Chapitre 83

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La licorne et le chaton, sur le point de lui emboîter le pas, reçurent un regard méprisant et on leur claqua la porte au nez.

Iluth, sur des charbons ardents, se mit à faire les cent pas dans la pièce sombre et silencieuse, marquant les tapis de ses sabots fourchus. Le chat cligna ses grands yeux jaunes, ébahi d'être ainsi séparé de son idole, et vint se frotter à elle dans un ronronnement plein d'excuses.

Le chasseur n'avait même pas protesté. Lui qui, d'habitude, faisait taire ses semblables d'un regard et gardait Iluth le plus près possible, venait d'entrer dans ce salon comme une ombre terne, sans un mot, sans même jeter un coup d'œil à ceux qu'il laissait ainsi derrière lui.



Le baron était un homme de petite taille, d'âge mûr, mais son regard était vif et son maintien digne d'un roi. Il portait un plastron d'acier, sans fioritures et marqué de coups anciens, par-dessus ses habits riches ; une manière sans doute de rappeler à tous qu'il n'était pas seulement seigneur de ces terres, mais aussi soldat et protecteur de la paix de son fief. Alban ne l'avait vu qu'une fois, lorsqu'il était allé chercher sa récompense et lui rapporter les bourses et le crâne du dragon, comme convenu ; il l'avait apprécié au premier regard.

Deux jours auparavant, l'aristocrate et son aura fière paraissaient écrasés par la stature et l'orgueil d'Alban ; mais à présent, le charisme du seigneur reprenait le dessus tant le chasseur était faible, cerné et dépenaillé. L'œil d'aigle du soldat prit toute la mesure de l'étrange décadence qui semblait s'être abattue sur cet homme formidable, mais en guerrier intelligent, il passa outre et n'en dit pas un mot.

– Des bruits courent dans toute la campagne.

Alban, muet, observait le flot de lumière qui dégorgeait des verrières. Jamais il n'avait vu de fenêtres si grandes ; c'était la plus incontestable preuve de luxe de cette maison. Le grand bureau, avec ses meubles de bois sombres, son écritoire austère et ses drapés de soie damassée, était éclatant de splendeur.

– On dit que le dragon est toujours en vie, dit le baron d'une voix plus forte qui résonna dans la pièce.

Dans un sursaut, Alban sortit de sa transe mélancolique. La vision de la carcasse, ensanglantée et dépourvue de son œil droit, s'imposa à lui. C'était impossible. Impossible !

– Ce sont des menteries. Je vous en ai apporté le crâne et les bourses. Et ce sont vos gardes qui ont ramassé les cadavres des lansquenets.

Une ombre de sourire parut sur les traits burinés du seigneur. Il appréciait la façon de parler de cet homme ; il allait droit au but, sans s'embarrasser d'aucune formule de politesse, comme s'ils avaient été égaux.

– Je sais que ce sont des mensonges.

D'un bref signe du menton, il désigna quelque chose qui scintillait sur son grand bureau aux pieds de bois sculpté.

– On m'a rapporté ça ce matin, aux premières lueurs de l'aube. C'est ce que cette bête a laissé derrière elle lorsqu'elle s'est frottée à certains de nos paysans. Elles les a dévorés, du reste.

Le chasseur s'approcha de l'écritoire. Son esprit était gourd, ses membres faiblards et son ventre creusé de faim – même s'il n'en ressentait pas les effets. Il cligna des yeux, le pouls battant à ses tempes, et tenta d'arracher sa cervelle à la gangue nauséeuse qui l'emprisonnait.

– Ce n'est pas le même dragon, continua le baron dans un arrière-plan sonore ouaté et assourdi. J'ignore comment, mais un deuxième démon, qu'on dit immense et terrifiant, a remplacé celui que vous avez tué.

Il se signa et marmonna quelques mots pieux censés apporter protection à sa ville.

Alban, dans un état second, traça à son tour une croix tremblante sur son torse à la vue de ce qui brillait ainsi sur le bureau sombre.

C'était une large écaille, souple et noire comme de la peau de mouton ; et incrusté au travers, tel un orbe visqueux, miroitait un gros œil rond à la pupille de poisson.

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