Semaine 14 : ANNA

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Il était une fois une petite fille qui voulait jouer avec les autres enfants. Tous les jours de la semaine, elle se préparait avec enthousiasme pour l'école. Quand son réveil sonnait, encore toute ensommeillée, bien emmitouflée dans sa couette, elle ouvrait les yeux sur son plafond illuminé d'étoiles phosphorescentes. Lorsqu'elle tendait le bras et allumait sa lampe de chevet, tous ces petits éclats dorés disparaissaient, dilués dans le flot de la lampe.

Vite, vite, elle filait à la salle de bain faire un brin de toilette, s'habillait en toute hâte avec ses vêtements préparés de la veille et fonçait à la cuisine. Son petit-déjeuner était déjà prêt. Sa maman venait de le lui disposer sur la table en l'appelant bien fort. « C'est l'heure, Anna ! Dépêche toi ! Tu vas être en retard ! » Mais elle était toujours à l'heure, sans une minute de retard, pas une seule ! Elle ne l'aurait pas supporté ! Une fois engouffré sa tartine de pain, son bol de chocolat et sa banane, elle se rua sur son cartable et son anorak, puis fila vers la porte. « Mon bisou ! » protesta sa mère. Raté, pensa-t-elle pour la millième fois, et elle se retourna bien malgré elle, tendant sa joue au lieu de ses lèvres comme l'aurait bien entendu voulu sa mère. Mais c'était plus fort qu'elle, sentir sur sa bouche cette peau grasse de crème, au goût improbable, sentir cette odeur suffocante de parfum, c'était trop lui demander ! Tous les matins la même exigence ! Décidément... elle ne comprendrait jamais pourquoi sa maman voulait à tout prix l'étouffer sous toutes ces sensations épouvantables juste avant de la quitter, au lieu d'un simple geste de la main, ou mieux encore, trois petits mots : « À ce soir ! ». Pffff... quel supplice !

La porte passée, c'était la course pour rejoindre les autres. Les filles qui étaient déjà là-bas devant, bras dessus, bras dessous, sur le trottoir, ne l'attendaient jamais. Elles avaient des tas de choses à se dire, ne s'interrompaient pas pour la saluer, ne ralentissaient pas pour qu'elle les rattrape, ne lui faisaient pas de place à côté d'elles.

Cela n'a pas d'importance si elles ne me disent pas bonjour, se morigénait-elle, personne ne me voit arriver, de dos ! Pas grave se disait-elle, si elles ne me considèrent pas, j'y arriverai un jour ! Et puis, c'est normal après tout, pensait-elle, le trottoir n'est pas assez large.

Mais quand Anna comprit que jamais elle ne parviendrait à se faire accepter, même dans la cour, par ses voisines, elle tenta d'autres approches. « Tu veux être mon amie ? » demandait-elle aux unes et aux autres ? Les sourcils froncés et les éclats de rires étaient bien souvent ses seules réponses. Elle essaya d'intervenir dans les discussions de groupe, mais mal lui en prit. Anna ne savait pas vraiment quand et comment participer, intervenir, se taire, écouter, s'insérer dans la discussion sans forcer. Les autres la toisèrent, la firent taire, lui demandèrent pourquoi elle était là et ce qu'elle voulait, certains lui opposèrent un silence oppressant. Anna s'enfuit.

C'est ainsi qu'au fur et à mesure, la petite fille se mit à chercher à jouer à d'autres jeux, plus intéressants. Elle décida que s'amuser seule serait une idée tout aussi valable, mais que, tant qu'à faire, embêter les autres, serait une autre façon de jouer avec eux... A partir de cet instant décisif, sa vie changea. Anna échafauda de petits plans vengeurs. Ses voisines commencèrent à trébucher plus souvent qu'à leur tour sur de curieux trous nouvellement sortis des trottoirs. Des tâches parsemant leurs blousons désolaient leurs mères qui les réprimandaient pour leur manque de soin. Les camarades d'écoles ? Des chutes à répétition firent augmenter le nombre d'élèves envoyés à l'infirmerie pour soigner les tibias et genoux blessés lors de collisions inopportunes dont Anna, affolée par une bestiole pourtant invisible, se révéla bien souvent à l'origine. Les groupes en grandes discussions étaient allègrement bombardés de balles et ballons qu'Anna n'avait pas réussi à ranger et qui s'étaient malencontreusement libérés de la salle du gymnase, ou de rayons lumineux provenant dont ne savait où, et d'insectes soudainement apparus à leurs côtés.

Les autres n'avaient pas voulu jouer avec elle ? Pas de problème, l'école était devenu son terrain de jeu ; ils étaient passés de l'état de partenaires potentiels à celui de jouets. Magnifique !

Anna ! Ne fais pas ça, Anna ! Je t'en supplie, reste. Ne pars pas en toi-même Anna ! Reviens, reviens vers nous, Anna ! Le monde n'est pas comme ça. Il y a des gens bien, des personnes qui écoutent, qui comprennent, qui savent, Anna, ce qu'est la souffrance, la différence, le silence à l'intérieur, la lenteur, le calme, la furie à l'extérieur, la peur, la fuite, la colère, Anna !

Redeviens, la petite fille, Anna, celle que tu as toujours été, qui aime, espère, et donne. Il y en a d'autres comme toi, Anna ! Et des différents, qui les acceptent. Tu n'as pas besoin d'être mauvaise, méchante, agressive pour faire partie de ce monde, Anna...

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