La petite galette dorée

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Je bronzais tranquillement à thermostat 6, quand on me tira par le bourrelet et me posa sur la table. Là, je fus enveloppée d’un tissu rêche et posée dans un couffin. Le froid du pot de beurre posé sur mon ventre acheva de me réveiller. J’allais bientôt accomplir mon destin : être mangée. Une voix délicate mais ferme donna un ordre, et le couffin se mit en route.

Très vite, le voyage se transforma en montagnes russes. Le couffin bringuebalait d’avant en arrière, au rythme d’une chanson enfantine. Bientôt, le pot de beurre glissa sur le coté et emporta une partie de la couverture qui me recouvrait. Je fus aveuglée par la lumière du soleil et eut du mal à ouvrir les yeux. Quand enfin j’en fus capable, j’aperçus une grosse masse rouge sur un fond abstrait vert, marron et bleu. Je me redressais, jusqu’à arriver à la limite du couffin. J’essayais d’analyser la situation : il y avait des arbres, et au bout du couffin, une main qui appartenait à une fille au manteau rouge. Il me sembla que j’allais être abandonnée en forêt, tel le Petit Poucet. Ma seule solution était de m’émietter et de jeter les miettes au fur et à mesure qu’on avançait. Il me manquait environ une part, quand le couffin se stoppa net. Je ne parvins pas à réprimer mes tremblements de peur. Le moment que je redoutais était arrivé, j’allais être abandonnée ici.

Je tournai la tête et fut face à une masse de poils noirs. En haut de cette masse, une grosse voix discutait avec la fille. Cela me rassura : j’allais être vendue à la grosse bête au pelage noire qui me mangerait. Je me recouchais dans le couffin, soulagée. Finalement, les deux voix se turent, et le manège repris. Bientôt, mon destin s’accomplirait ! En attendant, le chemin vers l’estomac de la bête commençait à devenir long. Et je n’avais pas l’impression que la voix qui chantonnait correspondait à celle massive, de l’animal que nous avions rencontré. Je stressais : allais-je être mangée ou abandonnée ?

Petit à petit, le couffin se stabilisa. Je sus que mon voyage prenait fin. J’entendis cogner à une porte, et entendit la grosse voix de tout à l’heure, mais un peu chevrotante. Peut-être l’animal m’avait-il achetée pour nourrir sa grand-mère. Le couffin fut posé au sol. Une discussion au loin se menait entre la fille au manteau rouge et la grand-mère de l’animal. Rassurée, je me relevais pour observer la scène. Au moment où mes yeux attinrent le haut du couffin, une scène cruelle se joua devant moi : la grand-mère mangea la petite fille toute entière. En une seconde, elle disparut !

Je transpirai tout mon beurre : j’étais tombée sur une grand-mère gloutonne, qui ne prendrait pas la peine de me déguster ! Je contractai ma frangipane pour sortir du panier, et je glissai sous la porte. Devant la maison, je roulai le plus vite qu’il m’était possible avec une part en moins. Je m’arrêtai aux premiers arbres pour réfléchir. Je ne pouvais pas finir comme ça, à rassir entre les buissons. Un sifflement me sortit de ma réflexion. Je levai les yeux et vit un homme-arbre avec une longue branche noire sur le dos. C’était ma chance de remplir dignement ma mission. Je roulai jusqu’à lui et lui tournai autour. Forcément, il me regarda, et tenta de se jeter sur moi. Encore un goinfre, pensai-je. Alors je me mis à rouler, à rouler, à rouler ; et grâce à mon sens de l’orientation et à ma part en moins qui me faisait rouler de travers, j’arrivai de nouveau à la maison de la grand-mère.

L’homme-arbre avait dû faire bien trop de bruit, puisque la grand-mère de l'animal sortit de la maison à ce moment-là. Elle déchira sa chemise et son foulard, et je reconnu l'animal noir. Décidément, s’il y avait un jour où je n’avais pas de chance, c’était bien celui-ci ! L’homme-arbre, apercevant l'animal, tendit sa branche noire vers lui. Une voix sortit de l’animal, bien que sa bouche fut fermée. C'était comme si la voix venait de très loin à l’intérieur de lui. Une voix un peu aiguë, avec un écho à la fin. Soit l'animal était une fille, soit il s'était pris un sacré coup entre les jambes. L’homme-arbre sembla comprendre ce qui se passait, contrairement à moi, qui zigzaguait lentement vers une autre partie de la forêt, tout en gardant un œil sur ce qu’il se passait.

L’homme-arbre sorti une feuille argentée et la planta dans le ventre de l'animal. Il en ressortit la fille au manteau rouge (encore plus rouge grâce au sang de l'animal), et une grand-mère. Humaine celle-ci. Puis, il courru vers moi pour m’attraper, mais mon beurre fit glisser ses doigts. Je tombai au sol, évanouie. L’homme-arbre avait dû en profiter, car je me réveillai plus tard au chaud, dans un grand sac noir dont une partie semblait recousue. Un sursaut me fit sauter dans le sac, et je fus projetée sur l’herbe, au milieu de la forêt. On m’avait recrachée. Je me frottai les croisillons pour reprendre mes esprits. J'apperçu une masse de poil noir s'en aller sur le chemin, la tête baissée et les pates sur l'estomac boursoufflé. On m'avait m’abandonnée au sol. J’en éprouvai une honte terrible. Mon destin était d’être mangée, pas d’être recrachée comme une vieille chaussette.

Désespérée, je pleurai des larmes sucrées, quand on me chatouilla la croute. Un oiseau marchait sur moi et me picora vivement. Je me mis à rire si fort que ma fève jaillit. L'oiseau s'envola, puis revint une fois la fève tombée au sol. Je continuais de rire, d’autant plus que de nombreux oiseaux venaient maintenant me chatouiller. Quand ils s'en allèrent, il ne restait au sol plus que des miettes de moi. J’avais enfin accompli ma mission.

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