14 - Viviane Gauss

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Circulant au beau milieu du couloir du petit établissement médical de Brook - le seul d’ailleurs - Andréa Kharl, carnet et stylo en main, évaluait le nombre de consultations au compte du docteur Marion Warren, ce dernier dans son bureau, s’occupant d’un patient souffrant de grippe. L’établissement comme tel n’avait rien d’extraordinaire. Que pouvait-on attendre d’un petit village isolé comme Brook, si ce n’était le minimum requis pour une bonne vivabilité de sa démographie.

Bohomie était un pays connu pour abriter en son sein d’innombrables villages plus ou moins évolués - chacun sa définition du mot "évolution". Et Brook en faisait partie. Et bien que des bâtisses particulières telles que des centres de santés aient divergé d’un village à un autre, on pouvait tout de même noter une certaine tendance pseudopolitique qui visait à accorder au docteur principal un titre presque équivalent à celui du maire. Même si, en vrai, ce serait prétentieux. Mais le fait est que d’une certaine manière, dans beaucoup de ces villages, le docteur principal était considéré comme une personnalité politique, à même titre qu’un maire de ville, qu’un shérif et plus.

Dans l’étroit couloir du centre de Brook, Andréa devait sans cesse faire attention à ne pas écraser par inadvertance les pieds de quelqu’un, tout en évitant des ouvertures soudaines de portes bordant l’allée d’où de "petits" docteurs consultaient les patients.

Elle leva son regard vers une des fenêtres et dut tirer les rideaux à cause de la pluie qui commençait à s’incruster.

— Excusez-moi monsieur, entendit-elle à l’entrée.

C’était la voix de Viviane Gauss en pleine altercation avec un patient âgé visiblement pressé. Cela se voyait à la manière qu’il avait à la pousser.

— J’ai des douleurs au derche, fit le vieil homme mécontent. J’ai dû traverser la pluie pour arriver ici.

En disant cela, Andréa remarqua effectivement qu’il était tout trempé. Elle regretta le fait qu’elle n’ait pas pris sa veste, car elle fit constat qu’on se le gelait dans la pièce. Elle en arriva à envier les patients chaudement vêtus.

— Je comprends, monsieur. Mais vous n’avez pris aucun rendez-vous. De même, il y a d’autres patients qui attendent depuis bien longtemps que vous.

Alors l’homme, sous la colère, ne put se retenir de lui flanquer une grosse claque qui résonna dans toute la pièce comme un écho, malgré le tapage sonore de la pluie dehors.

Andréa observa avec incrédulité ces hommes et ces femmes malades regarder la scène d’un air voulant dire : « À chacun ses problèmes. ». C’est ainsi que, prise dans un élan de compassion, elle s’avança vers la porte d’entrée.

— S’il vous plaît monsieur, fit-elle en s’agenouillant vers sa collègue. Elle ne fait que son travail.

— Voilà l’autre, réagit l’homme d’un ton agacé et moqueur.

— Andréa, lui chuchota Viviane. Arrête. Je peux m’en sortir seule.

En réaction, elle lui lâcha les aisselles et la laisser se lever par elle-même, ramassant aussi son carnet et son stylo.

— Je m’excuse de ce dérangement. Mais vous ne pouvez pas...

Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase qu’il lui colla un autre claque. Ce qui ne laissa pas le couloir indifférent cette fois.

— Espèce de vieux sénile, lança une voix.

— Bâtard de merdes.

Le vieil homme, manifestement sensible aux insultes, tourna son regard vers les personnes assises sur le banc du couloir. Son visage joufflu vibrait d’indignation et sa calvitie semblait plus mise en avait à cause de l’humidité.

— Elles ont l’habitude d’être frappées, non ?

Mais les regards ne changèrent pas à son égard. Alors, acquiesçant à contrecœur, il céda et alla s’asseoir sur le banc d’attente.

— J’ai mal au derche, fulmina-t-il, bon sang !

— Viviane, ça va ?

Elle essaya à nouveau de la relever, mais cette dernière la repoussa avec ses épaules.

— Ça va, merci de t’en inquiéter.

Elle se massa la joue et Andréa remarqua une trace de rougeâtre. La peau de Viviane était plus pâle que la sienne. De ce fait, une claque pouvait avec facilité laisser des marques. En plus de cela, avec sa brune chevelure qu’elle avait faite plus courte, si courte qu’au loin, on croirait à un garçon, elle avait cette manie de les teindre en noir. Peut-être pensait-elle que cela cacherait ses bleues.

— Comme il l’a dit, on en a l’habitude, n’est-ce pas ?

— Viviane ?

— On ferait mieux de se remettre au boulot. Je commence à attraper froid.

— D’accord.

Elles prirent des directions opposées.

— Madame l’infirmière, fit un petit garçon, pourquoi il vous a tapé ?

Viviane se retourna et vit un jeunot d’environ six ou cinq ans. Ce dernier avait contracté un sale rhume. À tel point que cela affectait même sa voix, la rendant aiguë et désagréable à entendre. Sans oublier cet écoulement verdâtre qui en dégoûterait plusieurs. Sa mère, à côté, tira son fils vers elle et dit avec malaise - consciente que ça ne la regardait pas :

— On ne pose pas ces genres de questions aux adultes.

Merci, fit-elle en elle.

Soudain, elle entendit des tambourinements à la porte d’entrée. Prise par surprise, elle se précipita pour ouvrir. En faisant cela, le vent glacial du dehors pénétra avec frénésie le couloir et des gouttes de pluie prirent d’assaut son visage. Le temps de refermer la porte, un groupe de quatre ados entraient déjà, en proie à la panique. L’un deux gémissait de douleur et boitait avec peine, collant sa main sur l’une de ses cuisses.

— Maman, fit Harry en se pressant vers elle.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda-t-elle en déposant son carnet et son stylo sur une table à côté.

— Un loup, maman. Il a mordu Eden.

De leur côté, Viviane scruta la plaie de l’ado blessé.

— Laisse-moi voir.

La morsure était profonde et chaque fois qu’elle la frôlait du bout du doigt, l’adolescent lançait des sifflements peinés. Les autres patients observaient la scène avec curiosité. Ces gosses, durent-ils penser avec détachement.

— Qu’est-ce qui s’est passé, Eden ?

— Je ne sais pas, maman, répondit-il en sanglot. On s’amusait tranquillement dans les bois. Tu sais ? La seule partie de la forêt qu’on a le droit de fréquenter. Mais un loup est sorti de nulle part et nous a poursuivis.

— Un loup ? demanda-t-elle d’un ton plus septique.

Elle leva son regard et vit Andréa arriver.

— Ça a l’air grave.

— Je ne sais pas ce qu’il l’a mordu, mais il vaut mieux éviter une tragédie. J’appelle un des docteurs d’urgences.

— Eh ho, fit le vieil homme de tout à l’heure en se levant en signe de protestation. Il est arrivé en retard, et il doit attendre comme tout le monde. C’est bien ce coup que vous m’avez fait, non ?

Viviane fit pivoter son regard le long du couloir avant de le concentrer vers la plaie d’Eden.

— Faites votre travail, renchérit l’homme. Famille ou pas. Il devra attendre.

Elle acquiesça et conduit Eden s’asseoir sur un banc, tout en prenant soin de déposer un drap afin que la douleur soit assez atténuée. C’était moche.

— Yannelle, fit-elle ensuite. Que s’est-il passé ? Réellement.

— Un loup, madame Gauss.

Elle fit fuir son regard vers Ethan.

Ils mentaient. C’était clair. Et un pressentiment en elle lui criait de se décharger sur Andréa. Elle ne saurait comment l’expliquer. Mais quelque chose au fond d’elle la choisissait comme bouc émissaire.

— C’est vrai ça ?

— Oui, madame Gauss.

Son mari était chasseur. Elle devait sûrement avoir quelques notions dans la matière. Cette morsure ne pouvait pas être celle de loup. Elle se leva donc puis tira Andréa vers un coin de la pièce. Si elle avait tort, au moins, elle aurait évacué ce pressentiment qui commençait à peser en elle.

— Andréa, si je découvre que c’est ce garçon qui a...

— Qu’est-ce qui te fait penser que c’est lui ? s’indigna-t-elle en réponse.

— Ce n’est pas une morsure de loup. Il a été mordu par un être humain. Et d’après ce que les gens ont vu dans la journée, ton fils conduisait ton petit protégé vers leur lieu de leur rassemblement.

— Ton garçon est trop gras pour que les dents de Bill ne lui arrachent quelque chose.

— Fais gaffe à ce que tu dis, réagit-elle d’un ton plus menaçant, Andréa. C’est mon fils.

Andréa demeura bouche bée et lança un regard à Harry, pour lui demander d’approcher. Ce qu’il fit.

— Harry, où as-tu emmené Bill ?

— Je l’ai emmené visiter le village puis je l’ai ramené à la maison. Il n’était pas à l’aise, alors...

Andréa parut sceptique à la réponse. Il mentait. Qu’est-ce qu’ils avaient à leur mentir ? Un coup d’œil à Viviane suffit à la conforter dans ses soupçons. Quelque chose s’était passé. Mais Bill ? Non. C’est vrai qu’il laissait émaner de lui une atmosphère anxiogène, mais elle avait du mal à se l’imaginer faire cela. Sans compter qu’il n’avait même pas encore dix ans. En conséquence, Eden l’aurait balayé avant qu’il n’ait eu le temps de lui faire mal. Non. Ce n’était pas Bill.

— Tu me rassures qu’en ce moment, Bill est à la maison ?

— Oui, maman, s’obstina Harry.

Viviane partagea la même incrédulité qu’Andréa, mais les deux femmes acceptèrent tout de même d'acquiescer. Avec cette pluie, elles ne pouvaient pas faire grand-chose que de travailler et attendre.

— Viviane, fit Andréa alors que cette dernière allait rejoindre son fils.

— Tu n’as pas le droit de m’en vouloir, dit-elle sans conviction. Au départ, c’était ta faute si nous en sommes là.

Cette dernière se tourna vers elle et baissa ses yeux en signe d’abandon avant de lâcher :

— Je sais.

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