Chapitre 10- Freya

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Les mouvements du destrier berçaient Freya. La troupe était partie quelques jours plus tôt. Après avoir traversée la moitié de nord de la Reigaa, la Reine avait hâte de rentrer chez elle. La veille au soir, elle avait aperçu la plus haute tout du château. Son cœur bondissait dans sa poitrine lorsque ses yeux se posaient sur la pointe courbée. Il y avait ce sentiment de fierté mêlée à une pointe de mélancolie. Partie en éclaireur ce matin, elle avait escaladé les collines. Lorsque le soleil sera au plus haut dans le ciel, elle rentrera chez elle.

Oron et Freya marchaient en tête de l’armée. Quatre gardes se tenaient derrière eux, les bannières flottant au vent quelques mètres derrière eux. L’homme avait eu le doit à un cheval pour suivre le rythme qu’imposait sa Reine. Les premiers jours, il marchait à ses côtés à pied mais Freya poussait de temps à autre son destrier au trot pendant de nombreuses minutes. Le soir, il ne s’asseyait plus auprès du feu et s’écroulait, exténué, dans sa tente. Le cinquième jour, alors qu’Oron se préparait à une nouvelle journée de randonné, un cheval noir l’attendait. Leurs débuts furent difficiles. La bête refusait que l’homme la monte. Une carotte plus tard, toute rancune était oubliée.

–A quoi dois-je m’attendre ?

Freya haussa un sourcil.

–A propos de vos sœurs.

La Reine lui offrit un sourire malicieux.

–Vous le verrez bien assez tôt.

Ses talons heurtaient les flancs de l’animal qui partit au galop.

**

Freya franchit l’arc du pont tandis que les cors sonnaient. Elles aimaient les entendre : ils annonçaient victoire et prospérité. Les sabots des chevaux martelaient les planches du pont qui surplombait la rivière. Seule une petite troupe l’accompagnait. Le gros de ses forces campait dans la plaine avant de repartir chez eux demain. Aggo campait aux côtés de sa Reine tandis qu’Oron les suivit, encerclé par des gardes royaux. Ses sœurs l’attendaient au centre de la cour. Depuis quelques jours, il ne pleuvait plus et le givre gelait la boue. Les deux Reines marchaient sans craindre de salir leurs vêtements. La guerrière sauta lestement de son cheval alors que Cilanna se jetait dans ses bras.

–Salutations petite sœur.

–Tu m’as tellement manquée.

Freya entendit résonner le cliquetis des épées et les cris des personnes à l’entraînement dans leur cour. Perplexe, elle observa sa sœur. Tous ses hommes étaient partis avec elle. Aggo se prosternait devant Maleïka qui l’accueillit avec un large sourire. La Reine des Roses remarqua l’homme qui se tenait dans l’ombre.

–Qui est-ce ?

–C’est une longue histoire.

Le visage de la jeune femme s’assombrit mais Freya n’y prêta pas attention puisque leur troisième sœur approchait.

–J’espère que tu as fait bon voyage.

Même si son « bonjour » était poli, son sourire illuminait son visage.

–Arrête avec tes bobards et viens faire un câlin à ta grande sœur !

Les bras de Freya se resserrèrent autour de ses épaules.

–Et moi donc ! J’ai hâte de boire de la bonne bière. Celle qu’ils nous ont offerte n’est que de la pisse de chien.

–Bonjour Freya.

Les trois femmes se retournèrent pour rencontrer la sorcière.

–Tu es en retard, lui reprocha la guerrière.

–M’as-tu déjà vu une fois à l’heure ?

Chrysentia et Freya étaient très vite devenues amies bien que leurs caractères divergeaient au plus haut point.

–Que s’est-il passé durant mon absence ?

–Que fait cet homme sur un de mes chevaux ? Demanda Maleïka.

Cilanna les observa tour à tour avant de pivoter sur ses talons.

–Venez. Nous avons beaucoup à discuter.

**

–Quoi ! S’insurgea Freya.

Le coup était parti tout seul. La table vibra sous l’impact de son poing.

–C’est pourtant ce qu’a dit Shagal, confirma Cilanna.

La guerrière écumait de rage. La fureur crispait ses muscles et sa mâchoire.

–Vous l’avez cru ?

–Non.

Maleïka venait de prendre la parole. Lorsque leur sœur parlait, de nombreuses personnes se taisaient. Les seules qui se risquaient à la contredire étaient ses sœurs car elles savaient que la froidure de Maleïka n’était qu’une carapace.

–Je connais Shagal, reprit-elle. Tout ce qui le motive, c’est : le pouvoir. Il n’a jamais caché son intention de nous prendre la Reigaa.

–As-tu au moins cherché à défendre mon honneur ?

–J’ai essayé.

Freya fit un pas en avant, l’index pointé sur sa sœur.

–Tu as essayé ? Rit-elle. Le mot est un peu fort, je trouve. Ces salauds ont tenté de m’empoisonner. Tu aurais voulu que je m’incline et que je le leur lèche la queue pour approuver leur plan ? Je me trouve miséricordieuse ; je n’en n’ai tué qu’un.

–Tu aurais dû les emprisonner comme l’exigeait le traité.

–Le traité ne mentionne pas les régicides. J’ai exercé la justice de la Reine.

–Une justice qui va nous coûter un quart du royaume ! Hurla Maleïka en se levant à son tour pour faire face à Freya.

Les deux s’affrontèrent du regard. La guerrière était plus corpulente que Maleïka, elle l’emporterait facilement si elle osait frapper la régente. Malgré la tension Freya resta immobile.

–Tu prends ton rôle de Reine salvatrice enfin au sérieux ?

–Arrêtez toutes les deux !

Cilanna s’interposa entre ses sœurs. Une main sur le torse de chacune, elle les força à s’éloigner.

–Inutile de se disputer. Nous sommes toutes les trois dans le même bateau, ne l’oubliez pas.

Les épaules de Freya se relâchèrent un peu. Maleïka recula d’un pas.

–Vous vous détendez, d’accord ?

–Dis-moi ce que tu m’as caché, Cilanna.

La guerrière reporta son attention sur sa petite sœur. Elle soutint son regard mais eu la sagesse ne pas jeter de l’huile sur le feu.

–Pourquoi des paysans s’entraient dans notre cour ?

Shagal ne se contentait pas de menaces ; il agissait. Que leur avait-il dit qui les terrifiait tant ?

–Tu m’as parlé d’un quart du royaume, déclara Freya en se tournant vers Maleïka. Pourquoi seulement un quart ? Répondez-moi, bon sang.

Cilanna posa son regard sur la Régente, posa sa main sur celle de la régente comme pour lui insuffler un peu de son courage.

–Merde, Maleïka ! Cesse de te comporter comme une gamine.

Devant le peuple et ses conseillers, leur sœur ne faiblissait jamais. Elle se montrait froide et intransigeante. En compagnie de ses sœurs, les rôles s’inversaient. Freya reprenait sa place naturelle de chef.

–Shagal veut un combat singulier. Si nous refusons, il déclare la guerre.

–Il a déjà perdu contre moi.

–Son armée est beaucoup plus importante qu’il n’y parait.

Freya secoua la tête et fit quelques pas. Marcher lui permettait de réfléchir.

–Le fait qu’il te mente ne t’a jamais traversé l’esprit ?

–Qu’est-ce que ça change ?

–Réfléchis un peu ! Gronda Freya. Si nous prouvons qu’il ment, non seulement le combat singulier ne sera plus légal et je pourrai l’attaquer sans qu’il n’oppose une grande résistance.

Maleïka se pinça l’arête du nez avec le pouce et l’index et ferma les yeux.

–Rien dans son attitude n’affirmait qu’il mente, répliqua Cilanna pour venir à la rescousse de sa sœur.

–L’enjeu est trop important pour que nous ne tentions rien. Cilanna, trouve un garde et dit lui chercher Aggo et Oron.

–Oron ? Qui est Oron ? S’enquit Maleïka tandis que leur sœur s’éclipsait.

–Un chasseur. Il veut les Agkars.

–Et tu l’as amené chez nous ?

Maleïka était furieuse mais Freya n’avait pas le temps- ni l’énergie-de la ménager.

–Plus près sont nos ennemis, plus vite nous pourrons les détruire. Tu accepteras sa demande mais ne lui rend pas la tâche trop facile. Il ne doit se douter de rien.

La jeune femme acquiesça. Ses yeux brillaient. De colère ou de larmes, Freya ne saurait le dire. Peu lui importait. Ses sœurs étaient des personnes complexes. Ni l’une ni l’autre n’était ce qu’elle prétendait être. Si leur façade trompait la Reigaa, elle ne restait qu’illusion. La guerrière le savait fort bien. Cilanna n’était ni douceur, ni tendresse. Derrière ce beau visage se cachait un monstre. Maleïka se voulait sûre d’elle, maîtresse de ses émotions. En réalité, elle avait peur et de nombreux doutes la rongeaient. Tous ses secrets, elle les devait à ses espions. La plus dangereuse des trois sœurs était sans conteste Freya. Maleïka et Cilanna la prenait pour une ivrogne doublée d’une brute mais la seule réelle Reine dans ce maudit royaume, c’était elle.

Le pouvoir ? Elle en était avide. C’est pour cela que sa forme d’Agkar lui plaisait tant. Elle se sentait puissante. Voilà sur quoi reposait leur fratrie : des mensonges et des secrets. Une fragile alliance qui leur permettait de gouverner.

–Aggo ira les espionner, reprit Freya. J’ai confiance en lui, il trouvera leur planque.

La ténacité du vieux chevalier l’avait plus d’une fois aidée. Rusé et rapide, le capitaine des gardes était un excellent pisteur, loyal qui plus est.

–Quant au combat singulier, c’est moi qui irai.

Maleïka secoua la tête, obstinée.

–Aucun chevalier ne pourra y participer. Toi non plus. Tu devras te contenter de former un champion.

Freya grimaça. Shagal avait pensé à tout. C’est un plan brillant.

–Chrysentia ne pourrait-elle pas modifier mon apparence ?

–Nous y avons aussi pensé, admit la Maleïka en s’asseyant sur son trône. Selon elle, la magie peut seulement berner les personnes qui veulent y croire. Shagal cherchera immédiatement ses petits tours de passe-passe et te démasquera vite fait.

La porte grinça et Cilanna apparut.

–Ils arrivent.

Freya lui adressa un signe de tête avant de reporter son attention sur Maleïka.

S’il découvre que nous l’avons dupé, il voudra la guerre. Je refuse que d’autres meurent, dans notre camp ou dans le leur. Nous avons sélectionné les meilleurs volontaires. Ils se sont battus contre Zorak. Il a choisi une poignée parmi tous ceux qui se présentaient. Tu devrais au moins en trouver un qui a du potentiel

–Combien de temps ?

Les sœurs se consultèrent du regard. A nouveau, Freya sut que la réponse n’allait pas lui plaire.

–Quatre mois

–Quatre mois ! Mes chevaliers les moins performants ont cinq ans d’entraînement avant de rejoindre la garde. Comme suis-je censée condenser toutes ces années en quelques mois ?

–Il n’a pas besoin d’apprendre à manier toutes les armes. Une ou deux suffit.

–En si peu de temps, je ne pourrais faire mieux.

Freya rebroussa chemin et se servit un verre de vin. L’alcool qui lui montait à la tête lui ferait peut-être voir le futur sous un meilleur angle. Elle bascula sur une chaise, croisa les jambes au niveau des chevilles sur la table. Maleïka lui jeta un regard noir mais pinça les lèvres.

–Je te laisse gérer la situation avec Aggo et Oron.

Cilanna haussa les sourcils d’un air interrogatif.

–Je t’expliquerai après.

Oron et Aggo arrivaient. Lorsque ce dernier entra dans la salle, il vit ce à quoi il était habitué. Une ivrogne qui cherchait sa conscience dans la boisson, une Reine au visage dur et une autre au doux sourire. L’illusion était parfaite.

Même si la clairvoyance n’était pas une des qualités de ses sœurs, Freya ne pouvait blâmer Zorak. Le peu qu’il avait choisi se débrouillait plutôt bien. Un se détachait de ses coéquipiers, c’est sur lui que se portait son choix. Ses adversaires s’étaient vus qualifié du titre apprenti-chevalier.

Peut-être que nous pourrons organiser des tournois pour recruter dans les années à venir, songea la Reine. Son protégé se nommait Tiyliu et maniait les hachettes –ses armes favorites- tel un boucher. Profession qu’il n’avait jamais exercée.

–Pourquoi des hachettes, Tiyliu ?

–Les épées coûtent cher, votre Majesté. Les hachettes, je n’ai eues qu’à les voler.

La cruelle injustice de la naissance. Les mots ne compensaient pas. Seules les actions seraient retenues mais cette lutte s’inscrivait dans le temps. Les hommes devaient être prêts à ce que les mœurs changent. La libération des femmes de leurs chaînes causaient déjà assez de soucis aux hommes. Un jour, peut-être, le calme reviendra à la Reigaa. A ce moment, elles pourront faire quelque chose pour aider les gens du peuple. Pour l’instant, seule la survie comptait.

– Pourquoi veux-tu devenir notre champion ?

–Pour la récompense.

Il n’en dit pas davantage et son silence plut à Freya.

–Attaque-moi.

Les attaques de Tiyliu étaient rapides, précises mais superficielles. Une simple protection pouvait parer les coups.

–Fais-tu parti de ces voyous qui rendent la vie infernale à mes gardes ?

Le jeune homme ne prit pas la peine de répondre. Il avait raison. Freya voulait voir jusqu’où sa concentration résistait. Il bascula son poids sur sa jambe gauche et prit pour cible la cheville de la Reine. Elle l’évita sans difficulté et lui asséna un violent coup de bâton entre les omoplates. Déséquilibrée, il tomba.

–Tu es rapide, c’est un fait mais tu te reposes trop sur cet avantage. Réponds-moi honnêtement : vis-tu dans les rues ?

–En quelques sortes.

Freya hocha la tête et désigna ses hachettes dans le sable.

–Ramasse-les. La première que chose que tu dois retenir c’est que ton passé est derrière toi. Tes victimes ne sont plus des marchands lents et patauds mais des guerriers. Ils sont forts, rapides, intelligents et savent ce que tu comptes faire avant même que tu n’y penses.

Le jeune homme peinait à se redresser. Il n’était pas habitué à ce que des inconnus déjouent ses plans. Recevoir des coups non plus.

–Relève-toi. Sinon tu ne verras jamais l’or et les pierres que les Couronnes t’ont promises.

Tiyliu se tenait debout.

–La leçon du jour est simple. Tu dois être dangereux. Quel est le meilleur moyen de l’être ?

–L’intelligence ?

–Tous mes chevaliers sont intelligents. Ceux de Shagal aussi. Il nécessaire d’avoir un peu de cervelle dans la caboche pour être un danger mais pas seulement. Quoi d’autre ?

Le garçon réfléchit un instant.

–La rapidité ? Proposa-t-il.

–Si c’était le cas, tu ne serais pas ici.

–La prudence ?

Freya leva la main et imposa le silence à son apprenti.

–Je ne te demande pas de me donner des mots au hasard mais de réfléchir : qu’est-ce qui t’impressionne chez un adversaire ?

Le jeune homme fronça les sourcils. Sans doute repassait-il tous les combats de rues auxquels ils avaient participé dans son esprit.

–Ne pas savoir ce qui va arriver.

–Exact. L’imprévisibilité est ce qu’il y a de plus dangereux chez un adversaire. Attaque-moi.

Le garçon évalua ses chances avant de passer à l’offensive, courut vers Freya et au dernier instant l’esquiva. Elle pivota sur ses talons et manqua de peu de rencontrer le côté tranchant de la hachette. La guerrière bascula son poids en arrière, arc-bouta son dos et d’un coup de bâton faucha les jambes de Tiyliu.

–Ne baisse pas ta garde. Recommence.

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