Chapitre 18 : Le Royaume du Cristal

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  Les rayons du soleil traversaient la petite ouverture ronde, annonçant une belle journée. Je m’éveillai, l’esprit hagard. Je me levai, chancelante, me dirigeai vers la salle de bain. Je m’aspergeai le visage d’une eau fraiche, priant pour que effets vivifiants me sortent de ce cauchemar, et pris un bain.

 De retour dans la chambre, j’examinai la pièce.

 Non. Je ne reconnaissais rien. Je me trouvais toujours sur Orfianne, chez Avorian, et ne pouvais plus retourner sur Terre.

 Tous ces évènements se révélaient donc réels. Impossible de revenir en arrière.

 Je me sentais au bord de la crise d’angoisse.

 Il fallait se ressaisir ; basculer dans la folie ne m’apporterait rien.

 Il ne me restait plus qu’à assimiler cette lourde vérité, pour m’intégrer à ma nouvelle planète.

 Orfianne.

 Je découvris une robe blanche avec une ceinture dorée en satin à côté du lit. Exactement comme celle que portait la fameuse statue dans l’église. Dans cette chambre, les habits semblaient apparaître tous seuls !

 Je m’empressai de m’habiller, nouai mes cheveux en une longue tresse. Le joli bustier aux manches bouffantes laissait les épaules dénudées. J’avais l’impression de me transformer en princesse !

 Avorian frappa à ma porte. Il entra après mon approbation, et me considéra de la tête aux pieds. Il en resta bouche-bée, comme s’il venait de voir un fantôme.

– Je ressemble à quelqu’un que vous connaissiez habillée ainsi, n’est-ce pas ? finis-je par dire.

– Tu es vraiment splendide dans cette robe, me flatta-t-il, histoire de détourner mon attention.

 Avorian esquivait une nouvelle fois, bien déterminé à ne pas lâcher le morceau.

 Je l'ignorai et continuai sur ma lancée :

– La statue, par exemple…

 Voyant son visage se décomposer, je réalisai mon arrogance, alors qu’Avorian venait de me sauver la vie, une deuxième fois. J’esquissai un sourire pour alléger cette tension palpable en ajoutant :

– Cette tenue est ravissante ! Tout comme la jolie robe bleue que vous m’aviez donnée. Malheureusement, elle s’est déchirée dans l’église. Je suis désolée ! Ça me fait tout drôle de porter ce genre de vêtement, j’ai peur de me salir.

– À propos de te salir, tu feras attention puisque nous allons déjeuner.

 Nous nous dirigeâmes vers la salle à manger. J’aimais l’ambiance chaleureuse qui s’en dégageait, avec les murs enduits de terre beige, les coussins répartis au fond de la pièce, et la grande table en bois, garnie de fruits couleur fuchsia. Je mangeai ces derniers avec appétit. De la forme d’une mangue, leur pulpe à la fois acidulée et sucrée rafraîchissait agréablement mon palais. J’en retirai un tout petit noyau marron au milieu.

– Comment nomme-t-on ces fruits ? demandai-je. Je ne crois pas qu’il en existe sur Terre. C’est délicieux !

– Des neybos[1]. Ils poussent sur un arbre, dans mon jardin.

– Certains Orfiannais mangent-ils de la viande, ou bien vous nourrissez-vous seulement de plantes et de fruits ?

 C’était une question rhétorique, car je réalisais que le terme « végétarien » n’existait pas en Orfiannais. J’attendais juste sa confirmation.

– Aucun peuple sur Orfianne ne mange de la chair animale. Cela ne nous viendrait même pas à l’esprit. Quelle drôle d’idée ! Manger nos confrères ? Alors qu’ils sont faits de chair et de sang, comme nous ? Rien que d’y penser, cela me donne la nausée. Nos fruits et légumes sont bien plus nourrissants.

– Dans ma famille adoptive, nous ne mangions pas d’animaux non plus.

– Heureusement ! Dans le cas contraire, j’aurais été contraint de te concocter une potion pour te purifier entièrement ! J’ai aussi choisi ta famille adoptive pour cette raison : pour leurs convictions. Bien, je vais te montrer les arbres dans lesquels poussent les neybos.

 Je le suivis dans le jardin. Le délicat parfum des fleurs embaumait l’air. Nous avançâmes jusqu’à un arbre d’au moins quinze mètres de haut, au tronc fin, droit, dont le feuillage fourni lui donnait un port pyramidal. Dans les feuilles ovales, de couleur vert-brillant, se cachaient d’innombrables neybos.

– Eh bien ! On a de quoi manger pour un moment ! m’exclamai-je.

 Nous nous assîmes sur un rocher, à côté de la cascade. J’écoutais le bruissement apaisant de l’eau.

– Il existe plusieurs nations sur Orfianne, m’informa Avorian, haussant le ton pour couvrir le bruit du ruissellement de la cascade. Certaines vivent principalement sous l’eau, tandis que d’autres, au milieu des arbres.

– Vous ne voulez toujours pas me dire qui je suis…

Avorian demeura interdit. Il inspira à fond en plongeant son regard dans l’eau, comme s’il y cherchait de l’aide.

– Nêryah… notre peuple a disparu. Je ne me sens pas encore prêt à te parler des circonstances du génocide.

 Avorian évoquait sans doute la grande bataille dans laquelle mes parents biologiques avaient péri. Et elle avait manifestement fait bien plus de ravages que je ne le présumais.

 Il avait dû vivre ce drame de près.

 J’avais de la peine pour lui. Je voyais bien que cela le rongeait de l’intérieur. Mais je voulais comprendre pourquoi on m’arrachait à ma famille sur Terre.

 Sa réponse faisait écho à celle de Sijia, lorsque mes parents s’étaient disputés à mon sujet : « Je ne serai pas capable de supporter un autre deuil. »

 Sa plus grande peur venait de se réaliser.

 Ma mère me manquait tellement… J’avais envie de m’enfouir dans ses bras, de m’y cacher et d’y rester éternellement, pour que plus personne ne m’en éloigne.

 Au bord des larmes, je me levai, fis quelques pas pour me calmer. Un peu plus tard, Avorian revint à la charge. Il voulait m’en apprendre davantage sur ma planète natale, et sur ce point, je ne pouvais qu’approuver sa démarche.

 Il m’informa que tous les peuples d’Orfianne, aussi singuliers soient-ils, communiquaient en Orfiannais, langue que je m’étais mise à parler instinctivement.

« Chaque nation possède toutefois son propre dialecte, ainsi que ses représentants. On appelle ces derniers des « Gardiens » : leur incroyable pouvoir en font de puissants protecteurs, les seuls capables de contrer les monstres créés par les Terriens. Ils sont désignés par un procédé magique ; les peuples d’Orfianne possèdent une pierre de pouvoir appelée « Pierre de Vie ». Ce joyau s’illumine lorsqu’il trouve son porteur. On ne sait jamais à l’avance qui sera choisi. C’est extraordinaire ! La Pierre de Vie reconnaît toujours son Gardien, et ce, dès sa naissance.

 Je me demandais à quoi pouvaient ressembler ces fameuses Pierres. Avorian me raconta que leur existence sur Orfianne remontait à des temps immémoriaux. Il poursuivit sa narration :

« Afin de garantir la prospérité dans notre monde, deux grands Sages[2] règnent sur Orfianne. L’un masculin, l’autre féminin. Les âmes des Sages se réincarnent de cycles en cycles, toujours en un homme et une femme ; un couple uni par leur amour éternel, au-delà du temps. Seule la reine des fées parvient à les reconnaître de vies en vies, car elle est immortelle. Notre fée est guidée par Héliaka : cette dernière émet en effet une lumière particulière lors de la naissance de nos deux Éclairés. Grâce à un rituel ancestral, la reine des fées parvient à déterminer l’endroit précis de leur apparition sur Orfianne.

Un peu comme le Dalaï-Lama sur Terre, qui revient lui aussi dans un nouveau corps, me dis-je.

« Les décisions à l’échelle planétaire sont confiées à ces archétypes. Les deux Sages assurent le lien entre les différentes dynasties, rassemblent les Orfiannais lors de cérémonies. Leurs capacités d’empathie sont exceptionnelles, leur érudition n’a pas de limite. Ils résident dans un endroit que l’on appelle le Royaume du Cristal. »

 Tout en l’écoutant attentivement, je me dirigeai vers un arbre, m’adossai à son tronc. Il ressemblait fortement à un catalpa avec son tronc assez court, son port étalé, ses larges feuilles deltoïdes et ses fruits en longues gousses marrons.

 Repoussant une mèche rebelle de mes cheveux, je résumai les choses ainsi :

– Si je comprends bien, la magie régit ce monde. Chaque nation est représentée par un Gardien, qui la protège, tandis que deux Sages et une fée règnent sur la planète entière. Le Royaume du Cristal est une sorte de centre névralgique de la planète, un peu comme le cœur politique d’Orfianne. Rien n’est laissé au hasard !

– Exactement. Nous ne croyons pas beaucoup au hasard, sur Orfianne. Nous faisons confiance en la magie, qui est pure et respectée de tous, dénuée d’une volonté liée à l’égo. La magie est aussi vieille que l’Univers, elle œuvre pour le bien de la planète et de toutes créatures. Malheureusement, il ne reste plus qu’un Sage sur Orfianne. Sa bien-aimée est morte lors de la grande bataille. Elle a voulu défendre son peuple. Les créatures issues des pensées des Terriens sont redoutables. Je te laisse imaginer son chagrin ; les Sages se réincarnent ensemble sur Orfianne depuis la nuit des temps. C’est la première fois que l’un des Sages est assassiné. Même si notre Éclairé sait qu’il retrouvera sa compagne dans leur prochaine vie, son deuil n’en reste pas moins difficile.

 Je baissai les yeux, interdite, priant pour l’âme de cette illustre femme, morte pour sauver son royaume. J’admirais sa bravoure.

 Nous marchâmes en silence le long du ruisseau. J’avais besoin de temps pour assimiler toutes ces informations. Avorian, toujours aussi prévenant, me laissa à mes pensées.

[1] Nom du fruit Orfiannais, intraduisible.

[2] Nêryah traduit par le mot « Sage », pour simplifier. En réalité, le terme Orfiannais utilisé, « Nahalé », désigne plutôt une étoile, un soleil. En Orfiannais, « soleil » se dit d’ailleurs « Umbhalé », les deux termes ont la même racine, leur signification est très proche. On pourrait dire à la place de « Sages » « les deux éclairés », « les deux astres incarnés ».

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