Chapitre 56

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– C'est que t'y tiens, à cette bestiole, non ? Première fois que je vois un giboyeur avec une chèvre de compagnie.

Il tira davantage sur l'oreille d'Iluth et celle-ci, les vertèbres sur le point de se briser, tituba pour garder l'équilibre. Alban ébaucha un geste, mais l'homme resserra sa prise et vint placer la lame du poignard juste sous la gorge de la licorne.

– Si tu y tiens tant que ça, tu vas te calmer et poser ton espadon par terre, sans geste brusque. Si tu te conduis bien, je lui crèverai juste un œil, ensuite on te laissera un petit souvenir à toi aussi et vous pourrez repartir ensemble. Avec un peu de chance, ça t'apprendra à respecter tes confrères.

Alban ficha son regard dans celui d'Iluth. Elle lut dans ses yeux meurtriers comme dans un livre ouvert.

Mais qu'est-ce que tu faisais dans cette ruelle, imbécile ! Tu aurais pu t'enfuir n'importe où, mais il fallait que tu sois là !

Je ne bouge pas. Lâche-la, maintenant. Lâche-la ! Nom de Dieu, elle est à moi et si tu touches à un seul de ses crins, je te jure que je te tuerai.

Ses trois assaillants, ne le voyant pas faire un geste, récupérèrent leurs armes et resserrèrent leur cercle autour de lui. Trois lames se pointèrent droit vers sa jugulaire. Iluth, les yeux exorbités, tenta désespérément de lui faire passer un message. Le jeune homme leva le menton, l'air plus hautain que jamais. Très lentement, il se baissa pour aller poser son épée à terre.

– Crétin ! hurla la licorne excédée, ce qui fit sursauter tout le monde. Je ne suis pas à toi ! Ah ça, pour me donner des ordres et agresser les bougres d'ici, il y a du monde, mais pour s'en défendre correctement, c'est autre chose ! Heureusement qu'Iluth est là !

Son agresseur était à terre avant même qu'elle ait fini sa phrase. Lorsqu'il avait desserré sa poigne sous l'effet de la surprise, l'espace d'un instant, elle avait bondi vers le haut, vrillé sa croupe d'une torsion de hanches et enfoncé sa pomme d'Adam d'un coup de sabot puissant.

Au terme d'une trajectoire pour le moins atypique, elle se releva en toussant, le dos enflammé de douleur et l'oreille enfin libre. Sa coiffure était dérangée et elle avait escompté une réception un peu plus maîtrisée, mais les gargouillis qui s'échappaient de sa victime suffisaient à sa satisfaction. Étendu sur le sol, l'homme avait le larynx défoncé. La succube trottina vers lui et referma les mâchoires sur sa gorge, avant de broyer sous ses dents tout ce qu'il en restait. Les gencives engluées de sang et de chair, elle cracha sur le mort les reliefs de son agonie et essuya sa barbiche rougie sur sa cape. Puis elle fit volte-face. Comme elle l'avait prévu, Alban avait saisi sa chance, récupéré son épée d'un geste et tué deux chasseurs d'un coup de lame. Iluth regarda leurs têtes descendre la rue en roulant sur les pavés, laissant des filets écarlates derrière elles, puis le dos de l'unique survivant qui disparaissait au loin.

– Qu'est-ce qu'on va faire si les autres voient ça ? Il a dit qu'ils étaient trente !

– Il mentait, c'est évident, répondit Alban en essuyant son épée sur les vêtements de l'un des hommes. Se regrouper à quatre me paraît déjà énorme. Cette histoire de guilde est grotesque.

– Parce que tu es un ver solitaire, toi, répliqua la licorne. Je suis certaine qu'il ne mentait pas !

– Tu veux parier, puterelle ? Nous allons bien voir, de toute manière.

Alban rengaina, puis fit craquer sa nuque en un geste qu'Iluth détestait et adorait tout à la fois. Leurs regards se croisèrent enfin.

– Bon coup de sabot, je ne te voyais pas comme ça. On dirait que tu as plus de muscles que ce que je pensais.

Iluth ravala sa colère ; il n'était plus temps pour les disputes.

– Si tu ne veux pas en faire les frais, imbécile de mâle, évite deux choses à l'avenir : critiquer ma coiffure et dire que je t'appartiens.

Il leva les yeux au ciel et lui fit signe. Elle trottina à lui, grommelant dans sa barbe encore pleine de sang ; puis l'homme et la licorne s'enfuirent au grand galop, laissant pourrir derrière eux les cadavres de leurs victimes.

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