Chapitre 5

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Davantage tombée du lit que levée, Marion enfila des chaussettes bouclette et se dirigea vers le salon en empruntant le petit couloir, une main sur son front, les pieds traînant comme si elle voulait lustrer le sol. L’appartement était silencieux pourtant, la jeune femme eut l’impression qu’un groupe de percussionnistes répétait dans sa boîte crânienne. Sur la table basse, les témoins d’une soirée arrosée trônaient en nargue. Elle s’approcha de l’un des tiroirs sous le plan de travail de la cuisine d’où elle sortit un tube d’ibuprofène.


Le pétillement des petites bulles s’échappant du médicament sous l’effet de l’eau hypnotisèrent les yeux verts de Marion. Un moment furtif qui la ramena à Vittorio. Souvenir qui sembla la plonger dans une dépression matinale. Un peu comme lorsqu’au sortir d’un bon week-end  l’on réalise qu’on est lundi.


***


Quelques billets volèrent à l’adresse du chauffeur et une porte s’ouvrit. Vittorio sortit du taxi comme une douille qui s’échapperait de la chambre à percussion d’une arme semi-automatique. Porte carton à dessin dans une main, un bagage léger dans l’autre, il se dirigea vers l’entrée de la gare dans un sprint à faire pâlir Usain Bolt. Il stoppa net devant les écrans des trains au départ, puis reprit sa course en direction du quai D comme indiqué sur le panneau d’affichage. Nouveau coup de frein à l’abord du quai. La borne de compostage se montra récalcitrante aux trois premières tentatives de validation du sésame autorisant la montée dans le train. La quatrième fut la bonne. Un « clac » qui n’eut rien de gracieux valida finalement  le transport.


Vittorio était communément un homme posé, d’un calme olympien. Préférant la réflexion à la spontanéité, l’écoute au verbe, le calme d’une terrasse ombragée à l’excitation des boîtes de nuit. Mais ce matin, il était en retard. Rater son rendez-vous l’aurait mis dans une position délicate devant un homme aussi écouté dans le monde très fermé de l’art. Le stress avait fait naître en lui un guerrier, une véritable arme de guerre. Xavier Dennoyer l’attendait.


Le sifflet du chef de ligne retentit dans un écho strident. La porte de la voiture se ferma. Une impulsion sur le bouton d’ouverture du sas qui le séparait de l’intérieur du wagon et la porte de verre s’effaça sur la droite, invitant le jeune homme à pénétrer. Il passa quelques rangées de sièges observant les numéros qui trônaient sur leur sommet et trouva sa place. Un espace à quatre séparé par une tablette centrale. Bagage à main rangé dans l’espace prévu à cet effet en hauteur, il s’assit face à une femme d’une quarantaine d’années qu’il salua d’un sourire, calant son porte carton à dessin entre sa jambe et la paroi du wagon.


Le train avait frémi, quitté la gare au pas, puis avait pris sa vitesse de croisière. Laissant son regard s’enfuir dans le paysage qui défilait à vive allure, le dessinateur repensa à sa soirée de la veille. Sa rencontre avec cette jeune femme qui avait subitement pris la poudre d’escampette et l’appel du critique qui ne lui avait pas laissé beaucoup de temps pour se retourner et organiser son voyage. Il n’avait pas beaucoup dormi non plus.


Le souvenir de Marion lui revint tel un boomerang. Il y avait quelque chose d’irréel dans ce qui s’était passé ; l’agression de la danseuse, ce moment passé avec elle sur cette terrasse, son départ en coup de sirocco qui avait laissé planer son parfum léger, envoûtant. Machinalement, la main de Vittorio se dirigea vers la poche qui ornait la jambe de son jean et en délogea son portable. Les yeux fixés sur l’écran, il donnait l’impression de lire quelque chose. Dans le réalité, il espérait avoir des nouvelles, implorait intérieurement que quelque chose surgisse sur l’écran… ne serait-ce qu’un SMS de cette mystérieuse femme qui avait fait irruption dans sa vie, la veille. Mais l’appareil resta muet, insensible.


- Vous êtes peintre ?


- Je vous demande pardon ? s’étonna le jeune homme arraché brusquement à ses pensées.


- J’ai remarqué votre porte-documents alors je me demandais si vous étiez peintre.


- Non ! Je suis dessinateur, répondit-il un peu rapidement.


La passagère portait une chemise fine, et à n’en pas douter, rien dessous.  Le tissu, tendu sur sa poitrine généreuse, semblait être épinglé sur ses tétons. Dans son état normal, Vittorio aurait bien volontiers entretenu la conversation devant si belle silhouette mais, sans qu’il ne puisse se l’expliquer, il n’en avait pas envie. Pire, il espérait qu’elle ne la relançât pas.


- Peut-être suis-je trop curieuse ? s’excusa la belle quadragénaire.


- C’est plutôt moi qui vous dois des excuses, rétorqua-t-il poliment avec un sourire de circonstance. J’ai peu dormi la nuit dernière et je vous avoue avoir du mal à garder les yeux ouverts.


- Oh ! Je comprends, fit la femme en se renfrognant dans son siège.


Le dessinateur détourna le regard vers l’extérieur, collant sa tempe sur le carreau. Le paysage défilait à vive allure sous ses yeux, que les mouvements cadencés du train ne tardèrent pas à clore.

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