S'en va
Jeanne Hémon était malade et le monde entier le savait. Elle avait été invitée dans des émissions de télévision ou de radio et racontait son histoire. Au fil de temps, son état se dégradant, elle ne communiquait plus qu’avec son blog, qu’elle avait créé dès les premiers signes du mal qui rongeait son corps. Vivant seule, sans avoir les ressources suffisantes pour faire face aux nombreuses dépenses qui l’attendaient, une véritable chaine de solidarité s’était mise en place. Sa maladie, la fibromyalgie, faisait la une des médias depuis qu’une chanteuse très célèbre avait révélée en être atteinte à son tour. Il se disait même qu’elle s’était rendue, dans le plus grand secret, auprès de Jeanne pour un concert privé.
C’est en novembre 2005 que l’on repère les premiers écrits de Jeanne, sur un forum de santé. Elle n’est pas la seule à témoigner mais ce qu’elle raconte est différent. Ses phrases captent l’attention, ses mots font ressentir avec une acuité toute particulière les douleurs physiques qui l’assaillent, jour et nuit. Pourtant, son message se veut plein d’espoir. Elle se bat et croit à l’issue positive de son combat, forçant l’admiration de ceux qui sont en bonne santé, redonnant de l’énergie à tous les malades qui la lisent sur internet.
Quelques mois plus tard, au début de l’année 2006, elle est invitée sur le plateau de Michel Cymes. C’est la première fois que son visage apparait au grand public. Jusqu’alors, elle n’était qu’un prénom et un nom. Son blog comportait peu de photos, hormis celles de son chien. Devant le médecin, elle avait expliqué les changements radicaux dans sa vie que lui faisait subir son corps, tandis que le médecin réputé dressait une synthèse appuyée par des animations de ce que l’on savait sur la fibromyalgie. Le ministre de la santé avait twitté dans la soirée que son gouvernement allait débloquer des fonds exceptionnels pour la recherche. Jeanne ne pouvait plus conduire et promener son chien lui coûtait des efforts de plus en plus importants. Une voisine lui faisait les courses mais pour le ménage, elle n’avait trouvé aucune solution. Un téléspectateur, utilisant le service destiné à poser des questions en direct à Jeanne pendant l’émission, lui avait assuré lancer sur-le-champ une grande collecte d’argent pour l’aider dans ses tâches quotidiennes. L’histoire de Jeanne ne cessera plus d’alimenter les sites de santé d’internet, les pages « people » et les réseaux sociaux.
Pendant le mois de juin 2006, les médias ne parlaient plus que de la guerre des Corées. Le dictateur de la Corée du nord avait envahi celle du sud, une bombe nucléaire avait accidentellement explosé, l’Amérique, le Japon et l’Europe avait réagi diversement, des soldats avait été envoyés sur place pendant que des dizaines de drones faisaient un sale boulot. La presse ne parlait plus de Jeanne et sa maladie n’intéressait plus personne. C’est un journaliste de Libération, souhaitant faire son portrait, qui avait raconté une suite plus tragique encore que ce que l’on aurait pu imaginer.
En sonnant à la porte du petit pavillon connu pour être celui de Jeanne, Quentin Girard n’avait trouvé personne. Après quelques recherches, il s’était rendu à Couvains, ville située à plus de 300 kilomètres de là. A force de ténacité et de quelques jours d’immersion dans le petit village, les informations qu’il avait pu recueillir le menaient à une vieille maison en pierre. La porte s’était ouverte sur une femme qui ressemblait à Jeanne en plus jeune.
Quelques semaines plus tard, le portrait de Jeanne racontait la vérité sur un des plus gros mensonges de ces dernières années. L’article, qui avait pour titre « Mythomialgie » relatait comment elle avait tout inventé depuis le début pour que l’on s’intéresse à elle. Quentin avait recensé des centaines de cas sur le net, des personnes qui publient n’importe quoi sur des maladies qu’elles n’ont pas, simplement pour qu’une attention leur soit portée.
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