Chapitre 59 : Le cercle reformé.

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  Je m’éveillai quelques instants plus tard. La brume s’étiolait. Le bouclier avait disparu. Orialis et notre ami Métharcasap ne bougeaient toujours pas.

– Tout le monde va bien ? Pas de blessés ? demandai-je, angoissée.

– Je vais bien, répondit Arianna qui se dirigeait déjà vers Orialis pour la soigner.

 Un sang verdâtre coulait en effet de ses plaies. Décidément, ces derniers temps, la chance n’était pas de son côté.

– Orialis va guérir et se réveiller, continua la fée d’un ton curieusement triste.

 Je me redressai d’un bon pour m’asseoir au chevet de notre Métharcasap. Je tentai d’utiliser mon pouvoir de guérison sur son corps inanimé. La lumière verte sortit de mes doigts, mais les lésions de se refermaient pas.

– Mais… pour notre ami… c’est terminé, poursuivit la fée d’un air accablé.

 Je la regardai, choquée, la bouche entrouverte, incapable d’assimiler cette terrible vérité, les mains toujours posées sur notre sauveur.

– Je suis désolée, Kiarah. Ses blessures étaient trop graves. Il s’est battu vaillamment pour nous. C’est trop tard.

 Mais je ne l’écoutais pas.

– Arrête ! me cria la fée. Ne dépense pas ton énergie inutilement ! C’est fini…

– Non ! soufflai-je tremblante, totalement effondrée.

 Orialis se réveilla. Elle me découvrit en train de pleurer à chaudes larmes. Comprenant la situation en voyant notre ami, elle m’entoura de ses bras.

 « Je suis désolée…, » murmurait-elle à mon oreille.

– Il a été si brave ! Il nous a donné sa vie !

– Nous ne pouvons pas rester ici, les renforts vont arriver, prévint Arianna, la tête sur les épaules malgré le drame qui venait de se produire.

– Mais… on ne va pas le laisser comme ça ! protestai-je, la voix interrompue par mes sanglots.

– Nous n’avons pas le choix. Faisons en sorte qu’il n’ait pas donné sa vie pour rien, Kiarah. En son honneur, nous devons sortir d’ici et rester vivantes, répondit Arianna solennellement.

– Je sais que tu as raison, mais…, commençai-je, en larmes.

 Orialis me serra un peu plus fort contre elle. « Courage ! » me souffla-t-elle à l’oreille en redressant mon buste, afin que je puisse la regarder dans les yeux. Je repris mes esprits en contemplant ses magnifiques perles couleur gris-jaune.

– Je vais prononcer quelques mots puisque nous ne pouvons pas l’enterrer, me raisonnai-je.

 Je me relevai cette fois péniblement, tout ensuquée, titubant autant à cause de mes jambes endoloris que de mon chagrin. Orialis me jeta un regard désolé. J’essuyai mes larmes du revers de ma main et prononçai :

– Cher ami, tu es mort en héros, pour nous. Tu n’avais aucune raison de nous sauver, ni de trahir ton maître, mais tu l’as fait, spontanément. Cet acte de bravoure sera à jamais gravé dans nos mémoire. Nous ne connaissions même pas ton nom, mais nous nous souviendrons de toi, de ce que tu as fait pour nous.

 Sur ces mots, nous quittâmes la salle, silencieuses. Nous devions contourner les éboulements qui nous barraient le chemin. Les colonnes aussi s’étaient écroulées lors de l’explosion, une à une. Étrangement, le plafond, lui, restait en place et ne se fissurait pas. Encore l’un des effets de la magie de l’Ombre, sans doute.

– J’espère qu’Avorian et Swèèn vont vite arriver ! s’impatienta Orialis.

– Cachons-nous vite dans un endroit assez loin d’ici, commanda Arianna, imperturbable.

 Encore trop chamboulée pour réfléchir, j’ouvris une porte au hasard dans le couloir.

– Non, Kiarah ! C’est beaucoup trop proche de l’impact, on va nous chercher dans le secteur. Je propose de retourner à ta chambre, c’est sans doute le premier lieu qu’ils ont regardés et maintenant le dernier où ils penseront nous trouver. Ce sera notre point de ralliement. Je vais transmettre à Avorian et Swèèn sa localisation précise pour qu’ils puissent nous attendre là-bas.

 Nous retournions à la salle du trône en galopant. Je réalisai d’ailleurs qu’elle se trouvait au centre du royaume. Où que l’on aille, nous étions toujours obligés de passer par là. C’était astucieux. Et cela montrait encore une fois le côté mégalomane de l’Ombre : tout tournait autour de sa personne.

– Comment va-t-on faire ? Il doit y avoir plein de gardes maintenant, souligna Orialis en regardant Arianna.

– Je vais utiliser un sort d’invisibilité pour toutes les trois. Mais cela me demande beaucoup d’énergie et j’ai déjà tout donné pour détruire le bouclier, alors il ne tiendra pas longtemps. Il faudra courir le plus silencieusement possible.

– Pourquoi ne pas l’avoir fait dès le départ ? fit valoir Orialis.

– Je viens de l’expliquer, cela me demande énormément d’énergie et j’en avais besoin pour détruire les systèmes de défense, se renfrogna la reine des fées légèrement vexée.

 Arianna récita alors une incantation qui nous rendit invisible aux yeux des autres. Nous réussîmes à entrouvrir la porte sans bruit, et heureusement, personne ne regardait dans cette direction à ce moment là. Nous traversâmes alors la salle du trône au nez de huit gardes qui ne nous voyaient pas. Le cœur battant, la respiration haletante, ne devions à présent ouvrir l’autre porte en face. Or, quelques gardes se tournaient vers elle : cela allait attirer les regards.

 « Je vais utiliser un subtile sort d’étourdissement sur les gardes, je pense que j’aurais juste assez d’énergie pour le faire, » nous prévint Arianna par télépathie.

 Cela devait fonctionner car les huit Métharcasaps dodelinaient de la tête tandis que nous ouvrions la porte puis la refermions doucement. Comme je me souvenais du trajet pour retourner à ma chambre, je pris la tête de notre expédition. Nous rencontrâmes très peu de gardes, et le sort d’invisibilité tenait bon. Une fois dans ma chambre, nous soupirâmes en chœur de soulagement. Le sort se dissipa.

 Mais Avorian et Swèèn n’étaient pas encore arrivés.

– Bon sang, mais que font-ils ? s’énerva soudainement Arianna. Ils devraient déjà être là ! Ils peuvent se téléporter directement normalement ! Le Limosien en a le pouvoir !

 Je n’avais jamais vu la reine des fées dans cet état. Orialis fit la moue.

J’espère qu’ils n’ont pas eu de mauvaise surprise ! commenta-t-elle apeurée.

Et si quelque chose leur était arrivés ? Après tout, peut-être n’avions-nous pas réussi à tout détruire ?

 Nous patientions en nous débarbouillant le visage et nous lavant les mains dans la salle de bain, espérant que personne ne viendrait nous chercher ici. Arianna nous assura qu’elle avait construit un mur magique pour dissimuler notre présence, sinon l’Ombre l’aurait sentie depuis longtemps. Cette barrière cachait toute trace de vie, mais fatiguait grandement notre fée. C’était d’ailleurs la première fois que je la voyais assise et non pas en mouvement dans les airs. J’étais néanmoins stupéfaite de la force que possédait Arianna malgré les efforts qu’elle venait de fournir. Nous lui devions notre succès, et malheureusement, elle risquait d’en payer le prix.

 Meurtries par la mort de notre guide, nous attendions encore et encore. Le temps paraissait si long ! Pourquoi ne venaient-ils pas ? L’angoisse au ventre, j’en profitai pour me changer ; je pris une robe noire dans l’armoire et donnai à Orialis ses vêtements propres puisqu’ils avaient eu le temps de sécher. Sa jupe verte et son haut gris lui allaient tellement mieux que la robe sombre qu’elle portait. Je rangeai toutes mes affaires dans mon sac afin d’être prête pour notre départ, et surtout, pour m’occuper, ne pas penser à ce qui venait de se passer. Tout y était : mes vêtements propres, la fleur d’Arianna puisque je ne portais pas de ceinture cette fois, une serviette et… une brosse à dent que j’avais prise dans la salle de bain ainsi que tous les savons et flacons que j’avais pu trouver.

 Malgré mes efforts, impossible de chasser ces images morbides de mon esprit. Elles me hantaient… Le visage figé de mon ami Métharcasap. Le sang bleu se propageant par terre.

 Quelques minutes plus tard, une lumière blanche apparue dans la pièce et eut raison de mes sombres pensées. Orialis sursauta et poussa un cri tandis qu’Arianna se contentait de contempler la scène calmement, sans saillir. Avorian et Swèèn apparurent au milieu de cet éclair.

 Enfin ! Ils étaient là ! Vivants…

– Kiarah ! Orialis ! Arianna ! s’écria Avorian nous serrant tour à tour dans ses bras.

Orialis et moi allâmes ensuite câliner Swèèn qui rugit de plaisir.

– Je suis tellement content de vous retrouver toutes les trois ! reprit Avorian. Orialis, je suis soulagé que tu sois saine et sauve, et avec Kiarah en plus… je n’ai pas pu vous protéger des gardes de l’Ombre…

– Ce n’est pas de votre faute, le défendit Orialis. Nous avons été dispersés dans la forêt, vous ne pouviez rien faire.

– Il était temps qu’Orialis me tienne compagnie ! J’en avais marre de moisir dans ce labyrinthe souterrain, à devoir combattre des Métharcasaps, renchéris-je.

– Désolé pour le retard, s’excusa Avorian, mais la désactivation des boucliers principaux n’a pas suffi. Elle a grandement aidé bien sûr, et je vous en remercie, mais l’Ombre protège sa demeure par de nombreux stratagèmes. Heureusement, Swèèn est doué en la matière, bien plus que moi !

– L’Ombre prend ses précautions. On s’est malgré tout plutôt bien débrouillés, et vous aussi de votre côté, mes belles demoiselles, ajouta Swèèn de sa douce voix double.

– Oui, grâce à un Métharcasap qui est devenu notre allié et a déprogrammé les défenses. Son aide a été précieuse, déclarai-je d’un ton triste.

 Je baissai les yeux vers mes mains, perdue, dépitée de n’avoir pu le ramener à la vie.

– Ah ma chère Kiarah, en n’importe quelles circonstances tu as la capacité de te faire des amis, c’est décidément très utile ! plaisanta Avorian en souriant.

– Mais notre nouvel ami est mort pour nous sauver, ponctuai-je.

– Oh… Je souhaite qu’il se réincarne dans un monde paisible, énonça doucement Avorian.

 Orialis maintenait aussi son buste courbé, l’air accablée. Je restais quant à moi proscrite, comme si mon esprit basculait sur une autre rive.

– Tu sais, intervint Arianna d’une petite voix, ce Métharcasap n’aurait pas pu s’échapper seul, lui non plus. Il aurait passé sa vie sous les ordres de l’Ombre, exécutant ses plans contre son gré. C’était pour lui un honneur de nous aider, et cela lui a permis de mourir libre, au lieu de vivre emprisonné.

– Arianna a raison, renchérit Swèèn.

– Je sais bien. Mais j’aurais tellement aimé qu’il vienne avec nous ! soupirai-je en séchant mes larmes.

– Il a donné sa vie pour notre cause. Nous devons continuer, pour lui, pour son salut, afin qu’il ne soit pas mort en vain ! insista Swèèn.

 En effet, il ne fallait pas se laisser abattre. Il valait mieux se concentrer sur le positif. Nous étions en vie, enfin réunis, grâce à lui, à son courage. Je me jetai dans les bras d’Avorian, puis serra très fort le Limosien contre moi en pleurnichant à la fois de joie et de désarroi.

Nous nous étreignîmes une nouvelle fois tous les cinq, et je souris en observant Arianna nous entourer de ses petits bras comme elle le pouvait.

– Tiens, tu as échangé ta belle tunique contre cette élégante robe noire ? reprit Avorian, tentant de détendre l’atmosphère.

– Euh… c’est-à-dire que je n’ai pas vraiment eu le choix ! me défendis-je.

– On parlera plus tard, les ennuis d’abord, trancha Arianna, décidément imperturbable. Il faut se volatiliser maintenant. Ou du moins, essayer.

– C’était déjà laborieux à l’allée, et là, nous avons encore plus de corps à dématérialiser. Cela risque d’être compliqué, informa Avorian.

– J’ai construit une barrière pour ne pas que l’on nous remarque, informa Arianna mais maintenant que vous êtes arrivés et que vous avez franchi la magie de l’Ombre, nous nous trouvons à présent dans une posture plus que périlleuse. D’autres boucliers vont s’activer, il faut faire vite.

 Nos trois maîtres de la magie se mirent au travail. Une lumière blanche tournoya autour de nous, et nous montions – volions plutôt – vers le plafond, transportés par cet éclair. Mais lorsque nous atteignîmes le point culminant, une force nous projeta dans les airs et nous sépara. Décidément, le royaume de l’Ombre ressemblait de plus en plus à une véritable prison
: une fois entrés, impossible d’en ressortir !

 Avec rapidité, je me construisis un bouclier afin de ne pas retomber à même le sol. Je rebondis sur cette sensation de coussin moelleux, indemne. Swèèn et Arianna battaient de leurs ailes, évitant ainsi de chuter. Avorian, lui, semblait léviter, il tenait avec fermeté la main d’Orialis pour l’empêcher de dégringoler. Ils se posèrent tous deux délicatement.

– C’est bien ce que je craignais. Ah, typique de l’Ombre ça !

 À peine Avorian avait-il prononcé ces mots que deux grands yeux rouges emplis de haine apparurent dans la chambre. Puis, les capes immatérielles de l’Ombre sortirent du vide, tourbillonnantes, comme si une tempête régnait éternellement en lui, avec cette étrange aura violette autour de son amas noir.

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