Chapitre 9 : Sèvenoir

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  Puisqu’il semblait enclin à parler, j’en profitai :

– Comment est-ce possible ?

– Malgré tous ces efforts pour te cacher, beaucoup sont au courant de ton existence.

Je restai interdite, décontenancée par ses paroles.

– Qui êtes-vous ?

– Je m’appelle Sèvenoir. Mon nom ne te rappelle-t-il rien ? me demanda l’homme masqué sur un ton empressé.

– Je crois que si.

Son timbre, paradoxalement chantant, éveillait en moi une drôle de sensation.

– Mais tu as tout oublié, constata Sèvenoir d’une voix amère. Je m’en doutais. Tu ne te rappelles donc même pas d’où tu viens. Je l’ignorais.

– Je ne sais pas de quoi vous parlez, mais non, je ne me souviens de rien.

Enfin ! Les réponses allaient peut-être venir. Mon désir de comprendre prenait le dessus.

– Sais-tu que tu as été trouvée près d’un arbre, lorsque tu n’étais qu’un nourrisson ?

– Oui, et je l’ai appris il y a peu. Toutes ces choses inconcevables se déroulent en même temps, reprochai-je d’un ton accusateur.

– Je veux bien te dire où nous sommes exactement, continua Sèvenoir, dédaignant ma réponse. Mais je suis intimement persuadé que tu ne vas pas me croire…

– Oh, j’ai vu et appris des choses incroyables ces temps-ci, alors je m’attends à tout !

– À tout, vraiment ? C’est ce que nous allons voir, déclara l’homme masqué, sûr de lui. Et si je te disais qu’en ce moment même, tu ne te trouves plus sur la planète Terre ?

– Quoi ? m’écriai-je, interloquée.

– C’est pour cette raison que tes parents adoptifs ne comprennent pas d’où tu es arrivée. Ils ne pouvaient pas se douter que tu es née sur une autre planète.

Sa voix devenait de plus en plus douce.

– Attendez, vous êtes en train de m’affirmer que je viens d’un autre monde que celui où j’ai toujours vécu ?

– Oui. Et je viens de te ramener chez toi.

Comment expliquer rationnellement le fait de passer d’un arbre dans mon jardin à… ici ? Et où se trouvait cet « ici », justement ? Cet homme disait peut-être la vérité.

– Si, comme vous le prétendez, je suis née ici, alors pourquoi ai-je vécu toute mon enfance sur Terre ?

– Ah, très bonne question ! Mais ce n’est pas à moi qu’il faut la poser. Avorian, l’un de mes pires ennemis, t’a placée sur Terre. Les raisons lui appartiennent. J’essaie justement de découvrir pourquoi il t’a envoyée si loin de chez toi.

– Vous me semblez bien humain, pour un extraterrestre. Et puis, vous parlez ma langue !

– Tu ne peux pas savoir à quoi je ressemble exactement. La plupart des nations de notre monde sont des espèces de type humanoïde. Et c’est toi qui t’exprimes dans notre langue.

Je n’arrivais pas à y croire !

Où se trouve la frontière entre le rêve et le réel ?

– Cette révélation me semble… invraisemblable ! J’ai la conviction que d’autres planètes sont habitées dans l’Univers, et je crois en l’existence de mondes parallèles. Mes parents et moi en discutions quelquefois. La physique quantique parle de phénomènes vibratoires et de lignes temporelles. Mais de là à concevoir que je me trouve à cet instant précis dans un autre monde, en train de parler une autre langue, c’est vraiment difficile à envisager !

Sèvenoir marchait lentement autour de la table, comme pour réfléchir.

– Tu es rudement intelligente pour ton jeune âge, finit-il par dire. Ta famille et toi croyez en ce genre de choses. Tu as eu de bons parents. Tant mieux.

– C’est vrai, approuvai-je d’une voix douce, tentant de l’amadouer. Ce n’est pas votre cas, visiblement...

– En effet. J’ai toujours été seul.

Il baissa la tête, arrêta un moment de faire les cent pas pour me regarder. Même s’il m’avait kidnappée, ligotée, je ressentais une forme de compassion pour lui. Je ne connaissais rien de sa vie, et pourtant, à travers sa taille imposante, son visage masqué, je percevais un cœur brisé. En mille morceaux, mais encore bel et bien là.

Il m’étudia intensément à travers les fentes de son masque, puis ajouta :

– J’admire le fait que tu arrives si aisément à garder ton calme et ton sang-froid. Pourtant, tu n’es qu’une enfant.

– Le syndrome de Stockholm, lançai-je.

– Le syndrome de quoi ? répéta-t-il, perplexe.

– Ah, vous ne pouvez pas connaître. C’est le fait de vouloir aider son propre agresseur et d’éprouver de l’empathie pour lui. Je suis une personne hypersensible et empathique. C’est plus fort que moi.

En lui expliquant la signification du syndrome, je donnais foi en ses paroles : je me trouvais peut-être dans un autre univers.

Un monde où Stockholm n’existait pas.

– C’est sans doute pour cela que tu es si précieuse… En éprouverais-tu pour moi ? demanda-t-il, surpris.

– Oui.

– Je me suis trompé sur ton compte. Tu n’es pas du tout dangereuse, en fait. Je vais te détacher. Ne t’avise pas de t’échapper.

Cet homme me croyait dangereuse, et m’avait sans doute attachée pour cette raison ! Cela paraissait complètement fou.

– Pourquoi m’avoir ligotée, je ne comprends pas. Vous dîtes vous-même que je ne suis qu’une enfant.

– Je craignais tes réactions. Dans ce monde, si tes mains avaient été libres et jointes, tu aurais pu utiliser le fluide et me blesser sans le vouloir.

Je ne comprenais pas grand-chose, mais cela expliquait au moins ses précautions.

Il sortit un long couteau ouvragé, trancha les liens enserrant mes mains et mes chevilles d’un geste sec. À peine assise, je ne pus faire un geste : l’homme masqué tenait déjà fermement mes poignets. Il me fit descendre de la table. Trop engourdies, mes jambes se dérobèrent sous mon poids. Je m’effondrai sur lui. Il me releva promptement. Je dus me maintenir debout sans vaciller.

– Je dois vérifier ta dorure, me dit-il. Je n’ai pas réussi avec toute cette couche de vêtements que tu portes. Peux-tu retirer ton haut ?

– Quoi ? Non ! Sûrement pas !

– Je ne te ferai aucun mal, rassure-toi, je dois juste t’examiner.

Je me redressai d’un bond, effrayée.

– C’est pour prendre soin de toi, Nêryah ! Puisque tu ne veux pas obtempérer, je vais le faire moi-même.

– Faire quoi ? demandai-je, tremblante, imaginant la terrible réponse.

En guise de réponse, il s’avança vers moi, pointant son long couteau en ma direction. Allait-il me torturer avec ? Ayant pratiqué l’escrime pendant quelques années, j’avais l’habitude de manier épées, fleurets et sabres. Mais là, aucun moyen de me défendre !

– Qu’allez-vous faire avec ce couteau ? m’affolai-je.

– Je ne sais pas encore… dois-je te trancher la gorge pour te faire taire ? lança-t-il d’un ton espiègle.

Je reculai, totalement apeurée. Je me retrouvai collée à l’une des larges colonnes.

– Non ! Ne faites pas ça ! implorai-je, certaine qu’il allait me tuer.

– Tu n’as pas voulu coopérer. Tu n’es pas en mesure d’exiger quoi que ce soit.

– Je ne veux pas mourir dans l’ignorance. Je ne veux pas que mon âme erre à tout jamais !

Une larme coulait le long de ma joue. Sèvenoir s’approcha pour l’essuyer de son index ganté. Je frémis à son contact, à la fois perplexe et angoissée.

– Mourir ? Ton âme ? s’étonna-t-il. Mais tu n’y es pas du tout ! Tu te méprends sur mes intentions. N’as-tu donc aucun sens de l’humour ?

Malgré ces paroles rassurantes, il plaqua mon bras contre le mur, le tenant fermement. J’essayai plusieurs fois de m’en échapper ; peine perdue : impossible de me dégager de sa poigne. Je glissai le long de la colonne de pierre pour me retrouver à genoux, désespérée. L’estomac noué, je commençais à réaliser le danger. Ce constat me plongea dans un état de frayeur. Des larmes de terreur et d’incompréhension perlèrent au coin de mes yeux. Je ne pouvais plus bouger, pétrifiée de peur.

Il apposa sa lame contre mon ventre, comme prêt à l’enfoncer. Il soupira de lassitude. Cela semblait réellement pénible pour lui. Je fermai les yeux. Dans une ultime volonté de survivre, je mordis son bras, celui qui retenait le mien. Il le retira d’un geste brusque, et dans ce mouvement sec, incontrôlé, la lame qu’il tenait dans son autre main me coupa à la cuisse, emportée dans cet élan. Je criai de douleur, mais saisis immédiatement qu’il ne l’avait pas fait exprès. Horrifiée, je découvris mon sang suinter de ma cuisse, imbibant mon pantalon. J’eus un haut-le-cœur.

– Pardon, Nêryah ! Je ne voulais pas te blesser ! J’ai été surpris par ta morsure ! s’effara-t-il, pétri de regrets.

Il arracha à la hâte un pan de tissu au niveau de ma blessure et l’examina, perplexe.

– Tu… ne cicatrises pas ? s’étonna-t-il.

Je le regardai intensément, indignée. Je me mis à pleurer bruyamment.

– Je… je ne voulais pas te faire mal…, me susurra-t-il à l’oreille, le ton accablé.

 Je ne savais plus comment réagir. Alors que j’appuyais fermement sur ma plaie pour stopper les saignements, un éclair attira mon regard. Une immense colonne de lumière apparue dans la salle, au niveau de la table, irradiant tout l’espace de sa clarté aveuglante. Elle tournait sur elle-même, telle une tornade, avançant droit sur nous. Ce phénomène détourna l’attention de l’homme masqué. Il se leva d’un bond, bras écartés, face à cette étrange magie.

 De fins lacets scintillants sortirent du tube luminescent pour m’attraper, jusqu’à entourer mon corps tout entier. Incapable de résister, je me voyais aspirée par cette colonne lumineuse, tirée par les filaments.

 Sèvenoir ne semblait pas pouvoir toucher cette lumière, ni m’atteindre. Je l’entendis crier : « Non ! Non ! Si proche du but ! Maudit soit-il ! Je le hais ! ».

 J’entrai au centre du cylindre, littéralement absorbée par cette structure intelligente. L’homme masqué ne put rien faire pour l’en empêcher. Contre toute attente, le processus se révéla indolore. Mon corps flottait à l’intérieur, et s’allégea de plus en plus, au point de s’évaporer.

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