Chapitre VIII : Le siège d’Asakawa

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Yuki marchait seule dans les rues d’Asakawa. Il faisait encore nuit et elle pressa le pas afin de retourner rapidement à l’auberge. Le froid la faisait frissonner et la fatigue s’emparait d’elle. Elle traversa plusieurs rues, toutes désertes. Tout le monde doit dormir… pensa-t-elle. Je ferai mieux de me dépêcher, le soleil ne va pas tarder à se lever et j’ai passé toute la nuit dehors… Elle arriva dans une petite ruelle, à quelques mètres de son auberge. Alors qu’elle l’a traversé, elle entendit un bruit venant de derrière elle. « Qui est là ? » Demanda-t-elle en se retournant. Personne. L’adolescente continua sa marche lorsqu’un nouveau bruit se fit entendre. « Qui est là ?! » s'écria-t-elle. Personne ne se trouvait devant elle. Je dois rêver, pensa la jeune fille. En reprenant sa route, un homme se dressa sur son chemin, la faisant sursauter. Il était grand et portait un masque.

— Qui êtes-vous ?

— Je t’avais dit de fuir…

— Hein ?

— Fuis…

— Mais… Je ne comprends pas…

L’inconnu enleva son masque et le visage de Yuki se décomposa : c’était Akira. Son visage demeurait brûlé et il enleva son haut, montrant d’innombrables cicatrices sur son torse. Ses yeux blancs paraissaient vides, sans vie. Il fixa sa sœur un long moment avant de continuer :

— Ne reste pas ici… Ils vont te tuer, comme ils m’ont tué moi.

— Qui… Qui t’as tué ?!

— Ne reste pas là… Ou tu subiras le même sort que moi.

— Grand frère ! Je veux te venger ! Qui t’as tué ? Je prendrais sa vie en retour !

— Non… Tu n’es pas assez forte. Rejoins-moi… Ne combats pas… Rejoins-moi… Ne résiste pas… Rejoins-moi…

— Qu’est-ce que tu racontes ? Te rejoindre ? Tu es en vie ?

— La mort… Seule la mort t’attends. Rejoins-moi ! cria Akira.

Il se jeta sur Yuki qui mit ses mains devant elle par réflexe. Akira la frappa et la poussa à terre puis tendit sa main vers le sol. Une énorme lame en sortit et il la prit. Il pointa sa petite sœur avec :

— Ta mort sera plus douce… Ne résiste pas, rejoins-moi…

La jeune femme regarda impuissante son frère lorsqu’elle sentit son kaiken dans sa manche. D’un geste rapide, elle le sortit et le planta dans la jambe du monstre qui hurla à la mort. Dans un mouvement vif, il lui donna un coup de poing et planta son arme dans son ventre. Une douleur insupportable prit immédiatement Yuki qui se releva de son futon en sueur et totalement déboussolée. Autours d’elle, sa chambre à l’auberge semblait paisible et quelques bruits ainsi que de la lumière venant de l’extérieur montrait qu’il devait déjà faire jour depuis plusieurs heures. Alors qu’elle tenta de se lever, une violente douleur lui envahit tout le corps, se déplaçant jusqu’à son ventre. La jeune fille souleva son yukata* et remarqua une marque noire à l’endroit où elle avait senti la lame. À ce moment-là, Fubuki entra dans la chambre, voyant la jeune fille de dos :

— Oups… Je te dérange dans un moment intime peut-être ?

— Hein ? Euh… Quoi ? Non ! s’écria-t-elle. Je… J’ai… Rien… Entre, si tu veux, bredouilla-t-elle en remettant son vêtement en place.

L’homme ne se fit pas attendre et passa la porte, rejoignant sa protégée. Il la regarda attentivement avant de reprendre la parole :

— Tu es rentrée tard, hier soir.

— À cause de qui ?! Tu as gaspillé de l’argent inutilement !

— Désolé. J’avais besoin de me vider la tête pour pouvoir trouver un plan.

— Inutile, j’en ai un.

— Ah… ?

— Quoi, « ah » ?

— Non, non, j’écoute…

— Bon, voilà… Je vais entrer au service de Sakura. Ainsi, je pourrai mener mon enquête pour savoir qui a tué mon frère. Je vais tout faire pour qu’elle soit fière de moi, je vais la servir du mieux possible… Et lorsqu’elle ne s’y attendra pas… Paf !

— Paf… ? reprit Fubuki en souriant.

— Je la tue. Et vu que je serai une de ses plus fidèle servante, personne ne pourra croire que c’est moi qui l’ai tué !

— Bien… Et moi dans tout ça ?

— Eh bien… Une servante peut avoir besoin d’un garde du corps, au cas où…

— Je ne crois pas que ton plan puisse fonctionner. Déjà, comment crois-tu pouvoir passer à son service ? Juste en y allant et en demandant « Hey ! Bonjour, je suis une inconnue pour vous mais j’aimerais bien être à votre service ! ». Si ça marchait comme ça, tous les paysans du coin y enverraient leurs filles !

— Oui bon… J’ai sans doute quelques détails à régler mais dans l’idée, qu’en penses-tu ?

— Si tu arrives, et je dis bien SI, à être à son service, alors oui, c’est possible. Mais sûrement après de longs mois voir de longues années pour gagner sa confiance.

Yuki ne pouvait cacher un sourire lorsqu’ils entendirent un cor sonné au loin. Le bruit ambiant se transforma rapidement en cris et en hurlement lorsque l’aubergiste entra dans leur chambre :

— On nous attaque ! Tous au château !

— Quoi ? Qui…

Fubuki ne put finir sa phrase que l’homme s’était déjà enfui. Il se tourna vers la jeune fille et lui fit signe des se lever. Tous deux sortirent dans la rue en toute hâte avec le strict minimum. Ils s’avancèrent avec tous les civils aux portes du bastion où d’innombrables gardes tentaient tant bien que mal de faire respecter un semblant de loi. Yuki regarda au loin lorsqu’elle vit une immense armée qui avançaient droit vers eux. Ils longeaient une rivière et s’apprêtaient à traverser. Son garde du corps regarda dans la même direction et fronça les sourcils lorsqu’il aperçut l’étendard de Ken Akiwaru, un oiseau prit dans un filet. Lorsqu’il s’approcha du garde il lui adressa la parole :

— Pourquoi Ken Akiwaru viendrait assiéger Asakawa ?! Vous êtes en guerre ?

— Quoi ? Ken Akiwaru ? Vous êtes sûrs de vous ? demanda l’homme en essayant de reconnaître l’étendard.

— Oui, j’ai plutôt bonne vue.

— Alors ce que vous dites est d’une importance capitale ! Haru ! cria le garde.

Un homme accourra et se présenta :

— Oui chef !

— Conduis celui-là auprès de notre seigneur, il a des informations importantes !

— Oui chef ! Suivez-moi !

— Attendez ! Cette jeune fille est avec moi ! coupa Fubuki.

— Bien, emmenez là aussi, dépêchez-vous !

Le soldat conduisit les deux compagnons à l’intérieur du château, ne s’arrêtant pas pour les attendre. Lorsqu’ils arrivèrent enfin dans la grande salle où se trouvait le siège de Sakura Mitsu, l’homme s’agenouilla en entrant et leur demanda à faire de même. La pièce était immense et beaucoup de personnes se trouvaient à l’intérieur. Sur les murs, plusieurs peintures montraient l’histoire du clan Mitsu, de leur début jusqu’à nos jours. Plusieurs piliers portaient de magnifiques dessins gravés directement dans le bois. La femme se releva et s’approcha d’eux. Elle portait un long kimono de couleur rouge avec de nombreux motifs : des fleurs mais aussi des oiseaux ressortaient, donnant un ensemble uni et très coloré. De taille plutôt moyenne, elle avait de longs cheveux noirs qui lui descendaient jusqu’au milieu du dos. Ses petits yeux marrons les inspectaient de long en large et alors qu’elle continuait d’avancer, elle leur demanda :

— Qui êtes-vous ?

— Ce sont deux civils madame, intervint le garde. Je vous les ai emmenés car ils ont des…

— Est-ce à vous que j’ai posé la question ? coupa-t-elle.

— Euh… Non, mais…

— Alors je vous demanderai de ne pas répondre à leur place. Je vous le redemande : Qui êtes-vous ?

— Je vous présente Yuki, une jeune fille qui a perdu sa famille à cause de la guerre. Elle souhaiterait se mettre à votre service, quant à moi, je me nomme Fubuki. Je suis à son service.

— Pour quelle raison une jeune fille si ordinaire a-t-elle droit à son propre garde ?

— Parce qu’elle m’a sauvé la vie alors que j’étais malade. Depuis, je la suis et la protège pour racheter ma dette.

— Bon… Et qu’avez-vous vu tous les deux ?

— J’ai reconnu l’emblème sur les bannières de l’armée qui approche, il s’agit de Ken Akiwaru.

— Ils sont encore loin, comment avez-vous réussi à…

Un soldat entra à ce moment-là et hurla :

— Ken Akiwaru ! C’est Ken Akiwaru qui nous attaques !

— Eh bien, vous avez vu juste semblerait-il. Pour vous mettre à mon service, la réponse est non. Je n’ai pas besoin d’une servante et qui plus est avec un garde du corps.

— Madame ! Je vous en prie… Je veux vous servir ! s’écria Yuki.

— Non. Nous sommes en guerre et le château se fait assiéger. Je n’ai pas le temps de m’occuper de vous deux. Faites-les retourner en bas avec la population.

Les gardes s’exécutèrent et prirent les deux compagnons par les bras pour les renvoyer du château. Yuki hurlait, protestant cette décision injuste. Fubuki dans un élan d’improvisation, poussa ceux qui le tenait et s’adressa encore une fois à Sakura :

— Si je réussissais à faire en sorte qu’ils s’en aillent, accepteriez-vous de la garder ?

— Pardon ? demanda la dame en se retournant.

— Si je fais lever le siège pour vous, prenez Yuki à votre service.

Un homme s’approcha de Sakura. Il était jeune, avait les cheveux courts et brun et ses yeux étaient petits et marrons. Son armure teintée de rouge paraissait de meilleure facture que celle des soldats. L’homme était grand et possédait deux katanas à sa ceinture. Il dit à voix basse :

— Peut-être devrais-tu réfléchir à deux fois avant de les renvoyer… Si cet homme se sent de lever le siège à lui tout seul, pourquoi ne pas le laisser faire ? Nous n’avons pas les moyens de perdre trop d’hommes ou nous plierons lors d’une prochaine bataille.

Un deuxième homme s’avança. Beaucoup plus vieux que le premier, son crâne était rasé et il portait une très longue barbe blanche. Son armure ressemblait à celle du premier mais semblait bien plus usée :

— Je vous déconseille fortement de faire ça, madame. S’il échoue, nous aurons leurs sangs sur les mains. Je refuse que des civils se battent pour nous. Nous avons les moyens de repousser ce siège.

— Il se propose, laisse-le faire. Je suis curieux de voir sa façon de faire… continua le premier.

— Keita, Mitsuo a raison, je ne veux pas avoir leur sang sur les mains. Je refuse votre proposition, adjugeât Sakura.

— Madame, je vous en prie ! Laissez-moi entrer à votre service. Je ferai tout ce que vous voulez.

— Non. Garde ! Ramenez ces deux-là avec les autres. Keta, Mitsuo, venez avec moi, il nous faut discuter de stratégie.

Les gardes ramenèrent les deux compagnons auprès des autres civils. L’armée adverse avait bien avancée et se trouvait désormais tout autours du bastion. Les soldats ennemis creusaient des tranchées tandis que d’autres montaient des tentes ou positionnés des piques afin de se protéger d’une éventuelle sortie de cavalerie. Yuki baissait la tête et marchait lentement. Ils s’installèrent avec d’autres personnes et regardèrent les soldats se hâter pour se masser aux remparts, craignant une attaque. Mais la journée passa sans qu’aucune attaque n’eut lieu.

***

Alors que le soleil se lever au-dessus des centaines de tentes, Sakura était déjà debout depuis longtemps et était au niveau d’une immense table, entourés de ses deux généraux, Keita et Mitsuo. Sur la table était disposée une carte, représentant Asakawa et ses alentours. De nombreux pions disséminés aux quatre coins de celle-ci indiquait les emplacements des armées.

— Nous devrions faire une sortie au nord afin de nous échapper, proposa Mitsuo.

— Non, si nous faisons ça, nous perdrons la ville et où irons-nous ? Il aurait fallu frapper hier, pendant qu’ils s’installaient et les repousser vers la rivière, répliqua Keita.

— Eh bien, je suppose que vous comptez sans doute remonter le temps pour le faire ?

— Il est trop tard maintenant.

— Exact. Il nous faut donc une autre idée. Inutile de dire ce que l’on aurait dû faire, nous avons assez de problèmes comme ça.

— Et votre idée c’est de nous échapper ? C’est la seule idée que vous ayez ?

— Vous en avez une meilleure ? Nous vous écoutons !

— Sakura, tu dois demander à l’homme d’hier de nous aider.

— C’est ça votre plan ? Vous reposez sur un inconnu ? ironisa le vieux général.

— Non, mais je prends toutes les solutions qui s'offre à moi. Et s’en ai une que vous le vouliez ou non. Je te le redemande Sakura, continua-t-il en se tournant vers elle, demande-lui de nous aider. Il a sûrement un plan.

— Et s’il meurt, que ferons-nous ? dit-elle enfin. Pourquoi insistes-tu ?

— Parce que nous sommes désespérés. Tu m’as demandé lorsque tu es arrivée au pouvoir d’être à tes côtés, non en tant que frère mais en tant que général, pour te servir. Ce jour-là, je t’ai dit que je serai toujours franc avec toi, t’en souviens-tu ?

— Bien entendu.

— Alors laisses moi l’être. Nous ne pouvons pas gagner. À moins de se faufiler dans le camp adverse et de tuer Ken mais aucun d’entre nous n’y arriverai. Nous sommes des soldats, pas des assassins.

— Pourquoi lui y arriverait-il ?

— Je crois… Je pense que c’est un assassin.

— Venu pour moi ?

— Non, pas pour toi. Sinon il ne se serait pas présenté. Il ne doit plus faire cela étant donné qu’il protège la gamine. Laisse-moi lui demander ce service et en échange prends la fille à ton service. Après tout, elle pourra toujours nettoyer ton pot de chambre, qu’en as-tu à faire ?

— S’il échoue, vous aurez sa mort sur la conscience, pourrez-vous vivre avec ça ? demanda Mitsuo.

— S’il échoue, nous n’aurons qu’à tenter une sortie. Mais s’il est vraiment qui je crois qu’il est, alors il réussira.

— Tu te bases uniquement sur ton instinct… C’est très risqué, affirma Sakura le visage fermé.

— Nous n’avons rien à perdre. Ken va attendre patiemment et lorsque nous serons assez affaiblis, il nous tuera tous. Autant tenter tout ce que l’on peut.

— Alors c’est décider. Mais tu iras lui annoncer toi-même.

— Bien… Merci.

L’homme sortit aussitôt de la pièce et s’en alla avec deux gardes vers le camp des civils. Mal entretenu, celui-ci n’était qu’une succession de tentes mise côtes-à-côtes. Des dizaines de personnes dormaient à la belle étoile, par manque de moyens logistique. Les plus âgés commençaient déjà par montrer des signes de fatigues tandis que d’autres se battaient pour avoir un peu de nourriture. L’armée n’ayant pas été vu assez tôt, les réserves de nourriture étaient extrêmement basses, toute la récolte étant encore dans des silos à l’extérieur de la forteresse. Keita marchait avec assurance dans le camp et arriva auprès de Yuki qui attendait patiemment, assise sur une couchette en mauvaise état.

— Où se trouve l’homme avec toi hier ? demanda-t-il.

— Il est au niveau des remparts, répondit-elle sans lever la tête.

Keita trouva Fubuki qui regardait le camp ennemi. Il semblait parler tout seul, ses lèvres bougeant mais ne sortant aucun son. Il se tourna lorsque le général arriva à sa hauteur.

— Bonjour, je n’ai pas eu l’occasion de me présenter hier, je me nomme Keita Mitsu, frère de Sakura Mitsu, la daimyo du clan Mitsu. Vous nous avez offert vos services hier en échange de quoi, la petite aurait le droit de servir ma sœur. Aujourd’hui, si vous le voulez toujours, je vous donne cette opportunité.

— Il était temps… J’irai dès ce soir, répondit-il en souriant.

— Si je puis me permettre… J’aurai une question à vous poser.

— Vous êtes seigneur, vous pouvez vous permettre tout ce que vous voulez.

— Je crois savoir quelle genre de personne vous êtes…

— Ah oui ? Dites-moi dans ce cas.

— Vous êtes un assassin.

Fubuki leva les sourcils en entendant cela puis se mit à sourire :

— Vous m’avez percé à jour… Je vous demanderais néanmoins de ne rien dire à personne, notamment Yuki.

— C'est d'accord. Eh bien, faisons comme ça. Si vous faites lever le siège, alors vous resterez ici.

— Vous ne serez pas déçu, je vous le promets.

* Le yukata est une « version » du kimono. Il peut également être porté comme vêtement de nuit.

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