma vie !

Je comprends pourquoi mes tuteurs s'affolent à chacun de mes retards maintenant.

Mais m'empêcher de traîner pour autant ? Non ! Impensable !

Dès le premier jour, quand j'ai découvert mes tuteurs, ils ont été prévenus. On leur a bien dit que j'étais "spécial".

«Il est adorable comme tout. Même plus affectueux que beaucoup dans son cas. Avoir été abandonné, c'est un traumatisme pour eux tous.

Mais lui, il n'est pas comme les autres... il a toujours besoin de sortir. Vous comprenez ? Depuis toujours, il a vécu dehors. Vous ne pourrez pas l'empêcher d'aller s'aérer, se balader. Il faudra veiller à le laisser se défouler à l'extérieur. C'est vital.

- Mais est-ce qu'il a été habitué aux voitures ?

- Sauf si vous habitez en plein centre ville, il n'y aura pas de problème. Il n'est pas idiot ! »

Alors voilà pourquoi, je passe autant d'heures que je veux dehors, à vadrouiller ou à roupiller tranquille mimille, bref, à savourer chaque instant, pour rentrer le soir, à l'heure du repas.

La seule chose qui m'agace dans cette vie, c'est quand y'a quelqu'un qui dérange ma tutrice, comme l'autre jour, en sonnant à la porte pour lui balancer :

«Bonjour ! Dites... Il pleure, là. On dirait qu'il a faim, ou alors il s'est fait mal ? Faut pas le laisser dehors comme ça ; c'est dangereux, avec les voitures !

- Non, non, ne vous inquiétez pas ! Il demande juste des câlins... Il est castré, vous savez ? Alors il réclame toujours quelque chose... Tout le monde le connait dans la rue. Et la petite fenêtre, là, en bas, vous voyez ? Elle est ouverte ; il peut rentrer quand il veut. Bonne journée ! »

Parce qu'un jour, elle va en avoir marre, et la fenêtre, elle va la fermer... avec moi à l'intérieur.

Annotations

Vous aimez lire Morgazie ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0