La Cantatrice des Catacombes - Chapitre 2
Le tunnel s’enfonçait plus profondément que je n’avais imaginé, s’élargissant et se rétrécissant au rythme de mes pas et des murmures qui semblaient jaillir de la pierre elle-même. L’humidité saturait l’air et rendait chaque respiration laborieuse, tandis que l’odeur de terre noire, de pierre moisie et de cire ancienne m’enveloppait, me collait à la peau et pénétrait mes vêtements. À certains endroits, le sol se creusait en fosses peu profondes où l’eau stagnante reflétait des éclats de lumière tremblants, et parfois, j’y vis des yeux, humains ou non, me fixer avec insistance avant de disparaître à la surface de l’eau.
Les murs, couverts de suie et de gravures anciennes, semblaient bouger lorsqu’on les regardait du coin de l’œil, prenant des formes humaines, animales ou grotesques, qui se recomposaient sans cesse. Des bras sortaient parfois des fissures, ou du moins je le croyais, me frôlant, glissant sur mes vêtements et disparaissant aussitôt, me faisant sursauter malgré moi. Les craquements des pierres sous mes pas, les gouttes d’eau tombant du plafond et le froissement lointain d’un tissu ou d’une ombre formaient un orchestre sinistre, accompagné par le chant omniprésent de la Cantatrice, hypnotique et glacé, qui semblait s’adresser directement à mon esprit.
Chaque galerie révélait de nouveaux horreurs : des niches remplies d’ossements ordonnés avec une précision étrange, des crânes aux orbites vides fixant mes mouvements, parfois gravés de symboles énigmatiques. Certains tibias et fémurs semblaient former des mosaïques, racontant des histoires anciennes de rituels, de morts violentes et d’adoration obscure. Mon regard se perdait dans ces motifs macabres, et le chant, sans jamais s’interrompre, semblait me rappeler que je n’étais plus maître de mon esprit ni de mes perceptions.
La voix de la Cantatrice se rapprochait, chaque note devenant plus tangible et matérielle. Je crus percevoir une forme derrière le voile de l’obscurité : une silhouette féminine, translucide et immobile, entourée d’une lueur froide. Ses yeux brillaient, et les vibrations de son chant résonnaient dans mes os et mon sang. Je sentais ses mains, invisibles, me guider vers le cœur des catacombes, vers un espace interdit aux vivants.
À mesure que je m’avançais, le tunnel se transformait en un labyrinthe vertigineux. Les galeries se croisaient et se recourbaient sur elles-mêmes, parfois s’élevant ou s’enfonçant abruptement, me donnant l’impression de flotter ou de tomber dans le vide. Le temps semblait s’étendre : je ne savais plus combien de minutes ou d’heures s’étaient écoulées. Mon esprit oscillait entre fascination et terreur, chaque pas me rapprochant du centre d’un rituel ancien, où la Cantatrice régnait sur les âmes et les pierres.
J’entendis alors des chuchotements venant de toutes parts, des voix indistinctes, qui semblaient appartenir à des spectres de spectateurs, d’artistes et de victimes oubliés. Parfois, je percevais des mots, des phrases fragmentaires, des avertissements ou des invitations, qui s’entremêlaient avec la mélodie, formant un langage que je comprenais instinctivement mais qui n’appartenait à aucune langue humaine. Les ombres autour de moi s’animèrent davantage : silhouettes de femmes et d’hommes figés dans des postures grotesques, visages hurlants, mains tendues, formant un cortège sinistre que je devinais suivre la Cantatrice depuis des siècles.
Enfin, la galerie déboucha sur une salle immense, circulaire, aux murs tapissés d’ossements disposés avec une précision rituelle, et au centre, la Cantatrice elle-même se matérialisait davantage. Son corps flottait au-dessus du sol, à la fois vivant et spectral, ses traits indéfinissables oscillant entre beauté sublime et horreur indicible. Elle tendit les bras vers moi, et le chant devint un torrent irrésistible, me pénétrant l’esprit, me saisissant, me fascinant. Je sentis mes jambes trembler, mes mains s’agripper au sol, tandis que mon esprit se fondait dans cette mélodie surnaturelle.
La salle entière semblait respirer avec elle. Les ossements vibrèrent, les murs suintèrent, et les fresques, autrefois statiques, se mirent à onduler et à se transformer, montrant des visions de musiques, de danses et de sacrifices, de vies humaines s’éteignant dans une adoration glaciale. Je sus que je n’étais plus un simple spectateur : j’étais un participant involontaire à un rituel millénaire, enveloppé dans la fascination et la terreur, incapable de détacher mon regard de la Cantatrice.
Chaque note de son chant pénétrait mes pensées les plus intimes, réveillant souvenirs, regrets et peurs que je n’avais jamais imaginés. Des larmes coulèrent sur mes joues, mêlées à la pluie que je croyais avoir laissée dehors, tandis que je ressentais un mélange de jouissance, de désespoir et d’angoisse pure. Les silhouettes des ombres tournaient autour de moi, formant des danses macabres et hypnotiques, et je savais que chaque mouvement de mon corps, chaque souffle, était désormais guidé par cette entité mystérieuse et terrifiante.
Je sentis enfin, au plus profond de moi, que la Cantatrice n’était pas seulement une voix, ni même une présence : elle était le cœur même de l’Opéra, la gardienne des secrets, la maîtresse des tunnels et des âmes qui s’y étaient perdues. Mon esprit n’avait plus aucune barrière, plus aucune défense. Je compris que je ne sortirais jamais indemne de ce lieu, que j’étais désormais lié à cette entité par le chant et par la pierre, par la peur et par la fascination, et que chaque battement de mon cœur résonnerait désormais au rythme du chant de la Cantatrice, pour l’éternité.
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