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Les deux hommes se tiennent debout au milieu d’une cavité baignée d’une lumière chaude, douce et uniforme, plaquée de renforts métalliques ajourés et de câbles soigneusement entrelacés ; une véritable chapelle au centre de laquelle siège, sur un piédestal en roche taillée, le réceptacle sacré.

Hiber ne peut se détacher du visage serein de la petite fille aux yeux clos. Il n’a jamais eu l’opportunité d’approcher la relique d’aussi près, de prendre le temps de noter chaque détail, chaque perfection.

Elle lui rappelle sa voisine de module, lorsque avec ses parents il habitait le secteur 3. C’est en tous cas la trace qu’il garde d’elle, même si bien souvent, les souvenirs embellissent les choses ; il avait été amoureux de cette fille, de ses longs cheveux blonds et bouclés, de son rire mélodieux. Une nuit, sur la place du Grand Baz’Art, ils s’étaient tenus par la main. Comment s’appelait-elle ?

Le couvercle cristallin et convexe de la biostase déforme légèrement ses contours, mais il s’agit sans conteste d’une création incomparable. Hiber conçoit sans mal que le visionnaire Elego projette en elle tous ses vœux d’avenir ; l’enfant mécanique se rapproche terriblement de ce que les anciens, dans leurs livres mêlant histoire et fiction, décrivaient comme étant la personnification des divinités. Elle pourrait à la fois symboliser la beauté, la guerre et l’espoir ; elle rayonne, désincarnée, dans son mausolée de pierre taillée et de métal brut.

— De la Terre, tu disais ? (Hiber se gratte le front, comme s’il craignait de dire une bêtise.) La planète Terre ?

— C’est ce que nos recherches laissent à penser, en tous cas, répond le visionnaire, lui aussi absorbé par la transcendante majesté de l’entité inanimée — depuis toujours il se demande s’il doit considérer Koni comme éteinte ou endormie. Il se trouve que la disparition de Keryan correspond au début de cette vague de manifestations particulièrement virulentes à l’encontre des machines les plus perfectionnées. Je suis certain qu’il a fui Héliopolis afin de la protéger.

— Sur la Terre ? Répète l’officier dubitatif.

— Sélène était également, voire davantage, secouée par cette violence soudaine, car les ouvriers craignaient d’être peu à peu remplacés par ces outils inépuisables et assurément plus performants. J’ai été frappé par l’évidence que Keryan avait dû trouver le moyen de se réfugier avec Koni en zone interdite. Pour appuyer ma théorie, nous avons commencé par analyser ses anciens vêtements. J’étais certain qu’il y aurait des traces, des indices de ses errements passés, mais il ne fait aucun doute que les fibres utilisées provenaient des usines de confection d’Héliopolis ; Koni avait adopté de nouveaux atours, peut-être sous l’impulsion de Tanto, une fois de retour sur la station. Cela a été une grande déconvenue, mais Nihomi — tu la connais, elle ne baisse jamais les bras — a émis l’idée d’examiner la machine elle-même, convaincue qu’elle n’était pas programmée pour assurer sa propre maintenance. Avec d’infinies précautions, nous avons donc prélevé des échantillons de poussière — fibres synthétiques, microplastiques, polluants industriels, sols érodés, cellules mortes du vivant en décomposition — dans ses cheveux, ses oreilles, son nez et sa bouche, sur ses mains et même sous ses pieds. Notre entêtement n’a pas été déçu. Koni a assurément séjourné sur Terre.

Hiber détache enfin son regard de la biostase et aussitôt, le charme est rompu.

— Penses-tu faire oublier les bombardements en me trainant jusqu’ici ? lâche-t-il dans un grognement, son éternelle expression sévère retrouvée. Et quand bien même cette machine serait réactivée, qu’est-ce que cela change ? L’empire frappe au-dessus de nos têtes, et ce n’est qu’une gamine, bon sang !

— C’est là que tu te trompes, soldat. Koni est bien davantage que le simulacre d’une enfant. Elle porte en elle le symbole de notre défiance envers l’empereur et ses mensonges. J’ai uni les indécis et les inquiets autour de cette figure paisible afin de leur offrir un meilleur destin que celui de fuir dans un autre système ou de mourir sur un champ de bataille. Tu as suivi ta propre logique et entraîné nos enfants à faire la guerre, mais notre salut, Hiber, est devant tes yeux. La machine Koni nous a apporté des technologies inconnues, perdues ou même cachées par l’empire, des révolutions dont nous jouissons aujourd’hui, comme ces capsols miniatures et pourtant capables de tirer le maximum d’énergie des rayons de notre étoile naine, ou comme les lasers de découpe, dont sont pourvus les forges et nos outils, qui n’ont jamais été aussi rapides et fiables grâce à une technique inédite de concentration les ondes électromagnétiques.

— Des lasers ?

Le visionnaire sourit, à peine conscient d’avoir réussi à détourner de nouveau l’attention du soldat.

— L’avant-garde scientifique est littéralement tombée amoureuse de la petite, officier. Nos chercheurs étaient tellement enthousiastes que des protocoles ont dû être mis en place pour en garantir l’intégrité. Ils ont pratiqué l’ingénierie inversée de ses fonctions externes et internes avec un soin extrême, assistés de nos chirurgiens. Ils ont également procédé au grand nettoyage des débris — ceux qui avaient servi d’échantillons. Comme tu peux le voir, nous l’avons débarrassé de ses vieux vêtements civils héliopolites. Ça nous semblait incongru, ici. C’est pourquoi Koni arbore aujourd’hui le carmin de l’avant-garde, avec cette combinaison spécialement dessinée pour elle. Pour résumer, elle est comme neuve !

— Je l’imaginais sacrée, dit Hiber en posant sa main sur le bord du couvercle.

— Oh, elle l’est ! répond Elego sur le ton de la confidence, tout en plaçant délicatement, par mimétisme, ses doigts sur le caisson. Peut-être n’avons-nous pas la même définition du sacré ? Je sais que vous autres, habitants du Tertre, nous prenez pour des illuminés. Je n’ai jamais tenté de le nier — à quoi bon ? —, mais je te le répète : nous ne croyons qu’en la Science.

— Et dans le fait que Celle descendue des étoiles viendra récupérer son organe. Ce n’est pas moi qui l’ai inventé !

— Quelle importance ? Elle est à présent au-dessus de nos têtes ! clame le visionnaire, ses yeux brillants fixés sur la paisible machine. Ma Grande Inspiration a vu juste. (Il se tourne de nouveau vers l’officier.) Peux-tu seulement le reconnaître ?

Hiber garde le silence. Il retient au fond de la gorge une réponse qu’il ne saurait formuler autrement que par des mots sans douceur. Pourquoi est-il encore dans cette caverne, alors qu’il n’aspire qu’à rejoindre sa compagnie en surface ? Pourquoi s’est-il précipité aux gueules d’Orthos plutôt que de piloter les derniers préparatifs ? Maudit soit le visionnaire Elego, ses initiatives absurdes et ses histoires à dormir debout !

— Je dois partir, dit-il entre ses dents.

— D’accord, mais je dois d’abord te montrer autre chose.

— Tu joues avec ma patience, Elego.

— M’est d’avis que cela devrait grandement d’intéresser, dit le visionnaire en se dirigeant lentement vers le fond de la cavité. L’avant-garde a également œuvré pour toi. Contrairement à ce que tu sembles croire, tes suppliques ont depuis longtemps été entendues.

D’un geste théâtral — l’étoffe de son habit tel des ailes blanches déployées, son visage comme un masque antique de prétention —, le visionnaire Elego passe la main devant un panneau métallique qui saillit avant de se déporter avec un cliquetis tapageur. Le renfoncement s’illumine et jette sur les parois de la chapelle un halo bleuté, tandis que se dévoile une armure cramoisie et irisée.

— Qu’est-ce que c’est ? demande le soldat pour le change, ayant reconnu l’ensemble exposé sur son support.

— Notre participation à l’effort de guerre. Nous avons lourdement modifié le modèle EX-05 qui n’avait guère évolué depuis son utilisation par les opérateurs spécialisés sur Sélène et sur Héliopolis. Bien entendu, celui-ci conserve les spécificités élémentaires de son archétype — robustesse, maniabilité et fiabilité —, mais nous y avons apporté quantité de corrections et concentré tout ce que le véhicule de Koni nous a appris, afin d’offrir à nos jeunes combattants la chance de faire la différence sur les champs de bataille. Je me suis permis d’en faire embarquer cinquante dans la soute de ta navette, une pour chaque guerrier de ta compagnie, mais celui-ci est pour toi. Il est aux couleurs de l’avant-garde. Est-ce que cela te plait ?

Sans un mot, Hiber détache les sangles de son plastron.

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