La Tendresse du Frelon

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Des enfants ébaudis dans l’ombre rassurante des rhododendrons, il ne reste que Gus, suspendu dans sa course folle, l’œil alerte, fasciné. Mus par des gestes épileptiques, des cris hystériques qui fendent l’air avec violence, ses camarades de jeux s’enfuient tambour battant vers la maison et disparaissent du jardin soleilleux.

Aussi invasif qu’une fanfare un soir d’été, aussi rassurant qu’une mitraillette un peu zélée, il est apparu dans le décor, figé dans son envol, maintenu par ses ailes aux battements frénétiques. Il en impose par sa majesté, son corps puissant, ses stries d’un noir profond qui ornent son abdomen gonflé, d’un ambre agressif, lumineux, solaire.

De son dard affûté, il aurait pu les piquer, un à un, mais son flegme, sa placidité, sa nonchalance, amusent Gus qui d’ordinaire se méfie de ces créatures belliqueuses : ce frelon, se persuade-t-il, n’est pas ordinaire ! Pourquoi diable n’a-t-il pas poursuivi ses comparses de ses assiduités, pour déposer, sur leurs dermes bronzés par la caresse oppressante du soleil, la lourde piqûre de la peur ? Pourquoi ne semble-t-il pas agacé par cette excitation désordonnée qui, d’ordinaire, génère chez cette espèce la cruauté froide, implacable, que l’homme lui prête ?

Défiant toute logique, il préfère rester là, battant des ailes face au garçonnet, plongeant l’onyx de son regard de vespidé dans l’iris scintillant de l’enfant, qui s’amuse de cette situation saugrenue et dévoile son plus beau sourire. C’est la première fois qu’un insecte le contemple ainsi et qu’il remarque, dans la noirceur de leurs yeux, quelques petites lueurs qui pétillent, comme une invitation à jouer.

Normalement, ces bestioles ne font jamais du surplace, suppose Gus, fort de ses observations méticuleuses. Les volants, de véritables avions miniatures, attaquent ou s’enfuient loin des nappes d’insecticides, la frénésie de torchons un peu fous. Quant aux rampants, vifs comme l’éclair, ils décanillent vers une cachette, effrayés d’être écrasés par des chaussures implacables, lesquelles battent le sol d’un rythme martial. Ils ont peur de l’homme, autrement plus barbare.

Et pourtant, ce frelon, suspendu dans le ciel comme une fée bienveillante, dévisage Gus et, lorsque ce dernier finit par lui tendre la main, il se pose dessus avec grâce : une chatouille qui émoustille l’enfant, charmé par la docilité de cet invertébré décidément atypique. Alors qu’il le détaille, observant ses poils, ses antennes, la complexité même de son corps trapu, il lui semble le connaître déjà : cette sensation troublante l’étreint, alors que l’insecte se promène sur sa main, décrivant trois lettres, R A Y, que Gus ne remarque pas.

Amusé de ce comportement absurde, Gus se met à rire et nomme le frelon à l’instant même où il existe dans son cœur et le fait battre d’une pulsation nouvelle : « Buzz, tu t’appelleras Buzz. Bonjour Buzz » ! Ça ressemble à Gus, ça fait penser aux bruits de ses ailes transparentes. Quelles sont jolies ! Elles ressemblent à s’y méprendre à de fines pellicules de givre !

Alors, enivré par les promesses de cette amitié insolite, l’envie de caresser Buzz se fait pressante ! Bien que Gus sache qu’un vespidé n’est pas un mammifère, il ne peut se résoudre à désobéir à son instinct. Il a une confiance absolue en Buzz. Cette évidence s’impose de plus en plus alors que, de ses pattes chatouilleuses, l’insecte docile trace d’autres lettres sur la paume de sa main : M O. À dessein.

Juché sur l’épaule du garçon, Buzz pénètre cette maison familière, en savoure chaque recoin. Dans la chambre de Gus, une fois les enfants partis, il joue avec lui, à sa façon, jusqu’à la tombée de la nuit : se posant sur les voitures miniatures que fait glisser l’enfant, en se déplaçant d’un pas alerte de bulles en bulles lorsqu’il savoure une bande dessinée. Bonheur absolu ! Gus ne s’est jamais autant amusé qu’avec Buzz : son chat Gribouille et son chien Billy ne sont pas capables de tels tours ! Jamais ils ne lui ont apporté autant de réconfort !

Communiquer est inutile quand l’amour est réel.

Hélas, tout sortilège est voué à être brisé, il en va ainsi de la vie : le lendemain matin, la mère de Gus, apercevant une coupelle sur la table de chevet de son fils, s’interroge. Elle aperçoit alors un frelon bien dodu, endormi sur du papier bulle ! Terrifiée par cette vision surréaliste et ses peurs primales, elle l’écrase sans plus attendre, avec le premier jouet venu.

De retour dans sa chambre, Gus, émoustillé par l’envie de jouer avec son meilleur ami, ignore la présence de sa mère et se rue sur la couche improvisée pour n’y trouver qu’un vulgaire cadavre, celui d’un insecte lambda. Une douleur vive lui déchire le cœur, une tristesse infinie l’envahit alors que des pleurs glacés traversent en trombe son visage déformé par le chagrin. Dévasté, Gus n’avait pas ressenti cette sensation de vide depuis le décès de son grand-père Raymond, remplacé par une poupée de cire à son effigie… une illusion cruelle, enfoncée dans un cercueil capitonné.

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