Chapitre 20- Cilanna

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-Comment se passe l’entraînement ? Demanda Cilanna en arrivant à la hauteur de sa sœur.

La Reine n’avait pas besoin de mots pour s’exprimer, sa mine sombre le faisait pour elle.

–Il ne tient pas sur la durée.

Il se bat bien, néanmoins, songea la jeune femme. S’il était agile et parvenait à rendre les coups que Zorak lui portait, son corps trop musclé le ralentissait et la handicapait. Oron ne maitrisait pas cette danse. Le chevalier l’attaqua, le chasseur évita la pointe de son épée mais il tituba en voulant se réceptionner. Zorak en profita pour lui envoyer un coup de poing dans la mâchoire. Il s’écroula dans la neige.

–Relève-toi, ordonna sèchement sa sœur.

Ces derniers jours, le visage de Freya s’était endurci, assombri et ne parlait plus. Maintenant Cilanna comprenait pourquoi : le chasseur n’était pas à la hauteur. Le buste de l’homme s’arc-bouta et il cracha un filet de bave et de sang.

–Relève-toi ou c’est moi qui viens te botter le cul.

–Il aurait peut-être besoin d’encouragements ? Suggéra la Reine d’une voix douce tandis qu’Oron lui jetait un regard noir.

–C’est toi ou moi la Reine de la guerre ? Répliqua sèchement sa sœur. J’entraîne mes guerriers comme je l’entends.

Elle la dévisagea avec méchanceté avant de s’adoucir légèrement.

–Excuse-moi. Ce fait deux semaines que nous l’entraînons et il n’y a aucun progrès notables. Il n’a pas la carrure pour le genre d’épreuve que Shagal souhaite. Il a toutes les qualités requises pour la chasse mais une aucune pour une danse des épées.

Elle expira lentement et son souffle se transforma en une brume légère.

–J’ai peur que cette fois nous n’y arriverons pas.

–C’est aussi critique ?

Freya acquiesça doucement avant de reporter son attention sur les deux hommes.

–Regarde-le bouger. Tiyliu avait trois d’avance.

–Il conserve ses réflexes de chasseur, commenta Cilanna.

–Trop même. Oron !

Comme Freya l’avait prévu, le jeune homme tourna la tête et Zorak en profita pour lui asséner un revers de la main droite. Une nouvelle fois, son visage rencontra la neige.

–Ne te laisse jamais distraire, cingla Freya.

Compatissant, Zorak lui tendit son bras. Oron l’accepta de mauvaise grâce.

–Un chasseur doit écouter, continua sa sœur. Tandis qu’il observe une proie, un prédateur peut le guetter, lui. Ses sens doivent lui offrir une seconde vision là où ses yeux ne peuvent se poser. Son instinct l’oblige à le regarder mais dans un combat, un tel comportement peut te coûter la vie. Zorak ! Héla-t-elle, je vais prendre la relève.

Le guerrier acquiesça et s’inclina devant Cilanna tandis que Freya conseillait à son minable champion comme elle l’appelait d’appliquer de la neige sur son œil au beurre noir.

–Sa mâchoire est son nez ont plusieurs fois été cassés, tu n’es pas obligé de lui donner de nouvelles fractures, déclara Cilanna tandis que Zorak la rejoignit.

–Freya m’y encourage. Pour le rendre plus robuste, expliqua-t-il

Cilanna surveillait son ainée s’accroupir en le houspillant.

–S’agit-il de la bonne méthode avec lui ?

–Freya pense qu’il deviendra plus rapide et perfectionniste si je ne ménage pas mes coups.

-Mais toi, Zorak, qu’en penses-tu ? Je ne dirai rien à Freya si cela peut te rassurer mais j’aimerai avoir une vie d’ensemble plus objective que ce qu’annonce ma sœur.

Le chevalier considéra les deux femmes avant de s’avouer vaincu.

–Je pense que le précédent candidat avait plus de potentiel.

–C’est bien ce que je pensais. Allons dans un endroit plus intime pour discuter, là où les oreilles ne trainent pas.

L’homme à la peau mate escalada la barrière pour se glisser à ses côtés. Même si Cilanna était la plus grande des trois, elle ne pouvait s’empêcher de se sentir menue face au guerrier bronzé. Il portait plusieurs chemises (plus pratique qu’une cape pour s’entraîner) alors que Cilanna ne se déplaçait jamais sans un épais manteau ou une cape laineuse. Aujourd’hui la Reine avait opté pour un élégant manteau noir dont l’extrémité traînait sur la poudreuse.

–Tu ne m’as jamais raconté ton histoire, déclara la Reine après un silence. D’où viens-tu ?

–Du continent. D’une petite île nommé Ourssia.

–Pourquoi t’es-tu aventuré au Centre, là où les terres sont gelées ?

Zorak renifla mais accepta de la narrer.

–Notre île a été assiégée par des pirates. Mon père a été massacré durant la prise, ma sœur ainée qui n’était encore qu’une enfant a été violée. Ils lui ont fait des choses affreuses (son visage se tordit) avant de la tuer. Ma mère et moi avons réussi à gagner le continent en nous cachant dans les cales d’un bateau de ravitaillement. A Aljornia, personne ne voulait aider des mendiants. Pour gagner de l’argent, elle a vendu son corps. Ses cheveux, sa peau, ses parties intimes… Nombres d’hommes lui ont laissé des bâtards dans le ventre mais ma mère réservait tout l’argent pour nous nourrir, nous loger, nous cacher. Elle est morte lors de son huitième accouchement.

–Je suis désolée, dit Cilanna d’une voix douce. Qu’a-t-elle de tes frères et sœurs ?

–Pour ceux qui ont survécu, elle les a placés dans un orphelinat. Beaucoup étaient malformés ou mort-nés. Je l’assistais et me débarrassai du bébé. Quand ma mère est morte, j’ai vendu tout ce qui me restait. Tout, même mes vêtements. J’ai eu assez pour monter sur un navire qui m’emmènerait loin de cette vie de misère.

Il racontait son histoire comme un fait banal, ce que Cilanna lui fit remarquer.

–Tu n’as pas l’air d’éprouver un quelconque sentiment par rapport à cette histoire.

–Je n’ai pas besoin d’être heureux ou triste. C’est injuste mais je suis content d’être en vie.

La suite, la jeune femme la connaissait. Son père l’avait recueilli, pauvre gueux qui ressemblait plus aux rats qu’à un humain. Il s’était entraîné dur servir cet homme qui lui avait offert une vie nouvelle, un but, un espoir. Pour le remercier, il s’était consacré au royaume, à ses guerres, porté serment de protéger ses filles et maintenant ses Reines. Après quelques années passées au front, il avait demandé un rôle d’instructeur : « Je me suis vengé, j’ai assez tué » fut sa déclaration au roi mourant. « Maintenant, je veux apporter mon aide à des plus jeunes que moi et aux Reines. »

Cilanna et Freya le soupçonnaient de quitter son poste pour leur sœur dont il était fou d’amour. Malheureusement pour lui, du jour au lendemain, Maleïka n’avait plus d’yeux pour aucun homme. Elle avait prêté serment devant la Déesse de renoncer aux hommes, restant vierge pour l’honorer et garder la pureté de son corps. Mensonges. Elle haïssait seulement les mais qui la touchaient et les regards envieux des hommes pour la femme qui avait le plus de pouvoir sur la Reigaa.

–Penses-tu que ma sœur aime Oron ?

Zorak haussa les épaules et la conduisait à l’armurerie où il ôta son baudrier.

–Je ne sais pas ce que ressent Freya pour l’étranger mais il est clair que lui l’aime.

Ses soupçons se confirmèrent. Sa sœur se révélait dure envers lui non pas à cause de ses piètres prouesses guerrières mais pour étouffer ses sentiments dans l’œuf. Quoi de mieux que le courroux ?

–Est-ce qu’il s’agit d’un amour véritable ou un attachement plus… Charnel qu’il a pour elle ? Demanda-t-elle encore.

–Je ne me suis pas interrogé là-dessus.

Elle voyait à ses mouvements mécaniques qu’il ne lui disait pas toute la vérité.

–Tu me le dirais si quelque chose te gênait ?

Technique qui consistait plus à analyser ses gestes et la réponse de son corps que les mots qu’il employait.

–Vous êtes ma Reine et je vous ai fait allégeance.

Cependant, il s’interrompit et la regarda droit dans les yeux. Il cherchait à prouver sa valeur donc à lui cacher des informations importantes. Mais quoi ? Avait-il trouvé la raison du renvoi de Tiyliu ? Non, cela ne se peut.

–Pourquoi avez-vous remplacé Tiyliu par Oron ?

–C’était une obligation.

Sa réponse laconique était pauvre de sens mais pleine de vérité. Louer sa force et ses prouesses à la channe n’aidaient en rien à justifier cette décision. Les trois sœurs misaient sur des alliances ombreuses et inconnues du peuple. Certes, il en existait mais peu nombreuses à la Reigaa.

–La politique du pouvoir ? Questionna le chevalier.

–Oui.

Cilanna attendit une autre question mais aucune ne vint comme elle le souhaitait. Son regard fuyant convainquit la Reine d’amorcer un autre sujet, plus intime et plus houleux encore que l’avenir du chasseur.

–Aimes-tu ma sœur, Zorak ?

Cette fois il vrilla son regard au sien, surpris de l’audace de la plus discrète des souveraines.

–Freya et moi, ce n’est pas de l’amour.

–Ce n’est pas de Freya dont je parle. J’ai vu les regards que tu portais à ma Maleïka, ta confiance aveugle en elle.

Il l’entraîna dans une pièce où étaient accrochés des vêtements plus seyants à la vie du château. Sans se préoccuper de la jeune femme, il se dévêtit. Le corps d’un homme la laissait de marbre. Pour la satisfaire, autant émotionnellement que physiquement, elle n’avait besoin que d’une femme.

–Pour répondre à ta question, Aggo ne s’intéresse à aucune d’entre nous. De temps à autre, Freya lui rappelait qu’elle était une femme faite mais elle s’en est très vite lassée.

Il se tenait à demi-nu devant sa Reine. Seul un pantalon couvrait le reste de sa nudité.

–Ne me mens pas Zorak. Je sais que tu aimes ma sœur. J’ai passé mon enfance à apprendre l’art de courtiser et à reconnaitre lorsque ceux-ci me faisaient la cour. Maleïka te plait et tu penses à elle lorsque tu nous vois. C’est pour ça que tu as défloré ma sœur, je me trompe ?

–Qu’est-ce que vous voulez ?

–Rien.

Elle s’approcha de lui, lentement, à la manière d’un groupe de prédateurs qui encerclaient sa proie.

–Enfin, si. Le château est vivant. Il a des yeux, des oreilles et une bouche. Prends garde à ce que tu fais. Ne laisse pas tes émotions te trahir.

–Me trahir ?

–Tu aimes une de mes sœurs et tu couches avec une autre. Je veux que tu me rapportes tout ce qui peut te paraitre suspect. Je veux que tu me transmettes la moindre des services que Maleïka te demandera. Tu pourrais faire cela pour moi ?

Cet accord de principe n’en n’était pas un. Elle ne lui laissait pas le choix. Or, si elle incluait des mots, des bouts de phrases pour chercher son consentement, il jouerait son rôle de pion à la perfection.

–Il en va de la survie de la Reigaa, dramatisa-t-elle pour le convaincre d’adhérer à sa cause. Nous tentons toutes de nous protéger les unes les autres mais Maleïka est la celle qui veut le plus nous chaperonner en trouvant mille et une parade pour que nous nous doutions de rien. Je ne peux rien lui dire de peur de l’offusquer mais je serais plus rassurée si je savais de quoi il en retournait. Comprends-tu ?

Elle lui faisait un numéro de charme. La séduction n’était pas seulement l’art d’attirer vers soi le regard de l’être aimé mais aussi de s’assurer de la fidélité d’autrui. Si la manipulation était le tronc d’un arbre, la séduction serait une branche et les milliers de buts qui justifiaient le recours à cette technique, les feuilles.

Les doigts de Cilanna effleuraient son bras. Tel un vampire qui s’assurait de l’asservissement de sa victime en plantant ses crocs dans la chair, elle s’attaqua à sa raison et à son serment.

–Tu as promis de nous protéger. Aide-moi.

Freya imposait, Maleïka le manipulait par l’amour indicible qu’il ressentait pour elle mais la technique de Cilanna était la plus sournoise. Je ne suis peut-être pas la véritable Reine du royaume mais je suis la plus dangereuse. Je suis l’épine de la rose. La Reine des Roses. Pour s’assurer de sa loyauté, elle se dressa sur la pointe des pieds et l’embrassa délicatement. Zorak se laissa faire, ni ne la repoussa ni n’approfondit le baiser. Ce serment n’avait plus besoin de mots, il se nourrissait de gestes. Cilanna pressa ses lèvres contre les siennes, entrouvrit sa couche et effleura sa langue de la sienne avant de se retirer, toujours un sourire.

–N’oublie pas ta promesse.

Elle s’éclipsa sans un regard en arrière.

La Reine était empoisonnée. Un fruit défendu, magnifique mais qui apportait la mort. Si avec son corps et quelques mots puissants, elle parvenait à détourner deux hommes de ses sœurs, elle pouvait dominer un roi ennemi. Réussirait-elle à séduire Shagal et à renoncer au combat ? Elle n’avait guère eu le temps de lui proposer un entretien privé lors de sa courte visite. Freya et Maleïka pensaient que la toile de la manipulation se tissait en quelques minutes mais les années étaient nécessaires pour un tenir un pays sous sa coupe. Zorak avait accepté de ployer le genou, de les protéger et d’éprouver une amitié sincère pour ses souveraines. Ce qu’ignoraient les autres Reines était le pouvoir de persuasion de Cilanna, qui s’amusait à le leur cacher. Là où Zorak pensait avoir le choix, elle l’y avait contraint. Non, à vrai dire, elle ne lui avait laissé aucun choix mais sa résistance faiblissait à mesure qu’elle déployait ses charmes. Et puis, elle s’était servie de l’image de sa sœur qu’il transposait sur elle. Quel calvaire cela devait-il être de voir parader deux autres femmes semblables à celle qu’il aimait, qu’il pouvait embrasser, baiser mais jamais celle qu’il souhaitait.

Oui, s’enorgueillira-t-elle, je pourrai convaincre Shagal d’épargner un massacre. Peut-être pourrais-je même réunir les deux contrées en une.

Elle fantasmait encore sur cette victoire lorsqu’elle entendit une voix l’appeler.

–Cilanna.

Le son inhumain même s’il n’était pas déplaisant à attendre, venait des arbres. Méfiante, elle tendit l’oreille, prête à croire à une hallucination mais cette personne prononça à nouveau son nom.

–Cilanna.

Elle appuyait sur chacune des lettres rendant ce prénom délicieusement venimeux.

–Qui êtes-vous ? Murmura-t-elle.

La jeune femme était au centre de la cour, des dizaines d’yeux glissaient sur sa silhouette. Pourtant, elle était certaine que cette entité, qui qu’elle puisse être, pouvait entendre son chuchotement.

–Le révélateur de vérité, énonça la voix avec un ton moqueur. L’annonciateur de tes tourments. Approche.

La Reine voulut s’arrêter mais ses jambes ne lui obéissaient plus, se fléchissaient d’elle-même. La neige crissait sous ses bottes et les poils de son manteau s’emmêlaient tandis qu’elle montait sur le point en bois. Un Fae se cachait dans les arbres. Un être magique qui ensorcelait ses mouvements à coups d’interactions neuronales. Pourquoi n’agissait-il pas sur sa volonté ?

–Monte, grimpe et danse ! Montre-moi cette jolie cheville ! Hé hop.

Cilanna ne pouvait rien faire d’autre qu’obéir et aucun de ses mouvements ne semblaient suspects. Après tout, n’était pas celle qui se promenait le plus ? C’est ce que confirma le Fae.

–Vous êtes bien sportive, Madame la Reine. Escaladez cette colline encore un peu, chantait-il.

Au-dessus d’elle, des branches s’agitaient. Elle soupçonnait le Fae de s’y cacher. Au vu de sa voix plutôt fluette, et de sa taille, il ne pouvait s’agit que d’une fée. Elles aimaient beaucoup rire au dépend des humains même si elles étaient les Faes les plus faibles.

–Je révèle la vérité, chantez mon nom ! Je suis le Fae de la vérité.

Soudain, Cilanna s’immobilisa et son interlocuteur apparut assis sur une branche plusieurs mètres au-dessus du sol.

–Bien le bonjour, ma Dame ! Je suis enchantée de faire votre connaissance !

Il partit d’un éclat de rire, comme s’il détenait une information capitale que la jeune femme ignorait. Les Faes étaient connus pour cet esprit moqueur. Il ôta son chapeau pour la saluer. La branche ployait légèrement sous son poids pourtant l’étranger s’amusait à balancer ses jambes pour la faire osciller.

–Eh bien, ma Dame, pourquoi vous arrêtez-vous ? Etes-vous ébloui par ma magnificence ?

Il ne cessait de chanter, toujours pour se moquer. Son ton trahissait le mépris typique des Faes pour la race humaine.

–Que voulez-vous ? Demanda la Reine en feignant un au détaché mais respectueux.

Mieux valait ne pas froisser ces créatures à l’égo surdimensionné.

–Faudrait-il une raison pour venir rendre visite aux magnifiques Reines de la Reigaa ?

Cilanna cligna des yeux et lorsqu’elle les reposa sur l’endroit où était installé le Fae, il avait disparu. Sa voix résonnait toujours dans les sous-bois.

–Vous êtes venue jusqu’à moi. Tuliluli trilatara.

Soudain, il fut à côté d’elle. Cette fois, il mesurait sa taille. Avec sa longue barde, ses yeux rieurs et les rides au coin de ses yeux, le Fae n’avait rien de la beauté des autres races.

–Etes-vous surpris par mes humbles apparences ? Rassurez-vous, je ne me présente pas ainsi devant les damoiselles de ma cœur mais ce déguisement me sied. J’aimerai beaucoup avoir une barbe et les plis de la peau donnent un air sage mais je suis trop jeune pour obtenir l’un et l’autre. En vérité, je n’ai que quarante-deux printemps et la moitié de votre taille.

–Pourquoi m’avez-vous envoûté.

Il tapa dans ses mains.

–Que des questions ! J’aime les esprits vifs et intelligents ! Passons vite à la réponse. Vite ! Vite ! Ah ! Où l’ai-je caché ?

Il farfouilla dans ses poches.

–Nom d’une pipe en bois, il ne peut avoir disparu !

Il s’interrompit et observa Cilanna avec un sourire en coin bien qu’elle le devine surtout au plissement de ses paupières.

–Vous voilà de nouveau dans l’erreur ! Qu’il est facile de vous tromper, vous les humains et votre vision si limitée.

Le Fae tendit les mains de part et d’autre de son visage et claque des doigts près de son oreille.

–J’adore les secrets. Un peu trop même, déclara-t-il avec un clin d’œil. Mais ce que je préfère c’est les révéler à son propriétaire.

Les yeux de Cilanna s’humidifièrent. De la paume, elle frotta ses paupières et quand elle les rouvrit, le Fae avait disparu. Une femme courrait verts elle. Cilanna eut à peine le temps de la voir qu’elle la percuta. Sauf qu’au lieu d’échanger un contact physique et quelques insultes, la jeune femme la traversa. C’est alors qu’elle reconnut sa longue chevelure d’un rouge ardent.

–Maman ?

Cilanna leva une main qui se referma sur le vide. Chose plus curieuse encore, elle voyait à travers sa peau comme un manteau de brune. La jeune femme s’était rien de plus qu’un spectre, à peine aussi consistant que le vent. Dans sa tête s’éleva le rire sournois du Fae.

–Suivez-là.

Elle s’exécuta. Sa mère regarda plusieurs fois par-dessus son épaule avec un regard effrayé. Tel un mime, ces drôles de saltimbanques qui s’amusaient à copier les mouvements de leurs congénères, Cilanna fit de même. Sa mère dévala la pente, sa longue chevelure bouclée rebondissant dans son dos. Entre les arbres, la Reine distingua les tours du château. Rien n’avait changé.

–Maman ! Hurla à nouveau Cilanna.

La femme n’entendit rien. Aucun de ses mouvements ne dévoilait si elle savait que sa fille était là, à l’observer. Elle contourna le ruisseau, suivit son cours avant de plonger dans l’eau.

–Où est le loup ? Criaient des chasseurs qui déboulèrent au sommet de la colline.

–Ses traces s’arrêtent ici, répondit un autre.

La silhouette de sa mère dans l’eau commençait à s’effacer. Elle allait la perdre ! Cilanna se débarrassa de mon manteau, déchira sa robe pour libérer ses jambes.

–Je ne vois rien sous l’eau.

–Je te guiderai, promit le Fae.

Elle sauta en moulinant des bras. Avec de l’élan, ses pieds percutèrent le fond. Elle voulut donner un coup de jambes pour remonter à la surface et respirer mais son guide la força à continuer.

–Faites quelques brasses, sinon vous allez la perdre.

L’eau était froide et engourdissait ses bras. De plus, Cilanna n’avait jamais excellé à la nage. Progressant trop lentement pour le Fae, il reprit les commandes de son esprit. Ses mouvements ne lui appartenaient plus, étaient étrangers. Dés résidus de boue et de d’écorce s’accrochaient dans ses cheveux tans la rivière était sale et vaseuse. Ses doigts ricochèrent sur une pierre puis son corps se courba pour se placer perpendiculairement au château. Un passage vers les douves ! Cilanna s’y enfonça mais ses poumons se mirent à brûler, l’air à se raréfier dans les alvéoles.

–Tu y es presque, l’encouragea le Fae.

Deux brasses plus tard, sa tête émergea des flots. Elle inspira une goulée d’air en suffoquant. Cilanna reconnut les douves du château.

–Les voix que tu entends sont celles de tes parents.

La Reine était à moitié sourde. Elle inclina la tête et un filet d’eau coula de chacune de ses oreilles. Malgré la douleur, elle se força à se concentrer sur les éclats de voix.

–Ils m’ont presque eue ! Disait sa mère, paniquée.

–Oui, presque, répondit une voix masculine qui ne pouvait être que celle de son père.

–Où sont-ils ? Chuchota Cilanna.

–Suis-moi.

Elle discernera une silhouette transparente sur la berge. Elle la rejoignit, ravie de quitter le lit de la rivière.

–C’est à gauche.

Quelques détours plus loin, une fois que sa vue fut habituée à l’obscurité, elle distingua deux ombres.

–J’ai tué des dizaines de personnes cette fois. Il faut que ces mots cessent.

–Comment ? Nous avons déjà tout essayé.

Cilanna se glissa dans le caveau où ses parents discutaient. Ses souvenirs prenaient vie devant elle. Son père, fort et vigoureux, jamais sans sa barbe taillée en triangle et sa mère gracieuse mais farouche.

–Nos trois filles sont moins fortes que moi, plus petites, plus frêles. Même Freya n’aura pas le tiers de ma puissance si elle accepte sa louve.

–Qu’est-ce que tu proposes ?

La Reine plaqua une main contre le cœur de son époux.

–J’ai eu la plus belle vie à tes côtés, mon amour. J’ai vécu comme une humaine, t’ai donné trois filles magnifiques mais ma place n’est pas ici. Je dois redevenir celle que j’ai toujours été.

Elle se pressa contre lui et attrapa le couteau à sa ceinture.

–Je veux que ce soit toi qui le fasses.

Le roi recula, horrifié.

–Tu ne peux pas me demander ça !

–Si, fais-le.

Elle joua avec le manche de manière à positionner la lame sur sa poitrine.

–Tu pourras t’occuper de nos filles. Aggo surveillera Freya lorsqu’elle rejoindra ton armée, les courtisanes veilleront sur Cilanna et tu prendras Maleïka sous ton aile.

–Elles ont besoin d’une mère, pas de nourrices ou de protecteurs. D’une mère.

–Ai-je eu le rôle de mère lorsque j’ai assassiné ton fils ?

Un fils ? Avait-il eu un bâtard d’une autre femme ?

–J’ai tué mon fils parce que c’est ce que font les loups maudits. Sais-tu pourquoi notre fourrure est rouge ? La Déesse nous a jugés mauvaises car nous tuons instinctivement les mâles à leur naissance. Ton fils est à peine né que je l’ai dévoré. C’est ce qui m’a donné la force pour allaiter tes trois autres louveteaux.

Le visage du roi se décomposa.

–Tu me fais du chantage ;

–Non, je te dis une vérité que tu t’efforces d’oublier. J’ai eu d’autres enfants avant ceux que je t’ai donnés. J’ai tué mes fils comme ma mère a tué mes frères. Nous ne sommes pas appelés les loups de sang pour rien. Tue-moi. Tu sais que ne mourrais pas. Pas totalement, disons.

Le roi enroula ses doigts autour du manche.

–J’ai eu un frère ? Répéta Cilanna.

Alors que la Reine fermait les yeux, préparant à inspirer une dernière fois, son époux ôta le poignard de sa poitrine.

–Je préfère que tu tues des milliers d’innocents plutôt que tu ne sortes de ma vie. Et celles de tes filles.

Furieuse, sa femme le gifla.

–Comment oses-tu te montrer aussi couard ?

Elle pivota sur ses talons et courut dans les couloirs. Cilanna et son père se lancèrent à sa suite. La jeune femme reconnaissait ces tunnels. Son ancienne amante les lui avait montrés. Elle se dirigeait vers la cage, là où elle n’était restée enfermée que quelques temps avant de briser les barreaux. Oh non, songea Cilanna.

La Reine connaissait la suite de cette histoire. Sa mère courrait vite, distançant aisément père et fille. Son époux lui hurlait de recouvrir la raison. Il avait deviné lui aussi. Lorsqu’il arriva dans la salle, il fut trop tard. Sa femme s’était empalée sur une de barres brisées. Son père cria de douleur. Sa plainte se répercuta sur les murs, glissa sur l’eau.

Le roi la tenait contre lui alors qu’elle rendait son dernier souffle en agonisant. Son corps se couvrait de spasmes. Ses membres se déformèrent, à mi-chemin entre l’Agkar et l’humain. Le Son corps expulsait les deux formes.

Des pas précipités résonnèrent dans les douves. Sans avoir la confirmation de son identité, Cilanna devina Chrysentia derrière elle. Un cri s’échappa de sa bouche lorsqu’elle reconnut son amie à demi-morte secouée par des tremblements. La jeune femme voulut tendre la main, serrer l’épaule de son ancienne amante mais ses doigts traversèrent sa robe.

La morte disparut. A la place se tenait un loup rouge. Une oreille frémit et des yeux s’ouvrirent.

–Quel est ce maléfice ? Demanda le roi en s’éloignant.

–Méréida ?

L’animal renifla le bras que le tendit la sorcière avec un regard haineux. Elle montra les crocs et gronda, ne reconnaissant plus son amie de toujours. Se souvenait-elle de sa vie humaine ? Cilanna eut sa réponse lorsque l’animal se leva en boitillant sans adresser leur adresser un dernier regard.

–Que s’est-il passé ? Demanda Chrysentia.

Seul le trémolo dans sa voix témoignait de sa tristesse. Son visage restait dure, froid malgré les circonstances.

La vision de Cilanna se brouilla une seconde. Elle observa sa main. Ses doigts lui paraissaient normaux, faits de chair et d’os.

–Deux choses à retenir, résuma le Fae en vissant le chapeau sur ses oreilles. Vous aviez un frère qui était le direct successeur de son père. Il aurait été un beau fumier, si vous voulez mon avis. La zoophilie ne réussit pas aux mâles de votre famille. Retenez surtout que votre mère est en vie. Sur ce, je vous souhaite une bonne journée.

–Attendez !

Nulle réponse ne vint. Cilanna était seule, comme toujours.

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