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— Les archives historiques officielles impériales, que l’on étudie durant les années d’enseignement, racontent l’exode de l’humanité, initiée par un homme à la tête d’une entreprise privée de recherche et développement en robotique. Certain que la planète Terre agonisait et devrait être sous peu abandonnée, cet homme a fait construire en orbite autour de la Lune, par ses machines, un embryon de ce qui deviendra la station spatiale Héliopolis, ainsi que des fusées sur tous les continents. Il promettait une place à chacune et chacun. Ses machines travaillèrent sans relâche pendant dix ans, afin que tout soit prêt le moment venu. Ce fameux jour, celui que l’on nomme Apocalypse, les arches décollèrent comme attendu. L’humanité était sauvée, le chef d’entreprise couronné empereur. Fin de l’histoire officielle que tout le monde connaît.

— Un joli conte de fées, dit Oleran.

Keryan attrape la carafe d’eau et remplit lentement son verre.

— En vérité, tout ne s’est pas déroulé comme prévu, loin de là. Pour diverses raisons, la principale étant qu’évidemment les fusées ne pouvaient pas transporter toute l’humanité. Seule une infime partie réussit à se réfugier sur Héliopolis. Suffisamment, en théorie, pour sauvegarder l’espèce, mais bien trop peu, en réalité, pour assurer sa survie dans le vide.

5i// Qu’est-il advenu des autres humains, Ker ?

— Sur Terre, personne n’a survécu à l’Apocalypse, et sur Héliopolis, ce n’était pas du tout l’euphorie. Mal de l’espace, reliquat des tensions résiduelles entre les anciennes nations… toutes sortes d’incidents se sont produits les premières années. La station n’était pas encore prête. L’humanité s’est installée comme elle le pouvait. Pendant ce temps, les machines ont continué de travailler au confort et à la fiabilité du nouvel habitat, en même temps qu’elles évoluaient afin de rester toujours plus performantes. Totalement indispensables, à vrai dire, car l’humanité était comme tétanisée. Même si les prémices couraient depuis près de cent ans, ce n’est qu’une fois enfermé dans Héliopolis qu’elle se rendit vraiment compte de la situation, et il lui fallut des dizaines d’années pour reprendre en main son avenir. Cela fait maintenant trois cents ans qu’elle a déserté la belle bleue, et tente depuis peu d’essaimer les systèmes voisins. Comme je te l’ai dit, les quatre usines sur Terre œuvrent à recycler les déchets afin de construire des fusées que l’on envoie à la recherche de planètes habitables. La Lune, quant à elle, est dédiée à l’extraction des matériaux nécessaires à l’élaboration de vaisseaux colonisateurs. Des avant-postes scientifiques sont en route pour Proxima Centori, Luyten et Tau Ceti, où l’on a détecté des candidates à la terraformation.

— Les colons de Proxima devraient être arrivés, si le trajet s’est bien passé, bien sûr, mais on n’aura pas de nouvelle avant un certain temps, précise Ninno qui sauce ses pâtes avec un bout de pain. On a beau avoir réussi à rendre viables les voyages sur de telles distances, le vide interstellaire reste incompressible.

— Moi, je leur souhaite bien du courage, ricane Oleran. Je préfère encore finir ma vie à nettoyer ces foutus panneaux solaires et peler des asperges.

5i// Y a-t-il des mécatroniques dans les vaisseaux colonisateurs ?

— Des quoi ?

— Sisco n’aime pas le mot robot, Oleran. Et non, les mécatroniques ne font pas partie du programme.

5i// Pourquoi ?

— Parce que les humains ont la trouille des robots, répond Oleran avec une grimace. On emploie les machines pour pallier nos difficultés, mais ça s’arrête là.

5i// Pourquoi ?

— L’humanité a longtemps été fascinée par la robotique, dit Isaelle qui a terminé son assiette. C’était une science pleine de promesses. Par ce biais, on pensait pouvoir accomplir en parallèle des progrès technologiques, sociaux et financiers. Les machines exécutaient les tâches pénibles, l’industrie faisait des bonds de géant, et l’humain devenait libre de son temps. On concevait des automates pour tout ; on les plaçait non seulement dans les usines, mais également sur les lieux de vente et de loisirs, jusque dans les cuisines et les écoles. Les enfants adoraient ça. Elles étaient plus que des outils ou des jouets, mais des compagnons, des professeurs, des ingénieurs. On les sollicitait dans l’espace, dans les abysses marins, en tant qu’explorateurs.

— On les envoyait aussi dans les profondeurs de la Terre, afin d’épuiser les derniers gisements d’énergies fossiles, et dans les forêts pour déboiser toujours plus efficacement. On les a encouragés à nous aider à détruire la planète, sans oublier leur précieuse capacité à faire la guerre.

Isaelle ne relève pas le commentaire de Ninno et commence à débarrasser la table. 5ixc0 détecte néanmoins sur son visage une certaine tristesse. Après un court silence, Keryan se cale au fond de sa chaise et prend la suite de sa femme.

— On essayait toujours plus de les faire nous ressembler, à tous les niveaux, au point qu’il était devenu difficile d’être sûr, au premier coup d’œil, de savoir si on se trouvait en face d’un être humain ou d’un androïde. Et puis l’Apocalypse est survenue, et l’humanité est devenue entièrement dépendante des machines. Une fois enfermée sur Héliopolis et sortie de sa torpeur, elle a commencé à craindre cette soumission à la technologie robotique. C’est ainsi que naquit une… éthique radicale. Nourrie par l’imaginaire et l’anticipation, l’humanité a soudain pris peur. Le créateur a redouté sa créature. On a rapidement fait machine arrière, si je puis dire. Les mécatroniques devaient de nouveau ressembler à des outils, n’être que de simples pantins, avec une intelligence artificielle verrouillée et limitée, afin de se remettre aux tâches pénibles sans mot dire.

— C’est à ce moment qu’a commencé la chasse aux robots humanoïdes. Héliopolis est devenue, l’espace de quelques jours, le théâtre d’un grand massacre.

5i// Les encyclopédies ne font pas mention de ce… massacre.

— L’Empire est obnubilé par la survie de son espèce. Il faut croire que cet évènement lui est apparu favorable.

— Ce qui, quelque part, est paradoxal, ajoute Oleran avant de dissimuler un léger borborygme. Seulement, les voies de l’empereur sont mystérieuses et impénétrables.

— À la suite de cet incident, mon mari et moi avons décidé de postuler afin de nous installer ici.

Imitant Keyran qu’il a vu faire ce geste plusieurs fois, 5ixc0 joint ses mains au-dessus de la table.

5i// Je veux aller sur les autres planètes.

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