Chapitre 38

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Alban observa un long silence, jusqu'à ce qu'enfin l'étrange petite chose relève les yeux et croise son regard. Elle avait les joues plus rouges qu'une tomate léchée par le feu.

– Et bien, la ribaude, grogna le chasseur d'un ton bourru, tu n'es pas si laide.

Les sourcils trapus de la jeune fille se levèrent en accents circonflexes. Un éclat bien connu parut dans ses prunelles : l'air méprisant d'Iluth, qu'elle revêtait toujours lorsqu'elle se trouvait mal à l'aise. Voir cet infime détail ressurgir par surprise dans ce corps inconnu bouleversa le cœur d'Alban. Il décela soudain l'âme de la licorne, cachée derrière cette façade humaine, aussi clairement que si ses yeux pouvaient la percevoir.

– D'accord, rectifia-t-il au bout de quelques secondes. Je comprends que personne n'ait voulu de toi. Mais crois-moi, j'ai vu bien pire en ville. Si tu avais eu un père comte ou baron, ou même riche marchand, tu serais déjà mariée depuis longtemps.

– Alors jamais je n'aurais été licorne. Et jamais nous ne nous serions rencontrés.

Un long silence suivit ; Alban n'ajouta rien, les pensées chaotiques, la peau hérissée d'un mélange de dégoût et de curiosité. La bizarre Iluth qui lui faisait face, ne sachant que faire, lissa d'un doigt coquet les courbes denses de ses sourcils.

Alban la fixa quelques instants, les yeux écarquillés face à ce geste absurde.

– Quoi ? grogna la jeune fille en mettant les poings sur ses hanches maigres.

Elle pointa un doigt inquisiteur vers lui.

– Un problème ? Je n'ai pas le droit de… de recoiffer mes sourcils ? Quand on a des nids d'oiseau pareils, il faut bien les entretenir !

Devant les yeux d'Alban, les grimaces dédaigneuses de la licorne se superposèrent à la moue cocasse de la jeune fille ; une gerbe d'hilarité irrépressible lui monta tout droit des entrailles. Il éclata d'un rire énorme qui submergea même les cris de douleur des futurs cadavres en contrebas.

La moue d'Iluth s'accentua tandis qu'elle levait les yeux au ciel ; puis, comme à son habitude, elle se mit à le toiser de la même manière qu'une mouche écrasée sur son chemin.

– Satanée drôlesse ! réussit à prononcer l'homme malgré son souffle coupé par le rire. Pas de doute, c'est bien toi ! Il n'y a que toi pour… pour te rendre si ridicule !

La succube le fixa, extérieurement hautaine, intérieurement ébahie face à ce fou rire qui refusait de lâcher Alban. Lorsqu'il releva les yeux sur elle, le visage crispé par son hilarité, les traits aussi lumineux que ceux d'un adolescent, elle leva délibérément ses deux index et lustra à nouveau ses sourcils avec un air de défi.

– Morbleu, tu veux me tuer, puterelle ? éructa Alban en s'esclaffant à nouveau.

– Je ne pensais pas que tu étais capable de rire autant, rétorqua la succube en tripotant la masse de ses cheveux ternes d'une main distraite.

– Et moi je ne pensais pas qu'on pouvait rire autant dans un rêve !

Elle ébaucha une révérence, un sourire moqueur éclairant son visage qui, soudain, lui rappela irrésistiblement la bouille d'une grenouille.

– À votre service, monseigneur.

Ses mots taquins se diluèrent dans le silence.


Un rai de soleil poinçonna les paupières d'Alban ; son esprit s'éveilla dans une étincelle, s'extirpa de son étrange rêve. Il fixa les poutres du plafond pendant plusieurs minutes.

– Alban ?

Il redressa la tête, suivant la petite voix d'Iluth. La licorne était vautrée à son côté, avec l'indécence d'un chat qui offre son ventre aux caresses.

– Quoi ? marmonna-t-il, les yeux plissés et le visage encore empâté de sommeil.

– Rien, répondit-elle dans un chuchotis souriant. Je voulais juste vérifier quelque chose.

– Vérifier quoi ? grogna-t-il en se frottant les yeux comme un enfant. Chiure de soleil qui me perce toujours les paupières au mauvais moment !

La bestiole, toujours sur le dos, étendit les pattes le plus loin possible sur le matelas et resta ainsi, comme une tortue décoquillée ou un chien paresseux.

– Vérifier quoi, coqueberte ?

Elle ferma ses paupières ourlées de longs cils blancs, avant de murmurer :

– Que tu as encore du rire plein les prunelles.

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