Le repas d'Oscar
Oscar voulut quitter cette civilisation. Assez des horaires à respecter, assez de supporter constamment des chefs sur le dos, assez des démarches administratives interminables, assez des regards obliques, causes de sa trop grande taille et de son trop long nez. Assez !
Pour rajouter au raz le bol, ses enfants s’étaient envolés loin de la maison, sa femme était partie avec un autre et il se retrouvait seul. C’est là que l’idée germa…
Oscar vendit son logement, prépara son baluchon et partit vivre dans cette forêt d’altitude. Sa prévoyance lui conseilla d’emporter avec lui tout le matériel nécessaire à sa survie, son argent dormant sur ses comptes en banque avant de les clôturer. Peut-être un jour se déciderait-il à en donner la plus grande partie.
Partir à l’aventure comme cela ne se préparait pas à la légère et il avait regardé plein de tutos sur internet : comment construire sa cabane, planter son petit jardin autour, allumer un feu… Il avait acheté des livres sur les herbes comestibles, les champignons…
Au printemps il investit une petite clairière, sur laquelle il bâtit sa maisonnette, non loin d’une source d’eau pure. Endroit idéal ! Il planta son jardin et vécut de cueillettes pendant tout l’été. En automne, il abusa des champignons, tellement délicieux. Chaque jour loin de ces empêcheurs de tourner en rond l’emplissait de bonheur.
L’hiver apparut avec le froid, accompagné par son lot de désagréments. La neige envahissait la montagne et compliquait tout déplacement. Oscar peinait. Heureusement, l’homme possédait suffisamment de bois pour alimenter sa cheminée artisanale, de plus, un épais duvet en plumes d’oie le tenait au chaud pendant la nuit. Finalement le froid ne constituait pas tant un problème dans son intérieur.
Ce début hivernal lui avait donné à réfléchir, divers soucis apparurent : par exemple, le vent se faufilait à travers les murs quand il soufflait en rafales, sa cheminée menaçait de s’écrouler. Pour finir, la lumière lui manquait pour lire. Il avait en effet amené avec lui tout le contenu de sa bibliothèque : ses livres représentaient le dernier vestige de la civilisation.
Son argent lui permettrait peut-être d’acheter une de ces petites cabanes en bois toutes faites. Ce genre de constructions transportables ne comportaient qu’une seule pièce, mais semblaient très confortables. Il souhaitait, si possible, un poêle à bois ainsi qu’un toit vitré, par lequel il admirerait les étoiles et profiterait d’un magnifique puits de lumière diurne.
Le goût des pommes, cerises, prunes… lui manquait. Aussi, il acquerrait des arbres fruitiers greffés, par définition, inexistants dans la nature. Quelques bocaux lui permettrait des confitures. Un peu d’outillage supplémentaire lui semblait nécessaire. Seules une houe, une scie, une hache quelques tournevis et marteaux, formaient l’ensemble de son outillage. Ainsi, de nombreux instruments de base lui faisaient défaut.
Son potager lui fournissait des légumes d’hiver : choux, poireaux, carottes, radis… Mais la période hivernale s’allongeait et la réserve diminuait. Bientôt il dut se rationner, et la faim se fit sentir. S’il survivait, l’année suivante il prévoirait une surface de culture double !
La nature, pauvre comme ses provisions, perdit sa capacité à lui offrir le couvert. Elle-même voyait sa population animale diminuer sous l’effet de la sous-nutrition hivernale et il ne s’imaginait pas chasser.
Aujourd’hui, il tenterait le tout pour le tout et partirait rejoindre le village le plus proche. Il y quémanderait sa pitance, ou plutôt l’achèterait, car grâce à la vente de son habitation, il jouissait d’une certaine fortune !
Oscar enfila son pantalon épais, ses bottes, son gros manteau d’hiver et ses gants. Il ouvrit la porte de sa cabane et se mit en route. La sensation fut immédiate : le froid, poussé par un blizzard glacial venait mordre son visage et s’insinuer sur les côtés de sa capuche. Les flocons de neige forçaient le passage laissant un souvenir humide sur sa barbe et certains, plus malins, atteignaient son cou, ses oreilles. L’homme resserra la ficelle de son capuchon puis remonta son col de sorte à y enfouir son nez.
Sur le chemin il croisa un bosquet de noisetier. Si j’avais su, j’aurais fait des réserves de fruits secs. L’année prochaine, si Dieu me prête vie ! Il marcha jusqu’à la rivière au chant sibyllin, aujourd’hui étouffé par la glace. Pour atteindre le hameau, il lui suffirait de la suivre. Oscar connaissait la route. En plein été, le voyage avait duré une grande partie de la journée. Il avait dormi dans une grange aimablement prêtée par un fermier. Mais aujourd’hui, avec cette neige, il progressait avec difficulté et lenteur, ses longues jambes s’enfonçaient parfois dans de profondes congères. Il me faudra aussi des raquettes !
Lorsqu’il atteignit la grande cascade, le soleil perçait les nuages et le ballet aérien des flocons se terminait. Il s’arrêta prenant le temps de l’admirer. Les stalactites de glace scintillaient au soleil, donnant à l’endroit un aspect irréel. Leur taille et leur nombre évoquait en lui un orgue titanesque. Que la nature est belle ! Mais sentant la faim l’assaillir, il constata combien elle savait être cruelle.
Oscar évalua l’heure. D’après la position du soleil, la matinée finissait, mais la distance parcourue ne représentait pas le quart du trajet. L’inéluctabilité s’imposa à lui : il ne tiendrait pas la nuit dehors. Fichue neige ! Je ferais mieux de rebrousser chemin. Autant périr dans la quiétude d’un bon feu de bois plutôt que dans ce froid, même la faim au ventre. Péniblement, il remonta la sente.
Grâce aux empreintes de ses pas, il évita les amas de neige, gagna un temps précieux et économisa son énergie. L’ermite parvint à sa cabane juste avant le coucher du soleil. J’ai gaspillé toutes mes forces, je ne ferai pas de vieux os ! Au milieu de ces considérations pessimistes, la nuit tombante, Oscar entra enfin chez lui. Le feu se mourrait. Conservant ses vêtements d’extérieur, l’homme rajouta des bûches. Rapidement, les flammes jaillirent et dévorèrent avidement le bois offert, sous le regard émerveillé de l’ermite. Petit à petit, l’atmosphère se réchauffa et il ôta enfin son manteau, ses gants et ses bottes. Il entreprit alors de réchauffer ses extrémités gelées, douloureuses. Au moins, si la nourriture manquait, la chaleur des flammes lui donnaient un réconfort certain.
Il regarda autour de lui. Je ne vais quand même pas me laisser crever de faim, je dois trouver une solution, merde ! Il regarda à droite et à gauche, s’il traînait quelque chose à se mettre sous la dent. Ses yeux s’arrêtèrent tout à coup sur sa bibliothèque. Le papier, ça doit bien se bouffer ! Si je mangeais un bouquin par jour, je pourrais tenir jusqu’au printemps… qui devrait déjà être là. Il se dirigea vers le meuble et se saisit d’un volume parmi ceux auxquels il tenait le moins, un conte pour enfants.
Bon, si je dois te manger, je vais d’abord te rendre hommage et te lire. Pas de quoi se remplir la panse vu le nombre de page, mais ce sera toujours ça !
“Il était une fois, dans un royaume lointain, autant dans le temps que dans l’espace, un prince qui vivait heureux… ”
Dos au feu afin de bénéficier de sa lumière, Oscar lisait. Pris par son activité, il oubliait déjà sa faim, satanée compagne de ces dernières semaines et se laissait aller à l’histoire lorsqu’il en arriva à la scène du banquet.
“Le prince se frotta les mains en contemplant la table dressée. Sur des rôties dorées et frottées à l’ail, des viandes succulentes se languissaient d’être dévorées…”.
L’esprit d’Oscar s’envola loin de notre réalité. Il entrevoyait les plats servis, emplissait ses narines de leur odeur, sa bouche se gorgeait de la dinde farcie, la sauce lui coulait dans la gorge, il essuya ses lèvres du revers de la main avant d’empoigner une coupe pleine de vin dont il se remplit le gosier. Il ne s’agissait pas d’un simple repas, mais un festin de roi !
Le petit matin trouva un Oscar allongé au sol, un sourire planait sur ses lèvres, dans sa main il tenait son livre. Une paupière s’ouvrit, puis deux. L’homme se dressa subitement sur son séant, étonné. Il ne se rappelait plus le moment où il s’était endormi, la seule chose qui vint à sa mémoire fut d’avoir lu ce livre. Il s’était probablement assoupi pendant sa lecture, car il avait rêvé d’un magnifique banquet.
Il se leva, sorti de son abri et admira le soleil éclatant dominer la montagne. La fonte des neiges s’amorçait. Empreint d’une énergie nouvelle, il alla chercher sa houe. Il devait bien rester quelques légumes là en dessous ! Et il pourrait chercher autour des arbres si quelques fruits secs traînaient !
Il s’interrompit un instant, se souvenant qu’il n’avait rien avalé la veille, ni le jour précédent. Pourtant il sentit son ventre plus lourd et son estomac le laisser tranquille.
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