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Corps-Ame-Esprit est un essai de Michel Fromaget paru aux éditions Almora en 2017, et qui propose une mise au jour de nos conceptions actuelles de l'âme et du corps, et des raisons pour lesquelles, dans certains discours contemporains, s'opère une séparation ferme entre ces deux pièces considérées comme maitresses de tout individu. Fromaget construit ses questionnements en synchronie mais aussi en diachronie: il interroge les évolutions saillantes de ces conceptions d'âme et de corps dans diverses sphères culturelles et religieuses, en particulier celle du christianisme primitif, de l'Antiquité à nos jours. Plus particulièrement, il met en avant une conception particulière de l'anthropologie humaine, à savoir une anthropologie ternaire, constituée entre corps, âme, mais aussi esprit. Or, Michel Fromaget défend l'idée que cette conception d'esprit aurait été délaissée au fur et à mesure de l'histoire, pour une revalorisation progressive de l'idée d'âme puis de corps.

Fromaget propose ainsi plusieurs points de "bascule" au niveau historique dans lesquels il situe ces changements conceptuels, qui s'apparente selon lui à un long déclin continu:

"C'est l'anthropologie irénéenne qui est la plus pure, la plus complète, la plus cohérente. Après un tel sommet le discours sur l'homme ne pouvait plus guère que se transmettre inchangé ou se dégrader. C'est hélas le deuxième chemin qui fut le plus souvent emprunté. La descente fut me semble-t-il, continue, mais elle connut trois "décrochements" particulièrement nets : une provoquée par l'infiltration, dans le kerygme originel, de conceptions platonisantes et gnostiques, une autre provoquée par la perte du sens de l'esprit, un autre enfin dû à la réduction de la vie de l'âme à celle du corps. Il est bien sûr délicat de poser des dates exactes, mais chacun de ces décrochements est repérable au siècle où il se manifeste par sa plus grande amplitude. A considérer les choses ainsi, la première faille date sensiblement du IIIème siècle, la deuxième du XIIIème siècle, la troisième du XXème siècle."

Au début de cet extrait Fromaget mentionne la pensée religieuse de Saint-Irénée, père de l'Eglise né à Smyrne vers 140 et mort à Lyon au début du IIIème siècle. Le discours irénéen prend place dans ce long continuum entre redécoupages conceptuels du corps, de l'âme et de l'esprit car il affirme que l'esprit, l'âme et le corps doivent se mêler dans l'évolution spirituelle des individus. Ce qui peut fonder implicitement le constat de Fromaget sur la pensée irénéenne, c'est l'importance absolue que Saint-Irénée accorde à une lecture littérale de la Bible. Saint-Irénée revendique par ailleurs une réfutation des hérésies gnostiques, qui proposent une interprétation philosophique du texte sacré, dans son ouvrage intitulé Contre les Hérésies. La pensée irénéenne n'avait donc selon Fromaget aucune raison d'être dépassée par une autre, sa foi se trouvant dans les commandements stricts bibliques. Or, selon lui, l'histoire de la théologie après Saint-Irénée fut progressivement infiltrée par des mouvements de pensée gnostiques, et ce, dans un premier temps, à partir du IIIème siècle.

La cause de ce premier "décrochage" est bel est bien indiquée par Fromaget. Mais qu'en est-il des deux autres ruptures ? Pourquoi Fromaget a-t-il placé une deuxième rupture de l'unité entre corps, âme et esprit, au XIIIème siècle, et une troisième durant le XXème siècle, qui consiste selon lui en un oubli de l'âme après une dissolution de la notion d'esprit au Moyen-âge?

Le contexte théologique du XIIIème siècle est celui de l'apogée des mouvements de pensée scholastique. De l'argument ontologique d'Anselme de Cantorbéry à la fin du XIème siècle à la pensée de Saint Thomas au XIIIème siècle, s'épanouit un nouveau paradigme de pensée selon lequel la force de la foi en Dieu doit puiser sa source dans la raison humaine. Cet embryon de pensée rationaliste va trouver ses premières lettres de noblesse chez les auteurs scolastiques du XIIIème siècle avec, par exemple, la diffusion massive des textes d'Aristote par Albert Le Grand ou encore les premiers raisonnements empiristes développés par Roger Bacon. Fromaget a-t-il voulu entrevoir une dilution de l'esprit par l'effacement de la croyance pure et sans appui, béate, prônée par les premiers Pères de l'Eglise ? L'esprit au sens irénéen du terme est-il une démarche de pensée que les hommes ont petit à petit perdu ? Si l'âme s'est ensuite effacée au profit du corps, on peut suggérer que ce rabaissement a été précédé par une perte de l'esprit au profit de l'âme, si l'on entend le sens d'"âme" comme capacité thomiste à interpréter, à se mouvoir selon ses propres choix dans l'espace-temps et à assumer les conséquences de sa liberté de mouvement.

Or, si l'on conçoit cette évolution du gnostique vers le rationalisme comme une réfutation de plus en plus possible du divin, de la croyance en Dieu par l'esprit seul, sans exégèse, comment cette prédominance de l'âme chez les auteurs scolastiques a-t-elle pu laisser place à la"civilisation du corporel" telle qu'elle commence à se dessiner à partir de la Renaissance ? Descartes, par exemple, a-t-il opéré dans son concept de dualisme corps-âme une séparation infranchissable entre les qualités de l'âme et celle du corps ? L'exigeance de vérité des scolastiques s'est-elle progressivement effacée devant un certain scepticisme? Ce scepticisme, face à la modernité occidentale trimophante, fondée sur la recherche du gain direct et du bonheure individuel, a-t-il été poussé dans ses propres retranchements ? De sorte que l'âme à la recherche de Dieu par l'expérience fut éloignée de son objectif premier, pour ne survivre que dans les méandres du doute ?

Fromaget parle de triomphe de la vie du corps sur l'âme à partir du XXème siècle. Or, le XXème, c'est, entre autres, un rejet massif par une partie des populations occidentales de la foi religieuse; c'est le triomphe de l'hédonisme, de l'Etat-Providence ou du libéralisme, de la surconsommation. L'âme, selon les phiosophes matérialistes contemporains, a été réduite à un concept abstrait et non expérimenté. Mais l'âme, ce peut être aussi alors le triomphe de l'intellect sur le jetable, la distraction éphémère, une certaine forme d'impulsivité; or, comment récupérer cette âme, dans une société qui sélectionne et qui se métamorphose de façon toujours plus vite ?

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