Puce 20.0

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L'obscurité dominait la voûte au-dessus de la ville. En contrebas, alignés les uns derrière les autres, plusieurs centaines d'humains attendaient leur convocation annuelle du Centre. Comme chaque année, la foule était encadrée par de nombreux androïdes militaires et un calme glacial régnait sur la place. Peu d’entre eux accédaient aux guichets, et plus rares encore étaient ceux dont le dossier était finalement accepté.

— Je m’appelle K13, j’ai vingt ans. Il y a cinq mois, le jour de mon anniversaire, j’ai appris trois nouvelles, deux bonnes et une mauvaise.

Le scanner de la machine se braqua sur le visage du jeune homme.
Tapotant des doigts le bureau en métal, celui-ci fit abstraction et poursuivit.

— Dans un premier temps, on m’a informé que la mise à jour annuelle de ma puce était bien valide. Celle de mes dix-neuf ans commençait à avoir certains dysfonctionnements. Il m’arrivait de plus en plus d’avoir des maux de têtes ainsi que des nausées dans les quelques semaines qui ont précédés l’actualisation de la puce. Même si la base de donnée m’a toujours indiqué qu’il s’agissait d’effets habituels dans les derniers jours, je ne suis pas mécontent d’en avoir terminé avec la 19.0.

Machinalement, l’humain gratta les bandages sur son bras.

— Venez-en au fait s’il vous plaît, vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a un temps imparti pour chacune des convocations du centre. Vous n’aimeriez probablement pas avoir à garder votre puce une année supplémentaire, n’est-ce pas ?

Repensant à un ancien voisin de son block – un quadragénaire qui avait gardé plus de cinq ans la même puce – transféré de force par la sécurité dans une des sections psychiatriques du sous-sol de la ville, l’humain se contenta d’obéir.

— La deuxième bonne nouvelle, c’est que le système a considéré que j’étais apte et en mesure de garder les connaissances en simulation et programmation d’intelligence artificielle acquises à la puce 15.2. Cela fait presque quatre années et j’en suis très reconnaissant. Si on me le permet, je souhaiterai postuler en tant que programmeur de l’union des états libres.

La porte derrière la machine s’ouvrit et une jeune femme s’avança. À sa démarche très régulière et à son regard, l’humain devina qu’il s’agissait d’un androïde.


— Nous sommes ravis d’apprendre votre candidature. Cependant, vous n’expliquez toujours pas la raison pour laquelle vous avez été convoqué aujourd’hui. La raison qui vous a amené à tenter d’extraire votre puce manuellement. C’est contradictoire avec votre envie de devenir programmeur et surtout totalement illégal. Vous ne semblez pas mesurer les répercussions qu’une telle action peu entraîner.
— J’allais y venir, répondit l’humain sans se laisser démonter. Il y a quelques semaines seulement, j’ai trouvé dans les Archives, au sujet de l’intelligence artificielle, le rapport d’un chirurgien expliquant qu’il était biologiquement possible pour l’humain de vivre sans puce cérébrale, sans tout ce qui nous lie au réseau de la ville et à la sécurité.

L’androïde femme esquissa un sourire.

— Ce n’est plus quelque chose d’envisageable dans notre monde, la ville entière est un système connecté. C’est à chacun de s’adapter, d’être conforme aux exigences d’aujourd’hui. Nous ne pouvons vivre dans le passé, ni vous, ni personne.

En le fixant, elle marqua une pause puis reprit.

— Avant que nous procédions à la mise à jour, pourriez-vous me confirmer la raison pour laquelle vous avez des bandages au bras gauche ?
— Tout est détaillé dans mon suivi médical en ligne, ça s’est passé juste après la tentative d’extraction.
— Je vois. Vous semblez avoir de l’importance pour certains des représentants de l’union des états libres. Tout le monde ici n’a pas la chance de se voir greffer une main comme celle-là.

L’attention de l’humain s'attarda un instant sur l’androïde homme de la pièce voisine, séparée par une baie vitrée. Celui-ci était à l’écoute d’une jeune femme, probablement âgée de quelques années de plus que lui. L’humain éprouvait depuis peu quelque chose de particulier pour « elles », une sensation totalement nouvelle. Ces premiers souvenirs à ce sujet remontaient à la période où il avait décidé de ne plus poursuivre le traitement du centre. Il ne croyait pas aux coïncidences.


— Vous êtes tendu, remarqua l’androïde. C’est tout à fait normal avant une mise à jour majeure. Comme vous pouvez le constater, nous sommes là pour vous aider. Suivez-moi, s’il vous plaît.

Elle se leva et la porte du fond s’ouvrit. Le jeune homme lui emboîta le pas.
L’instant d’après, ils se retrouvèrent dans un long couloir qui faisait écho à la pièce qu’ils venaient de quitter. Totalement vitré, le sol et le plafond étaient d’une blancheur trop parfaite. Le couloir surplombait une grande salle qui fit ressurgir en lui de très anciens souvenirs, des images de sa première puce, la 0.1. Cette lumière aveuglante, les machines tout autour de lui qui s’affairaient, le cri des autres nourrissons qui l’entouraient et se mêlait au sien. C’est ici qu’il était né.

Au-delà de ce grand espace se trouvait un nouveau complexe vers lequel tous les couloirs parallèles convergaient. La structure qui se présentait à lui était beaucoup plus imposante que celles des années précédentes.
En arrivant près des portes, il constata la présence d’androïdes militaires, lourdement armés.
Sans leur porter la moindre attention, sa guide l’entraîna à l’intérieur du bâtiment.
Dans l’enceinte où ils se trouvaient à présent, l’humain constata qu’il n’y avait aucune fenêtre ni vitre séparant les pièces les unes des autres. Ici, un unique couloir aux murs opaques desservait l’ensemble des salles de l’étage. Une des portes glissa devant eux et sa guide lui fit signe d’entrer.

L’androïde fixait de nouveau son visage. Il savait qu’elle analysait la moindre de ses réactions. Il fit de son mieux pour rester impassible, l’instant fatidique approchait.
Hormis un tableau de contrôle, la salle comprenait cinq de ces grands sièges équipés de bras métalliques permettant les interventions sur les puces.

— Tout va bien. Ce bâtiment est consacré au soutien psychologique. Je voudrais que nous parlions de votre expérience de la puce 19.0, et que nous cernions plus précisément ensemble les raisons qui vous ont amené à tenter de l’extraire.

L’humain sentit sa veine battre contre sa tempe. Savaient-ils ? Il avait pourtant suivi toutes les recommandations transmises par son contact de l’Organisation.

— Asseyez-vous, je prépare le formulaire. Nous allons le remplir pendant la mise à jour de votre puce.

Elle désignait un des sièges. Il se détendit, l’androïde allait démarrer la procédure habituelle. Une fois installé, il sentit l’aiguille s’introduire dans sa boîte crânienne. Il s’autorisa alors un sourire. Il entendit les androïdes de l’armée accourir dans le couloir. Les sachant indépendants du système central, il s’y attendait. Bientôt ils le neutraliseraient, mais c’était trop tard. Le système était infecté de manière irréversible par le virus installé dans sa puce par l’Organisation. La porte vola en éclats et l’humain perdit connaissance.

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