Chapitre 56 : une bonne étoile.

8 minutes de lecture

 Quelque chose sous moi bougea et me réveilla. Je m’étais endormie sur le bras d’Orialis. Je me levai précipitamment pour rapprocher un peu plus le plateau de nourriture. Orialis ouvrit enfin les paupières.

– Mmmh…

– Ne t’inquiète pas Orialis, c’est moi, Kiarah. Je suis avec toi.

– Kiarah ? répéta-t-elle d’une petite voix ensommeillée.

– Oui. Tu as été capturée dans la forêt par des Métharcasaps, et tu te trouves maintenant dans la demeure de l’Ombre, répondis-je.

– Cette voix…, fit-elle comme si elle voyait encore brouillé. Alors, c’est vraiment toi ? Je ne rêve pas ? Ma petite Kiarah !

 Elle se mit à pleurer à chaudes larmes, je la serrai dans mes bras avec tendresse.

– Oh… Kiarah ! J’ai eu si peur ! J’ai cru que jamais je ne te reverrai ! C’était horrible ! s’écria-t-elle entre deux sanglots, maintenant parfaitement consciente.

– Je suis là. Tout ira bien à présent. On se racontera tout plus tard. Tu dois avoir faim. Tu peux manger, ou bien te laver en premier, c’est comme tu veux. L’Ombre m’a donné une chambre avec une merveilleuse salle de bain, c’est bien là le seul point positif de notre situation, plaisantai-je.

 Orialis esquissa un petit rire puis regarda le plateau de nourriture d’un air affamé. Voilà qui répondait à ma question ! Je la relevai doucement en lui mettant un oreiller en guise de dossier, puis posai le plateau sur ses jambes. Je découvris la fleur d’Arianna sur le lit. J’avais déjà presque oubliée que je l’avais cachée ici. Je m’empressai de la poser sur la table puis servis à boire à Orialis et la laissa manger tranquillement.

– Prends-en aussi Kiarah, je ne mangerai pas tout. Toi aussi tu dois reprendre des forces !

 Je grignotai alors à mon tour quelques fruits et galettes de céréales. Déjeuner en compagnie de mon amie était tellement plus agréable ! Cela me redonnait de l’appétit. Puis, Orialis alla prendre un bain. J’en profitai pour laver nos vêtements. Je songeai aux paroles de l’Ombre. Pourquoi Orialis nous avait-elle caché sa véritable identité ?

 Lorsqu’elle sortit de la baignoire, je lui prêtai une robe ébène de l’armoire. Cette couleur ne lui allait pas du tout. Sa peau verdâtre arborait bien mieux les tons jaune, orange, violet, rouge, et vert, mais nous n’allions certainement pas faire les difficiles.

– Tu dois te sentir mieux ! lui lançai-je.

– Oh oui, merci infiniment ! À vrai dire, c’est mon tout premier bain depuis que je suis partie de mon royaume.

– Justement… je viens d’apprendre que tu es une princesse. Pourquoi ne pas l’avoir dit ?

– Je suis désolée. Je devais préserver mon identité, pour nous protéger. Car je suis la seule capable de faire fonctionner la Pierre de Vie de mon peuple. En révélant mon titre, je risquais de tous nous mettre en danger.

– Alors c’est pour ça qu’ils te retenaient prisonnière… Tu pouvais largement leur servir de monnaie d’échange, étant donné ton statut… mais l’Ombre avait aussi besoin de toi pour utiliser la Pierre, c’est donc ça !

– Tu sais bien, moins on en sait, plus on est en sécurité. Si jamais l’un de vous était amené à se faire enlever et que l’on vous forçait à parler, au moins, vous ne pouviez rien dire à mon sujet. Et si je venais à mourir, notre Pierre serait alors d’aucune utilité. Ce serait terrible ! On ne sait pas dans combien de temps naîtra le prochain gardien de la Pierre. À moins que ma petite sœur Oriana puisse recevoir ce don ? Mais comment savoir ? Je dois rester vivante. C’est une nécessité pour mon peuple.

– Je comprends mais… c’est déroutant quand même !

– Pardonne-moi, Kiarah. Mon père m’a fait jurer de ne surtout pas révéler qui je suis. Je lui devais cette promesse.

– Bien, votre majesté ! Vous êtes toute pardonnée !

 Nous nous mîmes à rire.

– Mais je ne saisis pas bien cette histoire de gardien de la Pierre. Toi, tu es une princesse, c’est pour ça que tu as ce pouvoir ? Ou bien n’importe qui peut devenir gardien ?

– En général, ce don se transmet de mère à fille. Mais il existe des exceptions, comme pour Cyrano par exemple, le prince des Aqualiciens que je devais aller voir pour apporter nos Pierres au Royaume du Cristal. Il est fils unique, la Pierre l’a donc choisi. Ainsi, pour tous les peuples d’Orfianne, la personne apte à se servir de la Pierre devient souveraine. Et comme ce pouvoir se transmet la plupart du temps de génération en génération, c’est effectivement souvent la même famille qui détient ce rôle et règne sur sa nation. Mais ce n’est pas toujours le cas. Il arrive que la Pierre choisisse quelqu’un d’autre. Alors cette personne peut décider si elle désire guider la communauté, ou bien si elle préfère laisser cette responsabilité à la famille souveraine déjà établie. Son rôle se cantonnera donc à garder la Pierre, et développer son pouvoir en cas de besoin.

– Alors si le peuple des Enchanteurs existait toujours, je deviendrais reine, puisque je suis capable d’utiliser la Pierre, lançai-je pour plaisanter.

– Exactement !

– Mais… j’y pense, heureusement que ce don m’a été transmis puisqu’il ne reste plus d’Enchanteurs ! Si ce n’était pas le cas, notre Pierre ne servirait donc à rien ! Je ne me rendais pas compte que le fait d’être gardien de la Pierre exigeait une telle responsabilité.

– Tu n’as pas idée ! Quel poids sur nos épaules ! Dès mon plus jeune âge, on m’a rabâché combien mon rôle était important, que je devais à tout prix protéger mon peuple et rester en vie, ne jamais devenir imprudente. J’ai été éduquée et entraînée pour cela. Pendant toute mon enfance, je me suis demandée si j’étais à la hauteur de cette tâche. Et si je ne l’étais pas, que se passerait-il ? J’ai déjà frôlé la catastrophe : l’Ombre était à deux doigts d’obtenir notre Pierre, et en plus je suis de nouveau sa prisonnière ! Quelle galère ! On risque nos vies enfermées ici. J’ai failli à ma tâche… que va dire mon père ? Je me sens terriblement coupable. Ma famille me faisait confiance et j’ai échoué encore une fois !

 Je pris soudainement conscience que tout ce que venait de verbaliser Orialis exprimait à merveille ce que je ressentais en moi.

– Tu es si dure avec toi-même, Orialis. Regarde : tu as réussi à donner votre Pierre à l’un de tes gardes. Ton peuple a certainement dû la récupérer. Tu les as sauvés ! Tu feras une grande et formidable souveraine. Tu as un sens du devoir hors du commun ! Je t’admire beaucoup, jolie princesse.

 Ces derniers mots la firent sourire. La réconforter ainsi me remonta le moral.

– Merci Kiarah, j’espère que tu ne me surestimes pas…

– Oh non, crois-moi ! lui-dis-je en l’enlaçant. J’espère pouvoir rencontrer toute ta famille un jour. Ça doit être chouette d’avoir des frères et sœurs. Moi, dans ma famille adoptive, j’étais fille unique.

– Haha ! Tu as bonne mémoire, je ne t’ai parlé d’eux qu’une seule fois ! Franchement, ce n’est pas de tout repos ! Mais je dois reconnaître que mes frères et ma sœur sont adorables.

– Raconte-moi, l’Ombre nous a séparés et m’a ensuite emmenée dans sa demeure, mais de votre côté, que s’est-il passé ? demandai-je, avide de comprendre ce qui avait retenu mes amis.

– Oui… Avorian a bien compris que tu avais été capturée par l’Ombre… mais nous sommes tombés dans son piège. Il faisait si noir dans cette forêt ! Nous avons été attaqués par un bataillon de Métharcasaps. Swèèn nous a prévenus de leur arrivée, mais on ne pouvait se battre dans de telles conditions. Avorian nous a alors conseillés de nous séparer et de courir sans se retourner. C’était le seul moyen de s’échapper, car en nous divisant, les Métharcasaps avaient moins de chance de nous retrouver.

 » J’ai donc couru de mon côté, mes yeux commençaient à s’habituer au noir, je distinguais le contour des arbres, ce qui m’a évité quelques bosses. J’ai réussi à passer une nuit en sécurité, perchée sur un arbre. Le lendemain, deux Métharcasaps m’ont rattrapée. Je me suis défendue comme j’ai pu, mais que faire contre ces créatures ? Tu connais la suite. Je ne sais pas ce qu’il est advenu d’Avorian et de Swèèn, j’ai juste aperçu au loin la lueur des pouvoirs d’Avorian. Je ne sais même pas s’ils sont encore vivants ! On n’a rien pu faire pour toi… Oh Kiarah, tout s’est passé si vite ! Je suis désolée et…

 Elle s’interrompit, trop remuée pour pouvoir continuer. Je l’enlaçai une nouvelle fois tendrement.

– Je comprends, mais ne t’inquiète pas. Je suis certaine qu’ils s’en sont très bien sortis et qu’ils n’ont rien. Ils sont tous deux très puissants. Ce ne sont pas seulement quelques Métharcasaps qui pourront les blesser, et encore moins les tuer. L’important est que tu sois en vie, malgré ce que tu as enduré. On est deux maintenant, et puisque tu es née princesse, tu as forcément une bonne étoile qui veille sur toi ! Je suis tellement heureuse que tu sois là ! J’étais toute seule, enfermée ici, je commençais sérieusement à désespérer.

– Merci. Cela a dû être terrible pour toi, raconte-moi ! me pria Orialis.

 Je lui relatai alors tout ce qui s’était passé de mon côté, de mon enlèvement dans la forêt – en lui précisant qui était Sèvenoir – jusqu’au fameux combat contre le terrible Métharcasap. Pendant mon récit, Orialis prit un air apeuré, tourmenté. Puis elle m’apprit que les Métharcasaps étaient des créatures extrêmement puissantes, dotées d’incroyables pouvoirs et que c’était un exploit que moi, toute seule, je réussisse à en vaincre un. Elle paraissait très impressionnée.

– Mais tu ne te rends pas compte ! insista-t-elle. On doit généralement s’y prendre à plusieurs pour venir à bout d’un seul Métharcasap !

– Pour moi, ce n’est absolument pas un exploit. J’ai tué quelqu’un, Orialis ! Te rends-tu compte ? Je me sens horriblement mal ! J’ai l’impression d’être une meurtrière maintenant ! J’aurais préféré mourir plutôt que tuer…

 Quelques larmes coulaient sur mes joues. Ce fut au tour d’Orialis de me prendre dans ses bras et de me bercer doucement.

– Kiarah… Tu n’y es pour rien, me chuchota-t-elle dans l’oreille. Ce qui s’est passé est assurément abominable. Mais tu n’as fait que te défendre contre une créature féroce. C’est elle la meurtrière, et l’Ombre, son seigneur, pas toi ! Alors je t’en prie, enlève-toi cette idée de la tête ! Dans notre monde, ce sont des choses qui arrivent malheureusement fréquemment. Des entités sombres ont créé des alliances avec d’autres créatures, des armées prêtes à tout pour leur maître. Le crime qui a été commis envers les Enchanteurs en témoigne. Tu es trop précieuse pour pouvoir abandonner ta vie si facilement, Kiarah. Tu n’as jamais rien demandé, toi. Chasse ces mauvaises pensées et reprends-toi.

 Orialis me prit par les épaules, me regardant droit dans les yeux. Je ne parvenais pas à lui rendre son sourire.

– Essayons plutôt de nous échapper avant que l’Ombre ne décide de nous tuer, reprit-elle.

– Bonne idée, mais le bouclier qui protège cette porte est indestructible, pire, plus j’essaie de l’affaiblir, plus il se renforce. En fait, je pense que cette espèce de substance intelligente absorbe toutes les attaques pour les convertir en énergie, expliquai-je.

– Hum… Et tu as essayé la fleur d’Arianna ? C’est ce qui nous avait sauvés de la prison des Métharcasaps à notre rencontre.

– C’est vrai. Et juste avant que tu n’arrives en mille morceaux, je m’apprêtais à l’utiliser, mais un garde est entré, répondis-je.

 Je pris la fleur, m’arrêtai un instant car Orialis la regardait d’un air émerveillé et poussa un « Ouah ! », ce qui me fit sourire.

Il est vrai que sa corolle resplendit avec cette parure rose, pensai-je.

– Qu’attendons-nous ? lançai-je en souriant de plus belle.

 J’effleurai doucement la fleur.

– Arrache-moi ce maudit pétale, qu’on en finisse ! ordonna Orialis.

 Et vu son ton péremptoire, on pouvait largement deviner qu’Orialis était de sang royal.

Annotations

Vous aimez lire Ayunna ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0