Nouvelle 46 : MAMIE EST TERRIBLE

3 minutes de lecture

C'était une mamie assez ordinaire. Une grand-mère tout-à-fait normale de prime abord. En la voyant, chacun la trouvait avenante avec ses yeux vifs, sa chevelure courte et bouclée naturelle dans les tons châtains, son visage peu ridé et toujours délicatement maquillé. Vêtue discrètement et avec goût, elle sentait bon la crème pour peu qu'on l'eusse approchée sans risque.

Sa maison lui ressemblait. Bien tenue, charmante avec ses volets blancs et sa porte de bois ciré surmontée d'une jolie marquise en arc de cercle, à l'ancienne. Un jardin fleuri de roses l'agrémentait sans l'étouffer. Une vaste pelouse lui donnait de l'espace sur l'arrière et une fosse permettait de brûler les débris et les branchages des arbres fruitiers plantés harmonieusement ici et là.

Un de ses petits-enfants l'avait surnommée mamiter pour mamie terrible, un jour où était passée à la radio une chanson interprétée par Johnny qu'il n'avait visiblement pas bien comprise. Cette fille là, elle est terrrrible ! disait-elle. Il en avait déduit que sa mamie aussi mais tout comme avec Folcoche, il ne faisait pas bon dire tout haut ce que l'on pensait tout bas. Autant transformer un peu et cela avait donné mamiter.

Au fond, personne ne comprenait vraiment d'où venait le malaise ressenti face à cette bonne vieille dame. Et pourtant il était bien présent. Nul n'osait affronter son regard trop longtemps, la contrarier vous donnait des sueurs froides et tous cherchaient à l'éviter autant que possible. Même les facteurs disparaissaient les uns après les autres... Fuyaient-ils leur devoir ? Qu'advenait-il de leur courrier ? Comment expliquer tous ces abandons de postes ? Les langues se déliaient au fur et à mesure mais nul n'osait accuser véritablement la bonne vieille. La pauvre. Veuve et si seule. Personne de sa famille ne venait la voir. Aucun voisin ne lui rendait visite. Et pourtant elle gardait le sourire.

S'ils avaient su...

Elle avait conservé de son défunt mari ses outils de travail, les entretenait avec soin, le soir à la veillée. Tout était en ordre, du plus petit au plus grand, nettoyé, affuté, bichonné, rangé avec soin.

Elle n'était pas totalement hors contrôle. Seuls certains déclencheurs lui ôtaient toute raison.

On sonna à la porte. Un coup, puis encore un coup impatient, prolongé. Elle ne s'y attendait pas. Son cœur s'emporta, rata un battement, s'emballa en prit trois en salve, voulut sortir de sa poitrine, s’affaissa en son sein et repartit à toute volée. Cela, elle ne le supportait pas. Non non, non, non. On ne sonnait pas ainsi à sa porte. pas de cette façon ! Pour qui se prenait-il celui-là ? D'abord, c'était qui ça ? Elle alla ouvrir. Ah ah ! Le facteuuuuur ! Hmmmm. Elle allait se le faire celui-là, oui oui. pas de souci. Oh, comme elle les aimait ces petits facteurs ! Tous si impatients, tous si impolis, incorrects, pas de civilité, pas de sourire, pas de petit mot gentil, rien ! Elle allait lui faire voir ce que c'était que la vie ! Ou plutôt...

— Bonjour.

— Une signature.

— Oh, mais je n'ai pas de stylo. .

— Pas de problème, c'est électronique. Vous signez là.

— Je ne vois rien. Il me faut mes lunettes mon petit ! Entrez donc.

— Pffff...

— J'en ai pour deux minutes à les trouver. Ce ne sera pas long. Entrez, entrez.

— ...

— ... Oh, mais je ne comprends pas. Je croyais les avoir mis là.

— Madame, s'il-vous-plaît, faîtes juste un gri-gri ça ira, je vous assure.

— Ah, non jeune-homme ! Pas question ! J'ai encore ma fierté ! Je signe mon nom. Il me faut mes lunettes. Ah je sais, je les ai laissées dans le jardin, quand j'ai vérifié mes plantations. Je me suis reposée sur mon banc et je les ai posées. Aidez-moi mon petit. Nous y allons.

— Bien, allons-y, mais vite alors.

— Voyons, vous savez bien que je ne pourrai pas courir, ah ah ! Vous êtes taquin !

Et les deux nouveaux amis de se donner le bras pour parcourir le jardin jusqu'au banc installé juste au bord de la fosse.

— C'est bien étrange d'avoir mis là votre banc.

— Oui, n'est-ce pas ? Une lubie de mon cher et tendre. Paix à son âme. Mais c'est bien pratique lorsque je fais le tour de mon jardin, je peux ainsi faire une halte à mi-parcours et reposer mes pauvres jambes. d'ailleurs, j'en ai bien besoin. Aidez-moi à m'asseoir !

— Vooooilà.

Et la vieille de se pencher pour prendre assise et dans un même mouvement se saisir du coutelas caché sous le banc pour le planter pile dans le cœur du facteur encore penché sur elle. C'est en le repoussant des deux mains qu'elle le fit basculer simplement dans la fosse.

— Je t'en ficherais, moi, d'un gri-gri ! saloperie ! Bon débarras ! Demain, c'est feu de broussailles.

Annotations

Vous aimez lire Morgazie ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0