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C’était un samedi matin, huit heures, soleil à peine levé en ce jour de fin février, pluie aux carreaux tambours battants et merles maussades dans leurs nids se protégeant. Mais Célestin n’en avait cure ; il ruminait.

Dehors, il y avait une nouvelle voiture. Une Mercedes sensation 7g bleu pétrole immatriculée en Suisse. Suisse allemande, s’il vous plait. Dans ce petit village de deux cents âmes où tout le monde se connaissait depuis la naissance, une telle nouveauté ne pouvait passer inaperçue. Surtout pas pour un Célestin dont la chambre avait une vue imprenable sur le jardin au carré de ses voisins, et donc sur la voiture délictueuse.

Célestin était aujourd’hui ce que l’on appelle un jeune homme avenant : la trentaine tout juste passée, il était sportif sans outrance, brillant avec humilité, drôle sans excès, généreux avec intelligence, viril sans machisme, tolérant, mais pas mouton, charmant avec discrétion, mystérieux sans secret, autoritaire sans virer au tyran, calme avec confiance, aventureux en restant réfléchi… Avec cela, il était plutôt mignon, mais pas de ces beautés ravageuses que l’on qualifie de belle gueule et qui tournent très vite à la grande gueule. Vous l’aurez compris : Célestin avait le caractère et le physique de son prénom.


Elle l’avait su dès que ses yeux s’étaient posés sur lui en CM1 B.


Elle, à l’époque, était plutôt le contraire : un peu garçon manqué, agitée, l’esprit volubile et la langue bien pendue qui avait tendance à claquer ses certitudes avant d’en comprendre la portée, toujours à vouloir courir alors qu’il faudrait commencer par apprendre à marcher, sujette pourtant à de brusques accès de mutisme qui trahissaient une concentration à la limite de la méditation avancée. Pas besoin de s’attarder sur un portrait détaillé pour tracer le personnage, il suffira de ce surnom que sa famille lui donnait : la petite tempête.

Elle était d’origine suédoise, mais née en France, métropole toulousaine, d’un père banquier et d’une mère fleuriste. Pour une raison qui lui avait toujours échappé et à laquelle elle ne s’intéressa jamais, ses parents décidèrent d’aller s’enterrer dans un minuscule village de montagne au fin fond d’une vallée qui n’apparaissait sur aucune carte. Kajsa avait donc changé de vie en milieu d’année scolaire, débarquée dans la classe le vingt-neuf février à neuf heures quarante-deux, entre l’aquarelle et les tables de multiplication, il y avait vingt ans de cela.

Elle avait classé chacun de ses nouveaux camarades en trois secondes par tête, avait choisi ses amis sans leur demander leur avis et s’était imposée dans cette modeste école de montagne avec une aisance déconcertante pour une petite citadine qui pensait encore, deux jours plus tôt, qu’un névé était un dessert lacté à la meringue-coco.


Les enfants étant des enfants, leurs caractères étant incompatibles et leur petite école primaire étant ce qu’elle était (petite et plutôt primaire), il arriva ce qu’il devait arriver : Kajsa humilia Célestin en pleine cours de récréation en gagnant au bras de fer – jeu auquel il était l’incontestable champion avant son arrivée – et ce, devant toute la classe du CM1 B. Ils se moquèrent de lui parce qu’il s’était laissé battre par la nouvelle. Quand la cloche retentit, Kajsa oublia l’incident ; trois jours après, les autres aussi. Célestin pas. Les choses en seraient restées là s’il s’était agi d’une affaire isolée. Sauf que.

Kajsa étant de tempérament impulsif, elle réitéra. Différemment : de petites piques irréfléchies qui fusaient avant qu’elle s’en rende compte, des exploits sportifs arrachés avec une aisance presque insultante, des devoirs brillantissimes qui volaient la vedette… Non pas qu’elle eut une quelconque dent contre Célestin, au contraire, mais c’était dans son caractère et tout le monde était logé à la même enseigne auprès d’elle. Même ses amis.

Elle le blessa. Souvent. Trop souvent, pour un petit garçon de neuf ans qui venait de perdre son papa. Trop souvent, pour un préadolescent amoureux de la plus jolie fille du collège, laquelle assistait au premier rang à ses échecs. Trop souvent, pour un lycéen qui rêvait de décrocher une bourse qu’il se vit rafler sous le nez à un demi-point près. Grâce à ce dernier outrage – le plus cuisant de tous – elle partit faire ses études à l’étranger, mademoiselle parfaite. Elle disparut du jour au lendemain, sans dire adieu à personne, ni bon vent, ni même pourrissez bien dans votre village de loqueteux, bande de minables ! Elle s’évapora aussi soudainement qu’elle avait débarqué dans leurs vies, ne laissant que des ruines de toutes ces amitiés qu’elle aurait pu sublimer. Fidèle à son surnom, elle avait tout détruit derrière elle. Il ne resta plus que le calme après la tempête.

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