7

5 minutes de lecture

Seize heures sonnèrent au coucou en bois massif, s’exprimant par de joyeux pépiements d’alouettes calandrelles. Au même moment, le ronronnement sourd d’un moteur se fit entendre. Célestin passait-il vraiment la récupérer en voiture ? Kajsa sortit dans le jardin pour vérifier cela. Contre toute attente, elle se trouva nez à nez avec Roberto.

Roberto : un ancien ami d’enfance qu’elle avait quitté, comme tous les autres, du jour au lendemain, quand elle était partie étudier à l’étranger. Ni un adieu, ni un bonne chance. Ils ne s’étaient plus jamais adressé la parole depuis. C’était de sa faute à elle, bien sûr, mais un peu à la vie aussi : ils ne s’étaient jamais recroisés non plus. Cela faisait donc treize années qu’elle ne l’avait pas vu.

- Ça va, Kajo ? lâcha-t-il en demi-sourire.

Aussitôt, tous les souvenirs revinrent : les parties de billes enragées dans la cour de récré ; les cache-cache le samedi midi, dans la forêt, quand les parents devenaient chèvres à force de les chercher ; les leçons d’anglais où elle lui envoyait les réponses à coup de boulettes de papier — et les heures de colles qui en découlaient systématiquement ; les soirées de lycées au coin du feu, quand il grattait la guitare et que les autres écorchaient les paroles à toute voix… Ah ! Que de fous rires ils avaient partagés alors ! Des disputes aussi, bien sûr. Comme tous les enfants, ils s’étaient brouillés à cause d’un Pog perdu (toujours leur préféré) et des règles du chat perché. Plus tard, la responsabilité échouait au Monopoly, puis à toute la panoplie des coups de gueule que l’on peut imaginer entre adolescents…

– Robo ? Toi, ici ?

– Il paraît que tu erres dans le coin, enfin, c’est ce qui se dit en ville. Du coup, je suis venu vérifier.

– On ne raconte pas que du n’importe quoi, alors. Quoi de neuf depuis l’époque ?

– Rien de spécial, et toi ?

– Je suis supposée te croire ?

– Tout dépend, tu m’offres un café où je dois déballer ma vie sur ton paillasson ?

– Je ne suis pas libre longtemps, il paraît que j’ai un rendez-vous. Mais comme il y a du retard dans l’air : allez, entre !

Les deux compères s’installèrent confortablement dans le salon de madame Larsen, une bonne tasse de liquide fumant en mains. Roberto regardait autour de lui avec grand intérêt.

– Je ne me souvenais pas d’une pièce si petite. J’en ai gardé des images disproportionnées.

– Quand étais-tu venu pour la dernière fois ? C’était en seconde, non ?

– En première. Le six octobre.

– Quelle mémoire ! Attends… pour la fête de Hébert ! Tu avais badigeonné les murs de farine mouillée et papa t’avait interdit de remettre les pieds ici ! Pourquoi avais-tu fait cela déjà ?

– Tu avais « confondu » le jus de raisin et le porto au centre commercial ; nous n’étions plus tout à fait frais quand tes parents sont rentrés… Et je pense que nous étions en train de cuisiner… un truc.

– Des petits-beurre au caramel !

– Ah ça ! Quand il s’agit de bouffe, ta mémoire ne te fait jamais défaut, Kajkaj !

– Rhô ! Tout de suite, tu médis ! Bon, allez, dis-moi quoi !

– Quoi quoi ?

– Ben, quoi, quoi !

– Quoi ?

– Côa Côa ?

– Crois quoi ou quoi, mais je sais pas quoi…

La sonnette les interrompit. Ou plutôt, elle les aurait interrompus si elle avait marché correctement, mais elle semblait avoir décidé de rendre l’âme. Ce fut donc une toux à l’entrée qui les interrompit dans leur fou rire. Madame Larsen s’était déchargée de ses sacs de courses, un Célestin tout aussi encombré sur les talons. Tous deux toisaient les énergumènes dans le canapé qui cherchaient à reprendre leur respiration.

– Je vois que tu as retrouvé toute ton énergie, pluienette ! Tu pourrais l’utiliser pour m’aider à vider la voiture, un peu ? C’est encore Célestin qui s’est proposé.

– Hum hum… je reviens, Bobo.

Kajsa disparut s’occuper du reste des commissions sous le regard mécontent de sa mère. Celle-ci s’était levée du mauvais pied pour une raison qu’elle ignorait, et la présence de Roberto — ce petit hippie malappris qui avait ruiné son salon quinze années auparavant — n’arrangeait pas son cas.

– Roberto… cela faisait longtemps, grinça madame Larsen en fixant le trentenaire.

– Madame Larsen ! Bonjour. Bien longtemps, justement. Je tenais à vous présenter mes excuses pour les dégâts que j’ai causés chez vous à l’époque. J’étais jeune et insouciant… C’est fou le nombre de bêtises que l’on peut faire quand l’on est gamin !

– Mieux vaut tard que jamais, dit-on.

– Je comprends que vous m’en vouliez encore, j’ai appris que Kajsa était de retour et… je me disais que l’interdiction était caduque depuis…

– Je présume que mon mari n’a pas changé d’avis, mais tu as de la chance : il s’est absenté. Par contre, j’aimerais que ma maison reste intacte cette fois. J’ai assez vu de tes bêtises par ici.

Ledit se leva d’un bond de son siège, tout penaud. Il régressa aussitôt au stade de l’adolescent qui s’était fait jeter dehors sans ménagement quinze années auparavant.

– Enfin, la farine devait être difficile à nettoyer, mais les meubles n’ont pas été abîmés.

– Je pensais d’abord au feu d’artifice qui a détruit mon abri de jardin.

– Ah, oui… ça…

– Et au mini-kart qui a cassé mon rosier bleu en plein milieu de la nuit.

– Hum… c’était une mauvaise manipulation, mais ce n’était pas mon intention…

– À la maquette du drakkar qui s’est pris un « malencontreux » coup de ballon de basket.

– Euh…

– Maman, c’est bon, je crois qu’il a compris. Il a raison : c’était il y a longtemps. Il a grandi depuis, et nous avons pu réparer les dégâts.

– Je n’ai pas fini, Kajsa : je me souviens surtout, et mon époux ne l’aura pas oublié non plus, de la partie de pétanque avec des boules de bowling, où tu as cassé la cheville de ma fille…

– Maman…

– Ainsi que de votre voyage de célébration du bac où elle est revenue brûlée au second degré à cause d’un barbecue mal maîtrisé.

– Brûlée ? sursauta Roberto. Comment ça ?

– C’est bon, maman, on s’arrête.

– En effet, on va arrêter là. Roberto, je pense que tu devrais déguerpir avant que mon mari rentre, car il n’a toujours pas digéré l’hospitalisation.

L’homme jeta un regard interrogateur à Kajsa, plus troublé qu’autre chose.

– On en parlera une autre fois, retourne chez toi, ça vaudra mieux.

Elle attendit qu’il ait disparu avant de reprendre :

– Tu exagères ! Je t’avais dit qu’il n’y était pour rien ! Pourquoi remets-tu sur la table des évènements aussi vieux ? Les gens évoluent !

– Vraiment ? Vous jouiez aux crapauds il y a dix minutes. Dis-m’en plus sur sa maturité ! C’est ce que je pensais. Il a interdiction de mettre les pieds ici, et cela ne changera pas. Maintenant, je vais faire ma lessive.

Madame Larsen disparut sur ces paroles sèches. Sa fille alla alors trouver le voisin, qui n’avait pas osé quitter la cuisine pendant tout le temps de l’échange. Il avait fini de ranger les commissions, connaissant de toute évidence la maison.


– Désolée, ce n’est pas vraiment dans les habitudes de maman de s’énerver de la sorte.

– Je crois ne l’avoir jamais vue aussi en colère.

– Du coup… tu voulais me parler ?

Kajsa était préoccupée, triturant les manches de son gilet trop grand avec minutie. Célestin hésita quelques secondes, avant de lui sourire.

– Mets tes chaussures et retrouve-moi devant ta porte.

– Nous allons donc quelque part ?

– Dépêche-toi ! Il sera bientôt dix-sept heures ! Nous avons presque une heure de retard sur le planning.

Annotations

Vous aimez lire - Kyllyn' - ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0