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Kajsa se réveilla au bout d’une heure et demie, perturbée par le changement de luminosité de la pièce, car le soir était tombé. En entrant dans la cuisine, elle s’étirait encore, mais déjà son esprit s’inquiétait du désastre qui pourrait bien s’être perpétré en son absence. De désastre, point. Au contraire : sa mère et le voisin s’appliquaient à dresser les desserts.

- Tu as bien dormi, ma chérie ?

- Hum hum… vous avez été rapides.

- Avec une bonne organisation, on peut faire des merveilles. Nous ne savions pas trop comment tu voulais agencer tous les éléments alors nous avons improvisé.

- C’est… stupéfiant.

- En bien, j’espère ? compléta le jeune homme.

Il fleurissait les dômes de gélatine cerise avec de petits brins de lavande chatoyants.

- Hum… et la mousse au chocolat ?

- Nous allons faire de petites duchesses de mousse autour de la tartelette, en alternant avec les meringues. Cela ferait comme une ronde multicolore.

- Tu as l’air perplexe, poussin, l’idée ne te plait pas ?

- Je n’avais pas prévu les choses comme cela… mais… C’est plus sympathique que ce à quoi je pensais.

- Tant mieux, parce que c’est toi qui vas t’en occuper. Ni madame Larsen ni moi ne savons utiliser la poche à douille.

Kajsa hocha la tête sans commentaires. Elle testa la consistance de la mousse au chocolat qui patientait gentiment au réfrigérateur, opina du chef avec approbation puis alla chercher les ustensiles. La poche fut remplie proprement, en quelques coups de spatule rapides. Cela sentait l’habitude à plein nez. La jeune femme se pencha alors sur les assiettes à moitié finies pour y déposer les petits monticules striés à gestes précis et réguliers.

- Il va falloir mettre la table.

- Ton père et Justine s’en occupent déjà. Ils ont installé les rallonges tout à l’heure.

- Les entrées ?

- Prêtes. Il ne restera qu’à poêler le foie gras juste avant de servir. Tout est au garage, au frais et n’attend plus que tes invités. Hum… Bon, puisque tu es revenue et que tu es bien plus rapide que nous, je vais m’absenter un petit instant.

Madame Larsen quitta la pièce à pas pressés, heureuse de respirer un autre air pour quelques minutes. Les deux cuisiniers restants poursuivirent leur tâche méticuleuse sans trop se préoccuper de se faire la conversation. Kajsa finit assez vite ses touches de mousse. Elle contempla le résultat avec une satisfaction évidente.

- Et les cerises confites, vous comptez les mettre comment ?

- Montées sur un cure-dent, planté dans le bavarois à côté de la lavande. Un peu comme une pomme d’amour.

Kajsa rit en sourdine.

- Le thème, c’est la cour de récré ?

- Plait-il ?

- La ronde autour de la tartelette et la sucette plantée dans le gâteau…

L’homme sourit à son tour.

- Nous pensions plutôt à la fête foraine : la grande roue avec ses petites nacelles, et au centre le stand de friandises sucrées et colorées.

- J’aime bien !

- Pas déçue ?

- Non, pourquoi ? C’est une bonne idée.

- Juste comme ça…

Le silence s’installa de nouveau entre eux. Ils piquaient les cerises en faisant de leur mieux pour ne pas déranger la texture parfaitement lisse de l’enrobage que madame Larsen était parvenue à créer.

- Je peux te poser une question ?

- Hum hum ?

- Pourquoi tu tenais absolument à faire un repas aussi compliqué alors que tu n’étais pas en mesure de le préparer ce matin ?

- J’ai promis.

- C’est tout ?

- C’est tout. C’est mon meilleur ami, et il me fait une confiance aveugle. Je veux en être digne.

- Il y a des choses plus importantes qu’un repas pour cela.

- Ce n’est pas le repas le problème. Il me demanderait d’emmener sa voiture au garage, ce serait du pareil au même. J’ai donné ma parole. Et il se trouve que j’aime cuisiner. Donc il n’y a que des gagnants, c’est-y pas beau ?

- Si tu parles des assiettes, oui… magnifique. Je trouve qu’il manque un petit quelque chose quand même… Les couleurs sont trop uniformes.

- On a du jaune, du vert, du mauve, du rouge en trois tons… Je ne vois pas ce qu’il te faut de plus ?

- Du brun.

- Du brun ? Et tu penses à quoi comme goût pour cela ?

- De la cannelle râpée, un peu comme de la poussière en suspension dans l’air… Ou mieux, de l’anis étoilé ! On pourra les planter aussi comme décorations.

- Je ne suis pas sûre que cela se marie bien niveau goût…

- Tout est une question de dosage. C’est comme avec les gens : on peut s’entendre avec n’importe qui à partir du moment où on trouve le bon équilibre.

- Pour s’entendre, il faut être deux à le vouloir. Je vois mal ma cerise demander à ton anis : dis donc toi, ça t’dirais pas qu’on s’y fasse une p’tite farandole un peu ?

- Et ta lavande, elle le lui a demandé comment ?

- Avec classe.

- Ma très chère amie, voudriez-vous bien avoir l’obligeance de m’accorder cette valse ? Ma robe chocolatée sierra merveilleusement à votre teint mûr à souhait et la mousseline de nos petites meringues rehaussera le rebondi de vos joues que je vois rougir…

- Houlà ! Il s’en passe des choses ici !

Justine débarqua en trombe au milieu de cette tirade.

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