La Fille de l'Archange et le Prince Démon

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Il était une fois, il y a très très longtemps, à une époque que les hommes ont oubliée depuis une éternité – ou deux – les anges et les démons étaient en guerre pour contrôler la terre. Les anges n'étaient à l'origine que douceur et bonté et avaient été contraints, du moins pour les plus courageux et puissants, de prendre les armes face aux monstres cornus. Ces derniers, les démons, ne recherchaient que le sang et le chaos. Ils vivaient littéralement de la douleur. Ils se repaissaient du sang et du malheur des hommes. La terre et les hommes se mourraient petit à petit au fil des siècles de combats acharnés entre les deux camps. La destruction serait en effet arrivée s'il n'y avait pas eu un ange et un démon qui s'étaient rencontrés – pur fruit du hasard – dans la nature.

Selon les contes anciens connus plus que des descendants de ces deux espèces, une ange était assise au bord d'un étang et chantait doucement tout en brossant et coiffant sa longue chevelure noire comme l'ébène dans laquelle elle insérait de petits boutons d'or. Elle ne faisait pas partie des archanges guerriers. Elle était juste venue sur terre avec ses parents, son père étant sans cesse sur le front à combattre les démons. Si son nom a été perdu au fil du temps, ce ne fut pas le cas de son histoire ni de sa rencontre avec un démon. Ce dernier était fourbe et rusé et il voulait piéger les anges en passant discrètement derrière la ligne de front pour détruire le campement des anges de lumière. Il aurait eu par cet acte honneur et gloire pendant des décennies auprès de son père, le Seigneur Daemon.

Pourtant, en arrivant dans la clairière, de l'autre côté de l'étang, la créature des ténèbres n'avait pu que tomber à genoux devant tant de beauté, vaincu avant même de pouvoir se battre. Le chant était doux et mélodieux pour ses oreilles habituées à écouter la mélodie du combat, des fers qui s'entrechoquaient et les hurlements de ses victimes. Et le corps svelte et élancé, tout en formes parfaites et équilibrées, lui donnait envie de tout sauf de tuer. La créature pourrait lui demander la lune là, maintenant, tout de suite, qu'il remuerait ciel et terre pour aller la décrocher et lui offrir en cadeau.

Quand l'ange vit le démon, elle prit peur et se releva sans quitter le monstre des yeux. Voyant tant de frayeur dans le regard de la divine créature de rêve, le Prince démon posa ses armes à terre avec lenteur ni aucun geste brusque. Il se débarrassa de poignards, épée, lance, arc et flèches. Il ne garda rien sur lui. Il ôta ensuite son casque cornu en métal noir, importé tout droit des profondeurs et des entrailles de la terre, et découvrit son visage pâle et froid. Ses cheveux étaient blonds, presque blancs, ses traits aristocrates, ses yeux étaient de braise et ses cornes sombres et striées, élégantes. Quant à ses ailes, elles rappelaient celles des chauve-souris, membraneuses et noires comme la nuit. Il approcha lentement de l'ange et s'arrêta en bordure de l'étang à une vingtaine de mètres d'elle pour s'y agenouiller. Il lui demanda de continuer à chanter, tout simplement. La femme de lumière qui avait étendu ses ailes duveteuses et immaculées, prête à s'envoler, les referma lentement et fixa le démon devant elle. Il ne semblait pas agressif. Elle accéda à sa demande et se rassit pour chanter.

Le Prince démon revint souvent la voir, toujours au même endroit. La présence de l'ange apaisait son désir et sa soif insatiable de sang et de combat. Il se sentait plus calme et moins belliqueux. Il combattait toujours auprès de ses pairs mais il n'en ressentait plus autant le besoin. Il pouvait très bien rester dans la tente à discuter stratégie avec son père et les autres généraux. Mais il n'avait raconté à personne, pas même à son père et Seigneur des Démons, qu'il rencontrait régulièrement une créature de lumière.

Au fil des semaines, le Prince et l'Ange firent connaissance. Il découvrit qu'elle était une princesse, troisième fille du premier Archange. Et à chaque rencontre, le démon put peu à peu s'approcher de la belle créature qui lui faisait l'effet d'un baume, jusqu'à ce que, un jour, un an plus tard, il puisse lui effleurer la peau de son bras. Elle était douce. En un an, l'Ange avait gagné en beauté et assurance. Ses yeux bleu ciel étincelaient de bonheur et son sourire était comme un rayon de soleil. Son rire, cristallin. Le Démon comprit enfin ce sentiment que les humains appelaient amour ainsi que la situation si caractéristique du coup de foudre. Lui, il aimait l'Ange. Il ignorait toutefois si elle l'aimait en retour. Ils étaient juste devenus des amis avec le temps, à l'abri des regards.

Il eut sa réponse un jour alors qu'elle arrivait en courant, en pleurs, se réfugier dans ses bras dans la clairière auprès de l'étang. Le premier Archange avait promis sa fille à un autre Archange pour des raisons de politiques et d'alliances. Elle ne voulait pas se marier avec cet ange qu'elle ne connaissait pas et qui avait la réputation d'être dur selon les rumeurs qui circulaient auprès des servantes.

— Venez avec moi, avait proposé aussitôt le Prince démon en la serrant contre lui et entourant sa taille fine de sa queue fourchue.

Les yeux couleur du ciel croisèrent les deux joyaux ardents et elle sourit avant de l'embrasser. Ensemble, les deux amants fuirent la guerre et leurs obligations. Ils se réfugièrent dans une petite vallée boisée cachée, entourée par d'immenses montagnes. L'Ange était cachée à la vue du ciel et vivait plus librement que jamais auprès de son démon. Ce dernier la protégeait contre les dangers de la nature et lui fournissait un toit ainsi que son amour, qui restait un peu brute, et parfois même bestial, de par sa nature démoniaque. La créature angélique, elle, apaisait son désir de bataille et de sang en continuant à chanter et à montrer son amour par de simples et délicates attentions. Elle était la part précieuse et innocente du Prince démon. Son joyau. Et selon certaines légendes, elle serait son âme soeur. Mais sur ce dernier point, il y a malgré tout des doutes car toutes les variantes ne le mentionnent pas.

Les années passèrent et l'Ange offrit trois beaux enfants à son compagnon. Ils avaient chacun une part de leurs parents, à différents degrés. L'un était plus angélique, l'autre plus démoniaque, le troisième était le parfait mélange des deux. Ces trois enfants étaient des néphilims. Les premiers de leur genre. Ils avaient acquis la force de leur père, sa soif de sang et de combat aussi pour le plus démoniaque, mais également la douceur et la pureté d'âme de leur mère qui les élevait et appliquait de son chant le même baume qu'elle offrait depuis tant d'années au Prince démon.

Si l'Ange était coupée totalement de son monde afin de ne pas être retrouvée et forcée à épouser l'Archange, ce n'était pas le cas du Démon. Son espèce était liée au feu infernal et aux Enfers. Il pouvait toujours entendre les rumeurs qui circulaient dans la terre par les sous-terrains qui parsemaient toute la planète en galeries et chemins. Un véritable labyrinthe infernal pour qui n'était pas démon de nature. D'autant plus que plus on descendait, plus la chaleur augmentait et l'air se faisait plus vicié et chargé en soufre. Un homme mourrait s'il trouvait par inadvertance l'entrée d'une galerie et décidait de s'y plonger.

Des rumeurs sous-terraines, le Prince démon gardait une oreille attentive pour connaître l'évolution de la guerre millénaire qu'il y avait entre leurs deux espèces. Il apprit un jour que son père avait été blessé au cours d'un combat et qu'il était sur son lit de mort. En tant qu'unique héritier du Seigneur Daemon, il se devait d'être auprès de son père et aussi réclamer son héritage une fois que le démon donnerait son dernier soupir. Il en parla à sa compagne qui accepta qu'il y aille à une seule condition, qu'ils y aillent tous, en famille. Le Prince avait donc donné sa cape sombre pour cacher la nature angélique de son aimée et ils avaient tous ensemble fait route vers le camp où le Seigneur Daemon se mourrait.

Le Prince entra avec sa famille dans la tente rouge sang et demanda à ce que tout le monde quitte les lieux. Aucun des serviteurs ou des gardes n'avaient voulu lui obéir mais le roi mourant, reconnaissant son fils, l'ordonna à son tour. Ils furent laissés seuls, en famille. Le Prince s'agenouilla au côté de son père et lui prit la main.

— Fils, aurait murmuré le Roi des Démons.

— Père. Avant que vous retourniez auprès de nos ancêtres infernaux, laissez-moi vous présenter ma compagne et vos petits-enfants.

Le regard sombre du roi se posa sur les trois garçons et ensuite sur la femme qu'il reconnut comme étant un ange après qu'elle eut ôté la cape qui la dissimulait.

— C'est donc pour cela que tu es parti. Nous aurais-tu trahi, mon fils ?

— Si je vous avais trahi, j'aurais porté les armes contre les nôtres. Il n'en est rien. Je n'ai tué aucun démon à moins qu'il ne se soit au préalable attaqué à mon épouse ou à mes fils.

— Et les Anges ?

— Je n'en ai vu aucun durant toutes ces années.

Alors que son père se mit à gémir de douleur, tenant son côté transpercé, le Prince demanda à son aîné, le plus démoniaque de ses trois enfants, d'aller chercher un guérisseur en témoin des derniers instants du Seigneur Daemon. C'était la tradition. Un guérisseur vint quelques instants plus tard et se posta de l'autre côté du roi, ses yeux carmins fixés sur l'Ange, un regard désapprobateur, presque haineux. Mais comme la femme ne portait aucune arme mais au contraire la cape du Prince sur ses épaules, il ne fit rien.

L'Ange de son coté, connaissant le pouvoir de son chant sur son compagnon et ses enfants, décida d'apaiser le démon qui se trouvait être son beau-père alors qu'il vivait ses derniers instants. Elle s'agenouilla auprès de lui et posa une main douce sur sa peau rugueuse, plongeant son regard bleuté dans ses orbes sombres comme de la suie. Elle lui fit un doux sourire et lui chanta une douce mélodie. Sa voix s'éleva sur tout le campement alentours, et le vent la porta vers le champ de bataille et les tentes des Anges. Tous s'arrêtèrent pour l'écouter entamer cet hommage, tel un chant du cygne pour le Seigneur Daemon. Ce dernier mourut quelques instants plus tard, le coeur apaisé et sa soif de sang assourdie. Il avait esquissé un rictus, presque un sourire en écoutant cette douce musique. Il avait pris la main de l'Ange, l'avait serrée avec ses dernières forces et l'avait posée sur la main de son propre fils. Il acceptait par ces simples gestes l'union qui était devant lui. Et le guérisseur en était témoin.

Le Prince avait posé sa tête sur celle de son père au moment où il avait rendu l'âme et y resta ainsi, les yeux fermés un instant, immobile. Il lui ferma ensuite les yeux et les embrassa comme il était étrangement coutume au sein des démons. Le guérisseur prit ensuite l'anneau royal de la main du défunt Seigneur Daemon et la tendit à son héritier. Le Prince s'en empara avec respect et la glissa au majeur de sa main gauche. Il sortit ensuite devant les armées et cohortes de démons pour s'affirmer en tant que nouveau Seigneur démon et Souverain des Enfers. Il présenta à cette occasion sa compagne et ses trois enfants et promit fortes représailles à quiconque oserait toucher un seul de leur cheveux sans en avoir une excellente raison. En vérité, il n'en tolérerait aucune. Ils étaient sa raison de vivre, son trésor le plus précieux.

Très vite les nouvelles de l'avènement du nouveau roi démoniaque arriva aux oreilles des anges, ainsi que la présence de la princesse, fille du Premier Archange à ses côtés. Ce dernier fut furieux d'apprendre que sa fille avait fui ses obligations pour s'allier et s'unir avec leur ennemi et lança une attaque massive sur le camp des démons. Même si les créatures des Enfers étaient contre la présence de l'Ange au sein de leurs rangs, ils obéirent à l'unisson à l'ordre de leur roi. Ils la protégèrent comme une des leurs.

Après des mois de combats encore plus sanglants, l'Ange soignant les blessures des démons, elle finit par gagner peu à peu leur coeur et leur âme et les apaiser. Les créatures des Enfers finirent par l'accepter en tant que Reine légitime. Toutefois, la seule chose qui ne changeait jamais, c'était la guerre. Et l'Ange en était dorénavant la cause. Bientôt, son aîné devrait rejoindre les rangs des soldats et suivre son père dans les combats. Elle ne pouvait admettre pareille chose ! Alors, s'armant de courage, elle alla voir son compagnon et époux et lui parla.

— Faites cesser cette folie au plus vite !

— Je ne demande que cela, Ma Mie, avait répondu le Seigneur. Mais l'Archange, votre père, ne cesse de lancer de nouvelles attaques, je ne fais que les repousser.

— Laissez-moi lui parler.

— Il vous arracherait à moi !

— Ne le laissez pas faire dans ce cas ! Je suis à vous ! Mon coeur vous appartient à jamais ! S'il m'arrache à vous, ce ne sera que pour me porter à la tombe le jour suivant !

Le Seigneur démon prit son aimée dans ses bras et la serra tandis que cette dernière se mit à chanter doucement au creux de son oreille, apaisant ainsi son désir comme elle le faisait à chaque fois. La créature infernale posa son front sur celui de l'Ange et écouta les yeux fermés, un sourire léger et presque doux sur les lèvres. Il glissa ensuite sa main sur son ventre qui commençait à s'arrondir une fois encore. Elle lui offrait un quatrième enfant. Jamais il ne pourrait supporter de la laisser partir, d'autant plus qu'elle portait la vie en elle. Il ne le supporterait pas et sa rage serait dévastatrice s'il lui arrivait malheur. Il alla ensuite à sa table et prit plume et parchemin pour rédiger une missive à l'Archange son beau-père afin d'organiser une rencontre et il la confia à une chauve-souris. Cette dernière la porta de ce pas vers son destinataire.

Deux jours plus tard, les deux partis se réunirent sans armes au milieu du champ de bataille. Ils étaient dans un cessez-le-feu plus que provisoire. De ce qui avait été dit durant cet échange, nul ne le sait vraiment, les détails ont été oubliés au fil des âges ou gardés secrets par les concernés eux-mêmes.

Tout ce que nous savons encore avec certitude, c'est que l'Archange fut contraint de briser les fiançailles de sa fille, d'autant plus qu'elle avait déjà porté trois enfants et portait en son sein un quatrième. La seule condition qui fut émise, pour que l'autre Archange à qui la Reine avait été promise, c'était que si cet enfant s'avérait être une fille, elle devait de plein droit lui revenir en tant que compagne. Le Seigneur démon avait accepté à condition que sa progéniture ne subisse jamais aucun dommage d'aucune sorte, qu'il soit physique ou moral.

Du reste, un contrat fut passé. Les Anges et les Démons se sont retirés de la terre des hommes qu'ils se disputaient afin de leur laisser la place. Seuls les couples ange-démon et leurs enfants, les néphilims pouvaient faire leur vie sur terre, l'un ne pouvant vivre dans le domaine de l'autre. La terre était neutre. Un espace de rêve.

Les néphilims se mélangèrent ensuite aux humains et progressivement, force du métissage et du temps qui passait, leur caractère angélique ou démoniaque s’effaça. Toutefois, il arrivait que le côté démoniaque ressorte dans certaines conditions bien particulières. Si un descendant des néphilims naissait d'une union sans amour, il perdait sa pureté d'âme pour devenir un démon, nature qui le protégeait de la cruauté du monde. Dès lors, les Anges envoyaient un des leurs dans le monde des humains avec pour mission de le retrouver et de l'apaiser, et ainsi cesser l'horreur, le chaos et le sang.

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