Chapitre 14 : Le village des fées

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 Le lendemain, après avoir dégusté quelques fruits juteux, nous reprîmes la route. Les doux rayons du soleil illuminaient un paysage changeant : au fur et à mesure que l’on avançait, les arbres s’allongeaient, étendant leur majestueuse ramure. De petites fleurs violettes tapissaient joliment le chemin, j’humais à chaque pas leur délicat parfum. Vaste et profonde, la forêt s’étirait à perte de vue, offrant à nos regards mille teintes luxuriantes. J’écoutais le joyeux chant des oiseaux, leurs mélodies entêtantes m’aidaient à progresser de longues heures sans me reposer.

 Orfianne ressemblait vraiment à notre planète, tant par sa faune que par sa flore, mais en plus prospère. « Une version 2.0 de la Terre » aurait dit mon amie Chloé. Imaginer cette remarque me laissa un goût amer dans la bouche. Je ne pouvais plus revenir dans mon monde. Ni revoir mes proches, qui ignoraient désormais mon existence. Je levai le menton avec rancœur, ravalant mes larmes.

 Nous arrivâmes au bord d’un lac. J’observais au loin, en face de nous, des animaux ressemblants en tout point à un troupeau de biches. La seule différence résidait dans leur pelage un peu plus clair, luisant. Je m’en ouvris à Avorian. Le troupeau dut nous apercevoir : tous braquèrent le museau en notre direction. Quelques minutes plus tard, les bêtes vaquèrent à leurs occupations, pas le moins du monde apeurées.

 Pendant qu’Avorian cherchait des fruits pour regarnir nos sacs de provisions, j’allai me baigner tout en les observant, prenant soin de ralentir mes gestes pour ne pas les effrayer. L’eau fraîche apaisait la fatigue de mes muscles endoloris. Je nageais lentement, profitant de cet instant de répit, émerveillée par la grâce des chevreuils. J’avais tellement envie de caresser leur pelage soyeux !

 Quand Avorian revint de sa cueillette, je m’étais déjà rhabillée, prête à repartir. Après s’être sustentés, la marche reprit de plus belle.

 Plusieurs heures passèrent. Je laissai peu à peu mon amertume de côté pour profiter de ce magnifique panorama. L’après-midi était déjà bien avancé. Avorian s’arrêta pour me regarder un instant.

– Nous approchons du village des fées.

– C’est vrai ? J’ai hâte d’en voir ! m’exclamai-je. Cela doit être encore plus magique là-bas.

 Nous marchions à présent dans une vaste prairie, en direction d’une cascade entourée de rochers. Des fées s’y baignaient ; leurs gestes empreints de grâce faisaient jaillir des gouttelettes autour d’elles. J’avais peur que l’eau n’abîme leurs petites ailes transparentes.

 Lorsque nous nous approchâmes de la cascade, les fées qui s’y trouvaient bondirent hors de l’eau à une vitesse fulgurante pour se poster juste sous notre nez. Cette fois, je ne notai aucune délicatesse dans leurs mouvements. Et visiblement, le fait d’être mouillées ne les empêchait nullement de voler, ni d’être vives, assurément. Malgré leur petite taille – de la hauteur d’une grande main –, elles n’en demeuraient pas moins impressionnantes. Je n’avais guère envie de passer sur leur territoire sans leur accord.

– Eh bien ! Quel accueil mes amies ! Du calme ! C’est moi, Avorian.

– Oh, sois le bienvenu Avorian ! s’excusa une fée à la peau couleur violette, vêtue de pétales de fleurs jaunes. Ces temps-ci, il se passe des choses étranges… malfaisantes. Depuis, nous restons sur nos gardes, redoublant de vigilance pour protéger notre village et préserver la paix de cette forêt.

– Ne t’en fais pas Abélia, je comprends parfaitement, assura Avorian d’une voix posée.

– Oh mais…, s’écria soudain une fée à la peau verte. Serait-ce mademoiselle Kiarah ?

– Oui, c’est bien elle, confirma Avorian.

– Oh, comme vous avez grandi ! Regardez ! C’est Kiarah ! Venez voir, vite ! C’est Kiarah !

 En quelques secondes, un troupeau – bien que ce terme ne soit pas tout à fait approprié – de fées volait vers moi. Émue jusqu’aux larmes, je leur souriais candidement.

– Bonjour, comment me connaissez-vous ? demandai-je surprise.

Quelques fées gloussèrent joyeusement.

– Toi ? Tu nous demandes ça ? Hihihi ! s’esclaffa une petite fée bleue.

Avorian fronça les sourcils en toisant cette dernière du regard.

– Tu es connue dans le monde des fées. Ne te souviens-tu pas d’être venue nous voir lorsque tu étais enfant ?

– Non, justement… je ne me souviens de rien.

– En tout cas, tu es la bienvenue chez nous, renchérit la fée à la peau verte. Viens, nous allons te faire visiter notre village.

 Les fées s’habillaient toutes de plantes et de fleurs, si bien que l’on pouvait facilement les confondre avec le décor, voire les prendre pour des végétaux étant donné leur peau colorée. De véritables caméléons !

 Devant nous, près du cours d’eau, se dressait une vaste étendue d’arbres. Une fée s’arrêta puis agita sa main gauche, et la forêt entière disparut pour laisser place à un merveilleux village. La cité des fées.

– Mais…, balbutiai-je ébahie. Ai-je rêvé ? La forêt vient de se volatiliser !

– C’était une illusion… nous devons dissimuler notre village aux créatures maléfiques, m’informa la dénommée Abélia, perdant son beau sourire. Une mesure de sécurité indispensable ces temps-cis. Nous sommes malheureusement contraintes de nous cacher.

– C’est très efficace ! commentai-je, admirative.

 J’ignorais jusqu’à présent que les fées possédaient de tels pouvoirs. Elles m’impressionnaient !

 Le village semblait sculpté dans la forêt. Les maisons se dressaient parmi les végétaux, se logeaient entre deux rochers, se fondaient au milieu des fleurs, côtoyaient les branches des arbres. Certaines fées habitaient le tronc même de ces derniers ; on pouvait en effet observer de petites ouvertures sertis dans leur écorce. D’autres habitations de forme polygonales bordaient les racines. Leur toit en arc de cercle se composait de feuilles. Toutes ces jolies demeures bâties en bois se situaient autour d’un large cercle de champignons. Sur chacune d’elle, je remarquai des symboles gravés à même les murs.

 L’ingéniosité des fées me fascina : elles se servaient de la nature environnante pour aménager leur village. Par exemple, des fleurs aux longs pétales jaunes servaient de sièges ; les coquilles de noix, de récipients. Elles cultivaient légumes et végétaux disposés en petits parterres, autant pour les manger que pour en faire potions et onguents.

 Cet endroit dégageait quelque chose d’à la fois puissant et rassurant.

 Une magnifique fée entourée d’un halo lumineux, aux cheveux noirs ondulés, vêtue d’une robe blanche, avançait vers moi, étirant ses ailes jaunes semblables à celles des papillons. Je reconnus immédiatement Arianna à sa peau blanche, presque diaphane, et à ses larges ailes colorées. Ses consœurs, au teint pigmenté à l’image des fleurs, les avaient fines et transparentes. La reine me regarda longuement de ses beaux yeux verts.

– Je suis contente de te revoir Kiarah. Comment vas-tu depuis la dernière fois ?

– Un peu chamboulée à vrai dire avec tout ce qui m’arrive, répondis-je timidement en rougissant. Votre village est splendide ! Je ne pensais pas que les fées habitaient dans des maisons.

– Une fée va là où ses ailes l’emportent …, me confirma Arianna. Ces habitations ont été construites par les lutins. Ils vivent la plupart du temps avec nous et adorent s’y réfugier. Tu es déjà venue dans notre village lorsque tu étais enfant, t’en souviens-tu ?

– Eh bien non ! me lamentai-je.

– Allons visiter les alentours, proposa Avorian.

 Ravie de découvrir ce monde magique, je gambadais gaiement derrière nos guides. Le soir commençait à tomber. Nous visitâmes le lieu de cérémonie, un endroit sacré pour les fées : des pierres phosphorescentes dégageant une lumière bleue turquoise formaient un cercle assez large pour y mettre au moins une bonne centaine de fées. Arianna m’informa que cette nuit, Héliaka présentait sa face pleine. Nous allions célébrer ensemble cet évènement.

 Les réjouissances se pratiquaient principalement en l’honneur de la planète Orfianne ou d’Héliaka, tout comme Avorian me l’avait expliqué auparavant.

 J’avais bien-sûr déjà entendu des légendes à propos des cercles de fées. Ne disait-on pas qu’il était dangereux d’y pénétrer, au risque d’y rester éternellement ? Une fois entrés dans la ronde des enchanteresses, enivrés par la musique, les imprudents se mettaient inéluctablement à danser, tournoyer, jusqu’à en perdre la raison et la notion du temps… ils pouvaient rester ainsi prisonniers pendant des années, voire des décennies. J’espérais en tout cas que sur la planète Orfianne, les fées n’ensorcelaient pas les pauvres voyageurs ignorants comme moi.

– Lors de cette commémoration, nous prononcerons des incantations pour protéger notre forêt des esprits des ombres, m’expliqua Abélia, la fée violette.

– Les esprits des ombres ? repris-je intriguée.

– Il existe plusieurs forces ténébreuses en ce monde, développa Avorian. La plupart sont créées par les pensées refoulées des humains de la Terre, puisque nos deux planètes sont liées. Autrefois, nous pouvions communiquer avec les Terriens par le biais des rêves. Mais cette époque est révolue. Leur façon de vivre a tellement changé ! Cela a de grandes répercussions sur notre monde : toutes les horreurs commises par les Terriens se traduisent ici par des êtres sombres qu’on ne peut pas définir. Ils sont immatériels, sans corps physique, à l’image des pensées réprimées des êtres humains, leurs créateurs.

– Dans ce cas, pourquoi ne venez-vous pas sur Terre ? Il faut en informer les autorités Terriennes ! Les humains ne se rendent pas compte que leurs actions ont une conséquence ici !

 En prononçant ces mots, je réalisai que les nations de la Terre n’étaient absolument pas prêtes à entendre ces révélations. Les médias les auraient étouffées ou déformées. Les gouvernements ne pensaient qu’à la croissance de leur économie et non au respect des êtres vivants ou des planètes. Les humains avaient-ils réellement conscience que la vie existait ailleurs que sur leur propre planète ? Qu’en ce moment même, leurs pensées négatives affectaient ce monde ?

– Les Terriens n’ont pas conscience de leur pouvoir, et c’est bien cela le plus terrible, me répondit Avorian. Même si nous parvenions à leur en parler, ils ne nous croiraient pas. Pourtant, ces monstres sont bien réels et détruisent toute vie. Ils sont l’antonyme de la création. Et puis… Kiarah, tu as vu combien les humains sont incapables de discerner la vérité du mensonge. Comment l’humanité entière pourrait-elle contrôler ses désirs et ses pensées ? C’est impossible.

– Notre rôle à nous, les fées, est de tenter de restaurer l’équilibre entre les deux mondes, m’informa Arianna. Nous en sommes les gardiennes, car les seules capables de communiquer avec la Terre et de nous y rendre grâce à nos corps éthérées. Nous pouvons facilement voyager dans l’espace-temps. En revanche, les Orfiannais n’ont plus l’autorisation de venir sur Terre. La vibration de leur planète est devenue mauvaise pour le corps, ils ne pourraient pas supporter d’y rester, au risque d’y perdre la vie.

– Mais moi j’ai bien réussi à y vivre pendant quinze ans ! remarquai-je.

– Tu vis là-bas depuis ta naissance, tes énergies se sont habituées aux vibrations de la Terre, m’expliqua Avorian. Mais en contrepartie, tu n’as pas pu développer tes pouvoirs. Les champs éthériques sont différents de ceux d’Orfianne. Mais effectivement, en temps normal, aucun Orfiannais ne peut survivre sur Terre.

– Mais alors, il n’y a pas de solution ! Vous êtes donc obligés de subir cette situation ! m’alarmai-je.

– En effet. Certaines factions extrémistes pensent que le seul moyen de nous préserver est d’exterminer la race humaine. Bien entendu, Arianna et moi ne sommes pas de cet avis… Nous nous battons autant pour la survie des Orfiannais que celle des Terriens.

– Alors, si je comprends bien, lorsque vous dites que je suis la seule à pouvoir ramener la paix, c’est parce que je suis capable de rester sur Terre ? Que mon corps peut s’adapter aux deux mondes, c’est ça ?

– Voilà… tu as enfin saisi pourquoi tu es si précieuse, me confirma-t-il.

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