Ma voisine

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Dylan est un écrivain, un écrivain célèbre vu le nombre de best-sellers qu’il a déjà à son actif.

Il écrit tellement que les mots semblent couler de ses doigts, que le jeux de ceux-ci frappant le clavier semble orchestrer ses histoires.

Tout fuse à une telle vitesse dans son cerveau qu’il a décidé devoir, pour sa santé, ralentir. Pour cela, il a fouillé dans le grenier de la maison familiale afin d’en exhumer la vieille machine à écrire Hermès vert-olive aux touches vert-d’eau sur laquelle sa mère écrivait les courriers que lui dictait son père.

Un ruban plus tard, le tic-tic-tic du clavier numérique est remplacé par le tchac-tchac-tchac.

Après quelques heures, et autant d’injures, les lettres noircissent le papier blanc et les histoires s’enrichissent d’un nouvel instrument.

Peu habitué encore à ce changement, il fait une pause, savourant un thé-citron accompagné de quelques biscuits secs. Un petit coup d’aspirateur à miettes fit disparaître celles-ci, il répugne à la saleté et au moindre grain de poussière, l’une de ses nombreuses maniaqueries de reclus.

C’est bien ce qu’il était, un reclus, pas au point de ces japonnais qui ne sortent plus de chez eux ou d’une personne souffrant d’agoraphobie, c’est seulement qu’il faut que les mots sortent jusqu’à ce qu’il puisse en endiguer la vague.

Il commande, il est livré, une personne vient faire son ménage et préparer ses repas tous le jours.

Pourtant, depuis quelques mois, une personne lui manque, sa voisine de la maison d’en face.

Il occupe une petite maison de maître qu’il avait faite restaurer, elle, une demeure bourgeoise en briques et pierres des années 20 aux maintes pentes de toits pointues, circulaires ou non.

Dans ce quartier, les maisons étaient toutes éloignées les unes des autres, sauf ces deux-ci.

Elle était venue une jour taquiner sa porte du pommeau de sa canne en forme de boule argentée ouvragée. Elle lui avait demandé son aide afin de changer une ampoule électrique. Si on lui avait posé la question, sans doute aurait-il juré qu’elle s’éclairait encore avec des lampes à huile tant la lumière pouvait être vacillante chez elle.

Dylan avait été surpris de découvrir une femme que les années avaient certainement rabougrie, mais qui ne courbait pas l’échine. Elle était à l’image des institutrices d’un autre temps avec son chignon strict, ses petites lunettes rondes, son tailleur gris-souris et son chemisier blanc dont une broche fermait le col. Le dessin des ans scarifiait peu son visage, et malgré presque quatre décennies d’écart son charme et sa voix, légèrement graveleuse, touchèrent l’auteur.

Est-ce cela qui fit que les mots s’apaisèrent dans son crâne, il ne le remarqua que bien plus tard, et bien que piètre bricoleur, on s’en douterait, il n’hésita pas à accompagner sa voisine, lui offrant un bras qu’elle prit volontiers pour remonter l’allée en ciment.

Elle le remercia pour sa galanterie, il lui répondit que, feu sa mère, ne le lui aurait pas pardonné.

Il rirent de bon cœur.

C’est donc sur la rupture d’un filament de tungstène que naquit une tendre amitié entre un trentenaire aux mains rythmées de mots, et une septuagénaire en manque d’en prononcer.

Pour la première fois de sa vie, Dylan entendait clairement les mots qui lui étaient adressés, les retenait, tout en engrangeant la vie de son amie.

Dans sa tête, tout cela s’agençait en chapitres, paragraphes, strophes et phrases, une sorte de classeur alphabétique regroupé en différentes époques.

Dylan retrouvait avec Théodosia un sentiment filial qui lui avait toujours manqué après qu’il ait perdu ses parents très jeune. Il s’ajoutait que, depuis aussi loin qu’il pouvait s’en souvenir, les mots de cette femme venaient réellement s’ajouter aux siens, non pas comme un instantané qui s’évaporerait tout en perdant son sens.

C’est ainsi que quelques années durant, elle lui raconta sa vie tout en prenant du plaisir avec cette personne si particulière qui devint rapidement comme un nouveau fils pour elle. Elle l’écoutait, il l’écoutait, ils échangeaient, elle lui inculquait, il apprenait.

Il se sentait bien dans cette maison dont il connaissait maintenant l’histoire, il en faisait, lui aussi, parti dorénavant. Il ressentait ce passé en lui, un sentiment nouveau, une expérience bienfaisante se savoir qu’il faisait parti de quelque chose.

C’est ainsi qu’ils mirent en place un rituel qui rassurait chacun. Chaque soir quand elle se couchait, Théodosia faisait clignoter sa lampe deux fois.

Cela fait bientôt sept ans qu’ils se connaissent, et pourtant, ce soir glacial du début janvier, la lumière reste allumée. Dylan attend, encore, puis se dit que cela fait trop longtemps.

Il s’enquit donc des clés, et presse le pas vers la demeure.

Dame Faucheuse est venue la quérir. Elle lui a laissé le temps de sa mise, certainement une belle chemise de nuit dont il ne voit que le beau col en dentelle.

Le drap est remonté sur sa poitrine désormais inerte, les mains sont jointes sur son ventre, un chapelet les entoure. On croirait une mise en scène.

Elle semble perdue dans la moitié droite de cet immense lit, mais Dylan ne voit que LA, Grande Dame qu’elle a été pour lui, ce qu’elle a rempli en lui, jusqu’à ce moment où des larmes viennent inonder ses yeux puis ses joues.

Il restera là un long moment à se recueillir avant de prévenir les autorités compétentes, puis conformément à ses désirs, prévint chacun de ses sept enfants, plus avides qu’emprunt de la peine de la disparition de leur mère, remit aux services funéraires ses dernières volontés en la matière et enfin prit attache avec le notaire auquel il remit une grande enveloppe cachetée.

En raison de la procédure dite de « découverte de cadavre », il due attendre plusieurs jours avant que l’inhumation ne soit possible dans la sépulture familiale située dans un angle de la propriété. Il avait également une enveloppe à l’attention du prêtre et se sentit bien seul avec Thierry le jardinier et Isabelle l’intendante, comme Théodosia la nommait. Il y avait d’autres personnes qu’il ne connaissait pas, mais qui semblaient sincèrement peinées.

Les sept qu’elle avait porté étaient présents aussi, mais ils rongeait plus leur frein qu’autre chose, certainement dans l’attente de la convocation que le notaire avait fait suivre, et à laquelle Dylan était également convié, à son grand étonnement.

Lorsque l’homme de loi a donné lecture du testament, il y avait huit parts.

La société familiale fut répartie également entre les sept enfants et s’y ajouta équitablement à chaque fois, un bien immobilier et des liquidités.

C’est lorsque la quotité disponible fut évoquée que les sept voix, des sept enfants que l’auteur trouvait sept fois indignes de si peu s’être préoccupés de leur mère, s’élevèrent.

Pour leur service et leur fidélité, Isabelle et Thierry reçurent chacun une rondelette somme d’argent. Quant à Dylan, il reçu le manoir accompagné d’un fond destiné à son entretien.

Le testament fut bien évidemment contesté, mais l’action judiciaire ne perdura pas face à l’armée d’avocats qu’il mobilisa. Il sourit même à trouver une utilité positive à l’argent de ses mots.

Beaucoup de choses ont changé dans les mois qui ont suivi.

Il a convolé en justes noces avec Charline, la fille aîné d’Isabelle qui elle aussi a ce don des mots avec lui. Avec son ventre qui s’arrondit elle gère le domaine, car il s’est avéré que la maison était bien plus qu’une simple propriété.

Isabelle a prie sa retraite, tout comme Thierry dont l’un des fils a pris sa suite.

La famille habite désormais la grande demeure. La chambre de Théodosia reste la sienne. Elle n’est vide pour personne, elle est occupée par sa mémoire et ce qu’elle a engendré dans la vie de chacun, dont un qui n’est plus un reclus.

Dylan a mis sa maison en location, exception faite de son bureau pour lequel il a aménagé une entrée séparée.

Parfois le soir, lorsqu’il s’est oublié dans le mots, sa femme fait clignoter deux fois la lumière de la chambre de son amie…

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