Chapitre 14 : Ralliement

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Les étoiles brillaient encore dans le ciel de Danapi lorsque Mahaut émergea du pseudosommeil qu’était sa vraie vie. Elle se redressa sur les coudes, persuadée d’avoir entendu un chuchotement pas très loin de leur abri de fortune. Éblouie par les phares qui facilitaient la surveillance de leur cabane, elle mit un certain temps à distinguer les ombres qui cheminaient à quelques pas.

« Réveillez-vous, il se passe un truc ! » intima-t-elle tout bas à ses camarades en les secouant.

Mahaut se leva, indécise, bientôt imitée par Boghdar et Tiksum. Dans la nuit sans lune, des dizaines de soldats trottinaient en file indienne en direction de la forêt, tandis que d’autres continuaient de sortir de la base ramahène par l’entrebâillement du portail. Derrière le parapet du chemin de ronde, les silhouettes des gardes ne semblaient pas particulièrement agitées ou concernées par ce qui se déroulait au bas des murailles. Mahaut ne savait comment interpréter la scène.

« Vous allez vraiment rester plantés là ? Le jour se lève dans moins d’une heure… » les interpella une voix enjouée.

Sans son équipement et ses armes, Gemli paraissait fluette et fragile, même si sa démarche traduisait encore son aisance naturelle.

« Vous partez en mission ? s’enquit Mahaut, peu encline à croire aux miracles.

— En quelque sorte… confirma la jeune femme. Disons que notre mission sera désormais de persuader vos amis Maïdokhis que nous pouvons nous intégrer dans leur société et devenir des bons citoyens… »

Les émissaires danatiles échangèrent un regard incrédule. Devant eux, les Ramahènes défilaient toujours, silencieux malgré leur hâte évidente à rejoindre le couvert des arbres.

« Vous désertez ? s’alarma Boghdar, les sourcils haut perchés. Toute la base ?

— Non, malheureusement, certains ont décidé de rester, expliqua Gemli. Et on a dû neutraliser quelques sentinelles grincheuses qui ne voulaient pas nous laisser sortir…

— Neutraliser ? questionna Mahaut.

— À la sauce maïdokhie, bien sûr, la rassura la cheffe d’unité avec un immense sourire. Attacher et bâillonner, rien de plus. »

Mahaut dévisagea son amie, circonspecte. Six jours après leur retour de Badilaam, son arcade sourcilière gardait encore la marque du fusil de la Ramahène.

« Écoute, je… Je suis désolée pour le coup de crosse, reprit celle-ci, décodant certainement les doutes de sa camarade. J’étais très en colère, mais j’ai compris trop tard qu’en fait, c’était contre moi-même. Je voulais servir Ramah, j’étais résolue à ne pas me laisser influencer par ce que je verrais. J’ai eu du mal à admettre que tu avais raison… Que moi aussi j’avais envie de vivre sur Maï… à Danapi.

— Bah, tu frappes quand même moins fort que Kohim ; je m’en remettrai… répliqua Mahaut pour taquiner son amie. Qu’est-ce qui t’a décidée ? Tu n’avais pas l’air très convaincue par le mode de vie danatile pendant notre visite… »

Gemli baissa les yeux, puis considéra un instant la fuite discrète de ses anciens compagnons d’armes. Au passage, certains leur adressaient des petits gestes de la main, comme s’ils étaient des célébrités ; la plupart affichaient un large sourire.

« La cheffe de bataillon n’a même pas voulu écouter mon compte-rendu, commenta-t-elle d’un ton las. J’ai toujours eu une bonne relation avec elle, je pensais que je pourrais peut-être l’inviter à son tour à rencontrer le Conseil de Défense. Ou au moins, lui décrire toutes les avancées scientifiques susceptibles de restaurer la prospérité de Ramah. Mais tout ce qui l’intéressait, c’étaient les renseignements stratégiques. Et elle n’était pas très contente de ceux que j’avais collectés…

— Crois-moi, on ne connait que trop bien ce sentiment… attesta Mahaut, qui visait autant à sa vie réelle que ses aventures ramahènes. Mais tu as tout de même décidé des centaines de personnes à découvrir Danapi ! Regarde-les !

— J’avais surtout des films à leur montrer… tempéra Gemli. Tous étaient ébahis en les voyant. Et puis on a beaucoup discuté ; de nos options, du conflit, du rôle qu’on voulait jouer. On avait tous l’impression d’être coincés… »

Mahaut réfléchit alors que les premiers déserteurs disparaissaient dans l’obscurité de la forêt. Des vidéos seraient bien pratiques pour montrer à ses contemporains la beauté de Danapi. Elle-même n’avait cependant pas réussi à persuader Gorulaï de quitter Saan’undir avec ce procédé ; quelque chose dans son discours devait manquer de conviction…

« Je suis sûr que les Danamôns seront ravis que vous ayez choisi cette issue, intervint Boghdar en frappant l’épaule de Gemli de la main. Moi, en tout cas, je le suis : je rêve de ce moment depuis des semaines !

— Tu ne crois pas que nous, on devrait rester ? demanda Tiksum.

— Quoi ? s’insurgea Diawa, qui avait jusque-là observé la scène d’un air serein.

— Pour soi-disant protéger la base ? rigola la cheffe d’unité. Non, je pense que c’est mieux de les laisser se démerder tout seuls, maintenant. Ce n’est pas comme si vous serviez à quelque chose de toute façon… »

Les émissaires danatiles parurent soudain troublés.

« Tu savais ? interrogea Diawa, ses yeux écarquillés reflétant la lumière des spots de surveillance.

— Disons que j’avais commencé à avoir quelques soupçons au fil de nos conversations, avoua Gemli. Mais ce sont vos copains de l’intérieur qui m’ont fait le topo complet, l’immunité et l’arsenal non létal, tout ça… Ah, les voilà justement ! Les gars leur ont donné des barres énergétiques pour les requinquer un minimum avant de partir. »

L’immense Ghaludir en tête, leurs quatre camarades d’infortune apparurent au pied des murs d’enceinte, la démarche peu alerte. Mahaut et les trois autres les accueillirent par de chaleureuses accolades, prirent rapidement de leurs nouvelles ; après avoir effectué ensemble le voyage vers Dar Long, ils ne s’étaient plus parlé depuis trois mois.

Le défilé des Ramahènes touchait à sa fin. Gemli donna le signal du départ aux sentinelles, qui descendirent de leur poste de garde tandis que l’horizon s’éclairait d’une pâle lueur jaunâtre au-delà des falaises à l’est.

« Je n’ai pas repéré Jabgard, s’étonna Mahaut au moment où ils se mettaient en route. Tu l’as vu passer ? »

Son amie la fixa longuement, le visage grave à nouveau.

« Jab fait partie de ceux qu’on a dû neutraliser, dit-elle finalement. Je suis désolée, Mao. Moi aussi, je suis très déçue… »

Ils cheminèrent sans un mot jusqu’aux premiers arbres. Une fois à couvert, Mahaut se retourna pour observer le campement, paisible et sombre sous le ciel bleuté. Espérait-elle encore apercevoir leur ami les rejoindre en courant ? Non. Si Gemli n’avait pas pu le rallier à leur cause, c’était sans espoir. Comme l’était apparemment aussi l’objectif de rétablir un véritable dialogue avec les autorités ramahènes — et d’en apprendre plus sur Opthéo Tsong. Si la détermination et les états de service impeccables de la cheffe d’unité n’y étaient pas parvenus, sans doute leur fallait-il désormais envisager d’autres pistes. Lesquelles ? Mahaut n’en avait aucune idée.

***

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