L'homme qui ne supporte pas le silence

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 Charles, 56 ans, célibataire sans enfants.

Charles est un homme seul et solitaire. Il n'a aucune vie sociale, pas d'amis et sa mère est sa seule famille. Le soir, il rentre à 18h00 et ne quitte son appartement que pour jeter les poubelles ou faire les courses. Il a un travail quelconque dans un bâtiment quelconque pour un salaire à peine plus glorieux. Il est aimable, lâche et bien élevé et est un bon citoyen dans l'ensemble.

Un homme sans grand intérêt si on veut être honnête.

Mais Charles a quelque chose de différent des autres nombreux citoyens quelconques qui peuplent ce monde. Cet homme casanier vit au premier étage d'une vieille maison mal isolée. Insomniaque la plupart du temps, il se réveille souvent très tôt. Il lui arrive parfois de hurler dans son sommeil. Son hurlement, empreint de désespoir et de frayeur, glace le sang. Réveillé par le son qu'il a lui-même émit, il se met rapidement debout, descend l'étroit escalier de sa mezzanine et se réfugie dans sa minuscule pièce à vivre. La première chose que Charles fait à son réveil avant même d'allumer sa première cigarette de la journée, celle qui l'aide à supporter le jour à venir, est d'augmenter le volume de sa radio.

La radio de Charles.

France Inter.

Charles écoute cette fréquence à toutes heures du jour et de la nuit. Il n'éteint son appareil que lorsqu'il part au travail pour le rallumer immédiatement à son retour. Charles ne supporte pas l'absence de bruit. Sa radio est tel un radeau au milieu d'une mer sans fin. La nuit, le volume est plus faible. Certainement pour ne pas rendre ses voisins complètement fous. Le samedi, Charles se sent pousser des ailes. Enivré par le week-end, en plus de sa radio préférée, il en allume une deuxième qui propose des musiques du monde. Deux radios allumées à la fois, il enchaîne les cigarettes, mange torse-nu une multitude d'apéritifs gras et salés et joue à des jeux addictifs sur son téléphone. Il passe en somme une bonne journée. Arrivé le lendemain, un peu comme un enfant triste que le week-end prenne déjà fin, paniqué du retard qu'il a pris dans ses devoirs et manquant d'enthousiasme à l'idée de retourner à l'école, Charles passe son dimanche dans une morosité palpable, prêt à tout pour fuir la réalité.

Le premier jour de la semaine arrivé, Charles s'asperge de son parfum habituel, coupe sa radio et sort de chez lui, apprêté, pour aller au travail. Alors qu'il ferme sa porte à clé, il siffle un air maladroit. Il descend les escaliers qui le mènent dehors et ferme la porte de la maisonnette derrière lui. Puis, pris d'une inquiétude soudaine mais quotidienne, il fait demi-tour. Il remonte les escaliers et vérifie la clenche de sa porte. Rassuré de la trouver fermée, il redescend les escaliers et referme derrière lui. Puis, à nouveau, un souffle de panique envahit sa poitrine. Il rentre et monte les escaliers une seconde fois, vérifie que sa porte est toujours fermée puis redescend et s'en va une fois pour toute cette fois, le sifflement pénible ne le quittant plus. Le toc de Charles le poursuit depuis des années. Celui-ci et de nombreux autres.

Charles comble les vides avec ses sifflements au refrain insaisissable et évite la société. Les rares fois que quelqu'un lui adresse la parole, il trouve systématiquement le moyen de siffler pour faire barrière contre les courts moments de silence. On peut l'entendre siffloter dans la rue, partir soit-disant gaiement et décontracté au travail, la seconde cigarette entamée. Ses collègues le voient tous les jours, mais aucun ne le connaît vraiment. Seule sa mère sait le plaisir de sa compagnie une fois à l'année, la période des fêtes arrivée. Charles semble comme tout le monde vu de l'extérieur, mais la vie intérieure de cet homme est une forêt hantée par le passé, bouleversée par l'idée de l'avenir et vide de vie dans le présent.

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