Lettre à Marie, l'amour de ma vie.
Ce soir encore ; je suis seul. Les enfants sont couchés depuis une petite heure ; et je suis là, toujours à la même place, derrière cet austère bureau que tu détestais tant. Tu n'aimais pas que j'y passe mes soirées. Et bien vois-tu, j'y suis toujours. Mais le carnet des comptes, ce soir, il attendra, ce soir j'ai envie d'autre chose. Je serai raisonnable plus tard. Ce soir, je n'ai pas la force de me raisonner et de m'y mettre. Ce soir, je suis triste ; Marie. Je suis tellement las de cette douleur, tellement vidé; tellement meurtri. Je sais que je serai mieux dans mon lit, je sais que je devrai aller prendre un peu de repos. Demain sera un nouveau jour de labeur, il y a tant à faire et heureusement, cela me tient debout, je me raccroche au travail comme un naufragé à une planche d'épave. Une épave, oui, voilà mon refuge , voilà ma vie, maintenant. Je ne suis plus rien qu'un arbre mort, décharné, desséché. J'ai si mal ; Marie. Mal de toi, en manque de toi, plus rien n'a de sens sans toi, plus rien. Les plats sont fades, les couleurs sont moches; même les étoiles ont disparu au -dessus de Ponderosa. Tu étais mon étoile, mon guide, mon phare; comment vais-je trouver mon chemin maintenant ? Je suis aveugle, je ne vois plus rien, je ne sens plus que la douleur qui blesse mon coeur, qui blesse mon corps et qui va me détruire, je le sens, je le sais.
Je devrai aller dormir ; oui; c'est ça, je devrai monter me coucher; mais je sais que ça va me faire mal. Notre chambre me fait mal, le lit me fait mal ; tout me rappelle toi. Ton parfum, ta chemise qui est restée pendue dans l'armoire, ton parfum qui flotte encore dans la pièce. Ta brosse avec tes cheveux dessus, oh juste quelques uns ; je sais que tu n'aimais pas en trouver un sur ta brosse de soie douce. Comprends que tout pour moi est à la fois consolation et torture. Ta broche, celle que tu portais le jour de nos noces ; elle est là; je n'ai pas voulu que tu partes avec ; je voulais égoïstement garder ça pour moi. Tu es partie avec tellement de choses : ton alliance, ton bracelet, ta médaille de baptême, qui se collait tout le temps entre tes seins, je le sais, je m'en souviens, j'en ai souvent gouté la saveur ; j'adorais aller la décoller du bout de la langue. Oh Marie, ton corps me manque ; tu étais l'amour de ma vie : l'amour-passion, l'amour-charnel, l'amour-fusion, l'amour-langoureux ; l'amour-effusion. Je ne te ferai plus jamais l'amour, je ne ferai plus jamais l'amour, mon corps te réclame, mon coeur se languit de toi, mes mains tremblent à force de ne plus te serrer, à force de ne plus te caresser. Mes yeux s'épuisent de te chercher sans arrêt dans les pièces de la maison, mes yeux sont brûlés par chaque larme que je verse quand je vois notre garçon te chercher, te réclamer, t'attendre, oui il t'attend. Malgré les mots, malgré la vérité, malgré la réalité, il attend et je ne saurai l'en blâmer. Que sait-on de la mort quand on a sept ans; alors qu'on n'en sait toujours rien quand on est homme et père ?
Marie ma belle, Marie ma tendre , Marie mon rayon de soleil, tu me manques.
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